Après avoir été guidés jusqu'au reste de leur groupe dans un recoin du campement où cinq tentes étaient rapidement dressées pour eux, Sieg Bélial et Anoro s'empressèrent d'exposer ce qu'ils venaient d'apprendre. Udia en particulier fut excitée d'en apprendre autant et écrivait furieusement dans un carnet, un sourire presque indécent sur son visage.

– C'est ab-so-lu-ment fascinant ! Un peuple formé de plusieurs nations sous l'égide d'un souverain ultime ? Je n'aurais jamais cru que les démons avaient une telle organisation ! Et le Ténèbraile ! La forme démoniaque du véritable souverain ! Ce que j'ai hâte de l'admirer de mes propres yeux !

– Ouais, ben justement, il faut qu'on parle de ça... lâcha Farca avec moins d'entrain. On est bien sûrs que c'est une bonne idée de les suivre comme ça ? On ne sait pas s'ils nous racontent la vérité, et même si c'est le cas, qu'est-ce qui nous prouve qu'ils ne vont pas nous la faire à l'envers à la première occasion ?

– Je partage son avis, admit Lorelya. Et puis, j'ai grandis avec les intrigues politiques, c'est déjà assez dangereux quand la souveraine est bien portante et au sommet de sa puissance, mais là... Nous devrions y aller alors que le prochain monarque suprême va être désigné ? Même les vipères ne voudront pas s'approcher de ce nid là !

– Affirmatif ! Cependant, Si Nous Nous Débrouillons Bien, Cette Opportunité A Quatre-Vingt Virgule Quinze Pour-Cent De Chance De Nous Aider À Trouver La Porte.

– Je rejoins l'avis d'Adam, nous ne pouvons pas laisser passer cette chance, même si le jeu sera risqué, déclara Ahmés. De toute façon, nous devrions commencer à être accoutumés aux missions avec une dimension politique absurde...

Sieg hocha la tête, voyant que quatre membres des Déicides étaient partagés entre la prudence et le potentiel bienfait de cette opportunité. Il jeta un regard en coin à sa partenaire et vit qu'elle avait un air songeur. Quand elle remarqua qu'il la fixait, elle sursauta et se gratta la tête.

– Bah tu sais, moi, les trucs compliqués comme la politique, c'est pas mon truc... Mais si on doit surtout empêcher un type bien de se faire zigouiller, ça me dérange pas. S'il veut changer les choses ici, je veux bien l'aider. Je veux pas que mon peuple continue de s'entre-tuer pour les conneries d'un tocard qui devrait même pas être roi !

– Par pitié, ne répètes pas ça devant lui si on le croise à Eclipsia... se morfondit l'archère qui se savait déjà vaincue dans ce débat.

– Pourquoi je ne suis pas surprise... soupira l'alchimiste. Notre Bélial qui veut sauver tout le monde...

– Alors nous allons jouer avec le feu et accepter leur proposition, d'accord ? annonça Sieg en hochant la tête. Je suis cependant conscient que nous risquons gros ici. Ce ne sera pas comme à Hydralia où nous étions l'escorte officielle de la princesse d'une nation qui a confiance en nous. Même chez les sylvériens, nous disposions d'un minimum de sécurité diplomatique, mais ici, nous n'avons rien. Oublions le fait que nous ne savons pas avec certitude si les rebelles sont vraiment de notre côté, si nous froissons le mauvais souverain pendant une réunion aussi importante, nous risquons de devenir les ennemis de tout un monde.

– Et c'est avec cette équipe que tu veux y aller ? demanda sournoisement Farca en désignant ses compagnons. Autant leur envoyer directement une déclaration de guerre, on y gagnerait du temps...

– Ce que tu peux être négative... ricana Lorelya en s'étirant. Mais bon, vous avez tous les deux raison, nous allons devoir rester très prudents si on veut éviter les ennuis...

– Je ne sais pas pourquoi, mais je suis étonné que vous ayez mis autant de temps avant de nous impliquer dans un conflit majeur... marmonna Anoro. Pourtant, c'est loin d'être ma première mission avec vous...

– Qui a faim ? cria Wadro en approchant du groupe accompagné de trois personnes qui portaient comme lui des plateaux. J'imagine que vous devez avoir envie de vous remplir la panse !

– T'as pas idée ! déclara Bélial en arrachant presque l'assiette des mains de la personne qui la servait avant de fixer son repas. OK, c'est quoi ça ?

– Vous n'avez pas de vasar dans le monde de la lumière ? s'étonna Wadro en désignant des boulettes roses à la surface dure. C'est pourtant un légume très répandu ici ! Et très nutritif et sucré !

– Ah ben si c'est sucré, c'est parfait ! s'extasia la jeune femme avant de croquer dedans avec un air ravi.

– Ravi que ça vous plaise ! Alors, vous avez eu le temps de discuter ?

– Oui, et nous comptons accepter, répondit Sieg. Nous devons trouver la porte au plus vite, alors si nous pouvons nous allier au prochain Ténèbraile, le jeu en vaut la chandelle.

– Parfait ! En plus, ce voyage à Eclipsia coïncidera avec le défi de Tarkar, nous ne pouvions pas mieux tomber ! C'est au tour des démons de s'en charger cette année !

Wadro mâcha un vasar avant de se rendre compte que plusieurs regards blancs étaient posés sur lui. Il se dépêcha d'avaler sa nourriture avant de balbutier.

– Ah oui, évidement, vous ne savez pas de quoi je vous parle...

Toutes les têtes secouèrent pour attester de leur ignorance.

– Bon, avez-vous déjà entendu parlé de Fauvia, la déesse des bêtes ? Et bien, comme certaines déités, elle aime désigner un champion pour exprimer sa volonté dans le monde des mortels. Il y a des millénaires, longtemps avant même que Grégorio ne naisse et unifie les démons, elle a choisi un homme dragon du nom de Tarkar pour la représenter. C'était déjà un guerrier redoutable avant ça d'après les histoires, alors recevoir la bénédiction de Fauvia n'a fait que le rendre presque invincible. Doté des capacités de toutes les créatures qui existent, il était capable de s'adapter à tous les combats et n'a jamais connu la défaite. Mais un jour, Fauvia a décrété qu'elle se désintéressait du monde des ténèbres et s'en éloignerait pour un temps. Elle a accordé une longévité éternelle à son champion en lui promettant qu'elle le retrouverait un jour, mais Tarkar s'est quand même senti trahi.

– Je ne suis pas étonné... grinça Sieg avec humeur. Les dieux, il faut s'en méfier... Baissez votre garde, et vous vous retrouvez emprisonnés pour l'éternité avec des monstres pour seule compagnie...

Wadro haussa un sourcil en détaillant Sieg, ne voyant pas où il voulait en venir. Le démon décida de laisser cela de côté et reprit.

– Alors, fou de rage, Tarkar s'est mis à tout dévaster, déversant sa colère sur le monde des ténèbres qui ne pouvait pas le contenir. C'est alors qu'une sage démoniaque s'est dressée devant lui et lui a proposé un marché. S'il acceptait d'épargner le monde des ténèbres, il serait adulé comme un dieu. Je pense que Tarkar devait voir ça comme une vengeance contre celle qui l'a abandonné parce qu'il a accepté, mais il y a mis une condition. Chaque année, le meilleur guerrier devrait lui être envoyer pour prendre part à un duel à mort. Il a cependant accepté que chaque année, ce soit une race différente qui lui envoi un champion à affronter. C'est ainsi que chaque année depuis, les démons, les hommes-dragons et les elfes noirs se relayent pour lui fournir des adversaires dignes de lui. Grâce à ses pouvoirs, Tarkar peut projeter sur les lunes l'affrontement pour que le monde puisse admirer le combat et voir combien il est puissant. Et vu qu'il se bat depuis plus de dix mille ans sans jamais être vaincu, il est rentré dans la légende comme étant le guerrier le plus puissant du monde des ténèbres, et peut-être même celui de la lumière.

– Bah tu m'étonnes, vu que Fauvia l'a rendu immortel avant de le quitter... souligna Farca en levant les yeux au ciel. Ça doit être facile d gagner un combat à mort avec un atout comme ça...

– Non, je ne crois pas qu'il est immortel, intervint Sieg. Wadro a dis qu'il avait une longévité éternelle, ce qui n'est pas la même chose. Je pense que ça veut dire que si personne ne lui porte une attaque mortelle, il continuera de vivre, c'est bien ça ?

– Exactement ! Sinon, le combat serait truqué. Ah, je me souviens encore du combat de l'année dernière ! Le représentant des elfes noirs était formidable, mais comme toujours...

– Et vous arrivez à trouver des volontaires pour le massacre ? s'étonna Lorleya. Parce que franchement, votre histoire ne me donne pas envie de devenir le meilleur guerrier...

– Oh ne vous en faites pas, ça n'a jamais été un problème ! Je ne sais pas quand ça a commencé exactement, mais les plus importantes familles du monde des démons ont décidé que leur second enfant serait entraînés spécialement pour un jour être potentiellement désigné à affronter Tarkar. Dès leur naissance, ça devient leur raison d'être et ils sont autant choyés que leurs aînés. Et quand on est désigné, on apporte honneur et gloire a sa famille qui a en plus droit à une compensation. Alors oui, nous parlons d'envoyer des gens se faire massacrer contre un ennemi trop fort pour de simples mortels, mais si nous ne tenons pas nos engagements, ce même guerrier pourrait décider de reprendre le carnage qu'il a commencé il y a longtemps. Sans oublier la gloire qui viendrait avec un exploit que personne n'a jamais réussi à accomplir. Imaginez le prestige qui viendrait avec une telle victoire ! La personne qui arriverait à enfin terrasser Tarkar serait à jamais connue comme le plus grand héros du monde des ténèbres !

– Non Bélial, nous n'allons pas te laisser l'affronter...

La barbare se crispa en découvrant que son partenaire avait lu en elle comme dans un livre ouvert. Elle se tourna vers lui avec un sourire gêné qui l'exaspéra.

– Tu ne crois pas que nous avons assez d'ennuis comme ça ? Alors oui, vaincre Tarkar nous donnerait une tribune inégalable pour demander de l'aide au monde entier, mais esct-ce que ça en vaut le risque ? Il me semble que ce duel se fait en un contre un, et des ennemis de son niveau, c'est à peine si on peut les vaincre en équipe, alors tu oublies Tarkar et tu manges tes vasars, tu veux bien ?

Avec une mine boudeuse, Bélial se remit à manger sous le regard sidéré de Wadro.

– De toute façon, le guerrier de cette année a déjà été désigné, développa-t-il. Jordis de la famille Heron est un excellent lancier qui n'a pas d'égal. Bon, personne ne croit qu'il pourra gagner, mais il devrait largement combler les attentes de Tarkar. Il devrait d'ailleurs rendre visite au Ténèbraile en personne avant son combat comme le veut la coutume. Nous devrions avoir la chance de le croiser juste avant son combat.

– Alors oui, lui, tu as le droit de l'affronter, déclara Sieg au grand plaisir de la démone. Mais seulement s'il accepte ! Ne vas pas déclencher un incident majeur juste pour voir ce que valent les guerriers de ce monde.

– Ah, un duel entre deux Âmessombres... se mit à rêver Wador. Parce que oui, Jordis en est un, lui aussi. Il a bien de la chance d'être né dans une famille influente...

– Tiens, maintenant qu'on parle de ça, quelque chose me turlupine, s'exprima Ahmés. Belba semblait savoir que Bélial est une Âmessombre avant même que nous n'abordions le sujet. Existe-t-il un moyen de les identifier, même à distance ?

– Avec de la magie, oui, acquiesça Wadro. Heureusement, seuls les meilleurs mages en sont capables, mais il est possible de sentir la présence des Âmessombres. Si c'était trop facile, vous pouvez me croire quand je vous dis que les Cendressangs auraient massacré la plupart d'entre nous.

– Et à part vous, Belba et Crodan, y-a-t-il beaucoup d'Âmesombbres dans la rébellion ? s'enquit de savoir Anoro.

– Crodan ? s'esclaffa Wadro. Non, lui, c'est un Rochechair. Et de ce que je sais, il y a quelques dizaines d'Âmessombres réparties dans plusieurs équipes comme la notre, je ne pourrais pas dire combien nous sommes exactement.

– Ah bon ? s'étonna le soldat. Parce qu'à entendre Belba, elle méprise les Cendressangs parce seuils seraient inférieurs, alors vu comment elle regardait Crodan...

– Ah ! s'exclama Wador en se frappant la cuisse. Oui, je comprends d'où vient l'erreur ! Alors elle n'est pas raciste exactement ! C'est juste qu'elle préfère ses hommes... Bien battis, vous voyez ? Alors comme les Cendressangs n'entraînent pas souvent leurs corps, elle s'en désintéresse complètement et les méprise vu qu'ils ne sont pas de vrais hommes, comme elle le dit. Par contre, si vous êtes assez musclé à son goût, elle ne va pas vous lâcher ! Alors évidement, Crodan l'a en permanence sur le dos...

Les Déicides et Anoro fixèrent le démon avec un air consterné. Udia se contenta de dire qu'elle comprenait le point de vue, même si elle ne discriminait pas autant personnellement. En voyant le regard que la chercheuse leur lançait, à lui et sa partenaire, Sieg se sentit soudainement fort mal à l'aise.