Ces choses là ne se disent pas...

Mon frère est né le 5476eme jour de mon existence, soit le lendemain de mes 15ans.

Nous étions très complices tous les deux, malgré la différence d'âge.

Aussi loin que je m'en souvienne, il a toujours préféré rester avec moi. Il traînait tout le temps dans mes pattes, ne se mêlait que rarement aux jeux des autres enfants de son âge. Quant on lui demandait qui était son meilleur ami, il répondait toujours " Je n'ai qu'une amie. Naelasia est mon amie. "

Il aimait bien Naelasia mon frère.

M'aime t'il toujours ?

Je me rappelle que c'était nous deux, partout, toujours. Puis brusquement les choses ont dérapé.

- Promet moi ! Jure le sur la tombe de maman !

Était-ce cette phrase qui a tout gâché ?

Était-ce ce jour là que je l'ai empoisonné ?

Il disait tout le temps que j' étais son héroïne, dans un langage plus adapté, son modèle. Depuis le début . C'est pour ça qu'il m'écoutais toujours, qu'il me suivait partout où j'allais, du moins partout où je lui permettais de me suivre. Et je lui permettait beaucoup de choses à Tahari.

Puis j'ai commencé à lui interdire beaucoup de choses. Ça lui a porté un coup. Le premier des autres qui ont suivi. À ce moment là, c'était toujours nous, mais dans le mauvais sens. C'etait devenu toxique.

Il était très proche de moi et de maman. Et maman est morte, il ne restait plus que moi.

- Aide moi.....ai....aide....m..s'il te...plaît....

Il a beaucoup pleuré. Je n' aurai pas dû le forcer, je n' aurai même pas dû lui demander ça. C'était beaucoup trop...cruel

J'ai eu une enfance paisible, contrairement à T'ri. J'ai été fille unique jusqu'à mes 10 hivernages. Mon père était à l'époque le commissaire du petit village où nous habitions. Je n'avais rien à envier aux autres enfants de mon âge. Les jumelles sont nées ensuite, Papa a été affecté et on a dû déménager. Je me suis vite adaptée, je n' avais pas trop le choix de toute façon.

J'ai été reléguée au second plan à la naissance d'Emma - Evva. Je crois que c'est la première raison pour laquelle je ne les ai jamais aimé. Je leur en voulai. J'ai dû grandir trop tôt par leur faute. Elles se sont accaparées toute l'attention, les faveurs, les cadeaux. Au final ce sont elles, les plus heureuses de la famille. Alors, quand il est né, je l'ai tout de suite aimé. Peut être qu'inconsciemment je le prenais comme une réparation, un allié dans ce foyer où j'ai pu me sentir seule au monde.

J'étais heureuse à sa naissance, j'étais grande sœur, j' avais un petit frère à protéger, à aimer, je n' allai plus m'ennuyer, je m'occuperai de lui !

Et je l'ai fait. Je l'ai pris sous mon aile. Je l'aimais.

Je le portais, lui changeait les couches , le berçait, lui racontait des histoires....tout ce que je n' avais jamais fait pour les jumelles.

Je lui apprenais beaucoup de choses. Il était aussi curieux, comme tous les enfants de son âge. Il voulait toujours comprendre, alors je lui expliquai, tout naturellement.

J'étais l'aînée de deux soeurs et T'ri, cependant je ne parlais presque pas aux jumelles. J'ai toujours fait une grande distinction entre T'ri et les filles.

Celle qui nous aime sans distinction c'est Solange. Alors que je l'ai toujours haï.

Je dois sembler amer hein ? Crue aussi. Ces traits de caractère ont blessé mon frère plus d'une fois.

- Ça suffit ! Tu dois aller à l'école, et c'est moi qui te raccompagnerai

- Mais maman a dit que...

Je l'ai coupé, énervée

- Maman est morte ! Tu comprends ça Tahari ? Mets tes chaussures, on y va... Et arrête de chialer merde !

J'étais à bout, je perdais le tact lorsque j' étais acculée.

Ce fut la troisième fois qu'il pleurait par ma faute. Les autres fois se sont multipliées ensuite.

J'ai vécu 29 ans dans le domicile familial . La cause première de cette durée était T'ri. Je ne voulais pas le laisser seul. Il allait déjà mal à ce moment, j'avais peur de le laisser...mais finalement c'est ce que j' ai fait...

Comprenez que j' ai dû partir , que je devais me construire une vie, me marier, avoir un foyer, me fonder. Comprenez que je n' avais pas d'autre choix que de le laisser dans l'oeil du cyclone. Comprenez que j' ai sous-estimé le danger..

Il y a quelques jours, je suis allée voir les jumelles. C'est Evva qui m'a ouvert. Elle ne s'était jamais rapprochée de moi. Je crois qu'elle a senti que je ne la portais pas dans mon cœur. Et ce, depuis son enfance.

Elle m'avait longuement fixé avant de me demander ce que je voulais.

- Emma déménage non ?... Je voulais l' aider, avec les cartons...

Elle s'est décalée sur le côté et je suis entrée.

- Tu n' as jamais su nous différencier hein ?

Elle m'a demandé sur un ton de reproche me faisant froncer les sourcils.

- C'est moi qui déménage Naelasia.

- Mais la dernière fois que j'ai vu Emma...

- Que tu as vu Evva. C'était moi à l'hôpital. Tu as parlé avec moi. Pas Emma.

Elle s'est ensuite retournée, faisant virevolter ses longues tresses attachées, me laissant plantée dans le salon.

J'ai eu honte vous savez..

Nnieje