C'était déroutant.

Le jeune homme ne savait comment réagir face à cette impression qui l'avait frappé, quelques minutes auparavant. Marquée dans son esprit, insinuée sous sa peau, étrange.

Plus il tentait de comprendre son origine, moins il y comprenait quelque chose. Il était perdu, chamboulé. La vérité était là : il était figé. Il fallait pourtant bien qu'il réagisse, donne un quelconque signe de vie.

Il était resté cloîtré là, devant la devanture du magasin pendant de longues minutes. Sa présence et son immobilité attirait sur lui de nombreux regards curieux. Ça aurait dû le faire réagir et passer son chemin.

Mais il était simplement figé. Il bougea pour la première fois lorsqu'il vit l'objet de son tourment s'avancer vers lui. La porte du magasin s'ouvrit, faisant retentir le doux bruit d'une clochette.

«Je peux vous aider ?» Il se surprit à écarquiller les yeux. Il était certain d'avoir déjà entendu cette voix. Douce, cristalline. Une main passa devant ses yeux plusieurs fois, le faisant alors prendre conscience de la situation.

«Euh.. Je..»

Un sourire poli orna les lèvres du jeune homme qui se trouvait face à lui. Il déglutit, rassemblant avec difficulté toutes ses forces dans le but de former une phrase cohérente.

«J'aimerais entrer.»

Un léger rire s'échappa des lèvres du barista qui se décala pour le laisser entrer. Il resta figé une seconde fois. Ce rire..

Il s'empressa d'entrer dans le magasin.

Jeon Jungkook était un jeune homme passionné, vivant. Il aimait les choses simples et passer du temps avec des personnes qui comptaient pour lui. Il aimait se balader en fin de journée, la musique dans les oreilles.

Mais Jungkook n'était pas un homme d'habitudes, non. Il aimait la nouveauté, changer d'endroit où se poser, tourner une rue plus tôt pour découvrir, pour voir. Il aimait ça, découvrir, être surpris.

Arriver dans cette rue aurait été un pur hasard s'il n'avait pas eu l'impression qu'il devait s'y aventurer. S'il n'avait pas été mu par cette volonté de s'y rendre. Alors, quand il était passé devant ce café aux couleurs claires et modernes, il n'avait que pu s'y arrêter.

Il remercia avec un sourire maladroit la personne qui lui apporta son cappuccino, son regard divaguant vers la silhouette se dessinant derrière le comptoir. Il ne comprenait pas. Il n'était pourtant pas du genre à être émerveillé -c'était le mot- par quelqu'un. Il était plutôt du style à ce qu'on soit fasciné par lui. Jungkook n'était pas hautain, loin de là. Les gens avaient simplement tendance à vouloir lui parler, faire partie de son entourage, être proche voire intime avec lui. Ça ne l'avait jamais intéressé. Presque jamais. Alors, cette sensation, toute nouvelle, lui plu autant qu'elle lui fit peur. Il détourna rapidement les yeux quand son regard accrocha le sien, se rendant rapidement compte qu'il devait paraître bien étrange.

La seconde fois, il ne fit pas la même erreur. Il entra directement dans le café, appréciant l'odeur qui vint chatouiller ses narines.

Il ne le vit pas. Son cœur se serra légèrement à cette pensée, qui le contrariait plus que souhaité.

Son bon sens revint toutefois rapidement. Il avait beau avoir eu cette impression de le connaître, la première fois; ça n'avait été qu'une impression. Il ne devait pas se sentir déprimé pour la simple absence de l'employé. C'était futile.

Pourtant, alors qu'il s'était dirigé pour commander, elle le frappa de plein fouet. Cette impression de déjà-vu.

Il l'aperçut, là, sortir de la petite cuisine et croiser son regard. Un sourire poli se forma aussitôt sur les lèvres du garçon qui travaillait ici, faisant louper un battement au cœur de Jungkook.

«Comme la dernière fois ?» Demanda l'inconnu. Jungkook dû se faire force pour lui répondre, un peu abasourdi par le fait que le serveur puisse se souvenir de ce qu'il avait commandé l'autre fois.

«Oui, merci.» Il tenta un sourire mais se résigna lorsqu'il comprit qu'il se ridiculisait. Le rouge aux joues, il partit s'asseoir près de la fenêtre, la musique dans les oreilles. Il ne se sentait pas dans un état formidable, mais le voir.. C'était à la fois soulageant et tiraillant. Il ne comprenait pas pourquoi il réagissait comme ça.

Il releva les yeux lorsque quelqu'un se posta devant la petite table de deux places. Le jeune homme en question se trouvait, là, une boisson fumante entre les mains. Les reflets bleués de sa chevelure grise firent fondre Jungkook.

Ce petit jeu dura plusieurs jours de suite. Chaque soir après les cours, il venait boire un cappuccino et contemplait l'inexplicable.

Jusqu'à ce qu'il n'ait plus le temps de prendre une pause après l'école. Jusqu'à ce qu'il soit bien trop débordé et que ses engagements ne le rattrapent.

Pendant plusieurs jours il s'était efforcé de rentrer directement chez lui sans passer par cette rue, mais cette fois-ci, lorsque la journée fut atroce et l'envie irrésistible, il tourna dans la ruelle qui enchantait ses yeux. Son cœur battait la chamade alors qu'il reposait correctement son sac sur son épaule. Il entra et croisa directement son regard, la joie l'envahissant doucement. Il lui avait manqué.

Il partit commander.

Il fut surpris de le voir à nouveau venir le servir lui-même.

«Merci.» Bafouilla le brun.

«Pas de quoi.» Cette fois-ci, le sourire du jeune homme fut moins poli, et bien plus charmant. Son cœur loupa un battement alors qu'une pensée bien précise se formait dans son esprit embrouillé : cet homme était irréel.

«Tu n'es pas venu pendant un moment.»

Jungkook retira son dernier écouteur, surpris par le fait qu'il puisse avoir une discussion plus longue avec lui. «J'étais occupé.»

«J'ai vraiment cru que mes cappuccinos ne te plaisaient pas.» Rit doucement l'inconnu.

«Non, absolument pas ! Ce sont les meilleurs que j'ai pu goûter.» Répondit-il sans se soucier de sa franchise. Un doux sourire se forma sur les lèvres du barista.

«J'en suis ravi alors.»

Le café était petit, mais plusieurs personnes y travaillaient et préparaient les boissons. Les cappuccinos, eux, avaient toujours été faits par lui. Celui qui l'obsédait bien plus qu'il ne l'avouerait. Et ça le chamboulait autant que ça lui plaisait.

«Tu t'appelles comment ?» Demanda doucement le jeune homme à la chevelure argentée.

Jungkook sursauta.

«Jungkook.»

«Enchanté Jungkook. Moi c'est Jimin.»

Le sourire qui accompagnait la parole de ce fameux Jimin lui retourna l'estomac.

«J'aime beaucoup.» Répondit-il sans penser, avant de poser une main devant sa bouche.

«Merci.» Rit doucement Jimin, surpris par la réponse du brun.

Ils s'observèrent un instant dans un silence loin d'être gênant. Un silence étrangement appréciable.

«Je dois y retourner. J'espère te revoir demain.» Glissa le plus âgé avec un doux sourire.

C'était illégal de sourire autant, surtout de cette façon. Jungkook hocha doucement la tête.

Il n'arrivait pas à se l'enlever de la tête. C'était plus fort que lui. Il l'intriguait, cette impression de déjà-vu l'intriguait, tout l'intriguait.

Il était perdu.

Il était chamboulé.

Il était tout simplement attiré par cette incompréhension. Par Jimin.

La journée se passa mal. Une mauvaise nouvelle, entre-autre. Il n'avait pas brillé à un examen, s'était disputé avec un ami. Mais le pire, le pire. C'était qu'il avait oublié son parapluie.

C'était d'une humeur massacrante qu'il entra dans le magasin à une heure tardive, appréciant toutefois le doux bruit de la clochette. Dégoulinant d'eau, les cheveux et habits trempés, il se dirigea vers le comptoir.

«Un café s'il-vous-plaît.» Déclara-t-il d'une voix monotone à un employé du café. «Fort.»

Il se dirigea à sa place habituelle, près de la fenêtre. Il entreprit de retirer sa veste trempée, se retrouvant à contre-cœur en simple tee-shirt.

Il grelottait. Il se sentait mal.

«Jungkook ?»

Il releva doucement les yeux et croisa le regard inquiet de Jimin.

«Tu n'avais pas de parapluie ?»

Il secoua doucement la tête de gauche à droite, attrapant avec hâte le café brulant entre ses mains glacées, frôlant la main de Jimin qui écarquilla les yeux.

«Tu es gelé.» Constata-t-il.

«Je suis désolé.» Murmura-t-il. Il ne savait pas trop pourquoi il s'excusait.

«Ne bouge pas.»

Jungkook observa Jimin disparaître derrière une porte. Quelques secondes plus tard, il revenait, un sweatshirt en main.

«Tiens, mets ça. Ça devrait t'aller.» Il observa le tissu qu'il lui tendait avant de le prendre entre ses mains.

L'habit était ample sur lui. Une douce et familière odeur parvint à ses narines; l'odeur de Jimin. Son parfum. Celui habituellement couvert par l'odeur de café et de pâtisseries.

Irrésistible odeur.

«Merci, vraiment.. Je te le rends dès que possible, promis.» Déclara Jungkook, particulièrement gêné.

Jimin sourit.

«Tu me le rendras quand tu viendras prendre un café.» Commença Jimin avant qu'un doux sourire ne se forme sur ses lèvres. «Je sais que tu reviendras, de toute façon.»

Jungkook se mit à rougir doucement. Il hocha la tête, pour affirmer les dires de Jimin. Même s'il savait que sa réaction corporelle était amplement suffisante.

«Tiens.»

Il releva la tête. Jimin lui tendait un bout de papier sur lequel étaient inscrits quelques numéros. Son cœur se mit à battre plus rapidement.

«N'hésite pas. Si tu as besoin.» Déclara Jimin d'une voix douce. Il lui souriait. Il semblait comprendre qu'il n'était pas au meilleure de sa forme.

Jungkook acquiesça. Le fait que Jimin lui donne son numéro lui arracha un sourire qui ne passa pas inaperçu aux yeux de ce dernier.

Il s'affala dans son canapé, appréciant le fait que son chat vienne aussitôt se blottir contre lui, ronronnant paisiblement. Il ferma les yeux et huma l'odeur qui persistait sur le sweatshirt rose. Il les adorait. Tant l'habit que le parfum de son propriétaire.

Alors, bercé par les ronronnements et cette odeur familière, il s'endormit sans plus de précaution.

Quelques jours passèrent. Il avait eu l'occasion de rendre un travail pour compenser sa note peu brillante. Il avait invité son ami pour pouvoir mettre les choses au clair. Taehyung avait été plus que mature et était venu. Ils avaient pu se réconcilier.

Tout semblait revenir à la normale.

Si ce n'était ce manque.

Grandissant. Chaque fois plus important.

Ce manque qu'il n'aurait pas dû ressentir. Ce manque si intense qu'il lui semblait le ressentir depuis des années. Incohérent.

Il observa la poche de sa veste avant de se précipiter vers elle, attrapant le bout de papier froissé. Il observa la suite de numéros attentivement, pensif.

Il tapa un message et le relut des dizaines de fois, s'assurant de sa perfection. Il avait besoin de lui parler, de le voir.

"Salut. C'est Jungkook. Je voulais encore te remercier pour ton pull, c'était vraiment très gentil de ta part. Je n'ai pas encore eu l'occasion de venir au café pour te le rendre, désolé."

Il pressa la touche d'envoi, le stress l'envahissant tout doucement.

La réponse vint une dizaine de minutes plus tard. "Ah, Jungkook, je me demandais quand je recevrai un message de ta part. Je suis content que tu l'aies fait. Pour le pull, pas de problème. Si tu ne peux pas venir au café on peut toujours se voir ailleurs. ;)"

Il déglutit, observant la proposition explicite de sortie que Jimin lui faisait. Ou alors se faisait-il des films ?

"Seulement si tu en as envie." Envoya-t-il.

"Si je le propose, c'est que j'en ai envie tu sais ?Je suis dispo ce soir, si ça te va."

Il lança un coup d'œil à son horloge. Il était encore tôt.

"Ça me va. Si tu veux tu peux venir manger chez moi ?"

La réponse vint aussitôt. "Ça me ferait beaucoup plaisir."

Jungkook se mit à sourire niaisement devant son mobile.

Il n'avait pas pu cuisiner car d'une il ne savait pas cuisiner; et de deux, il était bien trop nerveux pour tenter. Jimin avait proposé de ramener à manger. Il adora ceci et s'empresserait de l'inviter manger, si toutefois ils venaient à se revoir.

Il s'était empressé de ranger tout son appartement, nettoyant chaque recoin avec précaution.

La douche avait été rapide mais soigneuse, sa tenue choisie avec attention.

Il s'était alors assis devant sa télévision, attendant que le jeune homme troublant ses pensées n'arrive. Il se triturait les doigts constamment, se surprenant lui-même à parfois se ronger un ongle.

Il ne savait plus quoi faire pour atténuer ce stress grandissant, rongeant.

Il paniquait.

Il appréhendait.

Il voulait.