Definitly yours
Le cliquetis de bottes claquant contre le sol froid du bâtiment résonnait particulièrement dans le silence du hall d'entrée. Chuuya Nakahara était plus qu'en colère, ne cessant de marmonner des « c'est sa faute » dans sa barbe inexistante.
Sa colère était telle qu'elle en faisait trembler les murs. Plus personne ne parlait, se contentant de le laisser passer afin de ne pas être l'heureux élu qui subirait ses foudres. Les secrétaires ne décrochaient plus le téléphone, les subalternes baissaient la tête et même le soleil se dissimula derrière quelques nuages.
En effet, le jeune capitaine était connu pour son impulsivité et sa facilité à tuer quiconque se dressait sur son chemin. Au final, si pendant un moment il avait voulu se débarrasser de cette réputation, aujourd'hui elle l'arrangeait bien.
Il appuya avec une rage non-contenue sur le bouton d'appel de l'ascenseur. Si l'engin avait été doté d'un souffle de vie, nulle doute qu'il aurait rendu son dernier soupir. Le rouquin ne cessa de martyriser la pauvre commande – il n'avait jamais fait cas du matériel et ce n'était pas aujourd'hui que cela commencerait.
Enfin la cabine censée le conduire à l'étage le plus haut du QG de la mafia portuaire arriva avec son sempiternel tintement. Le rez-de-chaussée tout entier repris son souffle lorsque le capitaine s'engouffra dans l'ascenseur. Une fois de plus, ils avaient échappé de justesse à sa fureur destructrice.
Pendant ce temps, Chuuya, toujours plus impatient, tapait du pied en regardant les étages défiler sous ses yeux céruléens. Parfois, il stoppait tout mouvement, fixant le tapis rouge aux motifs incompréhensibles. Sur son visage se dessinait une expression mêlant douleur, réflexion et agacement. Pourtant, tout au fond de son regard une légère pointe de quelque chose d'autre se dessinait. De la nostalgie ? De l'affection ? De la tristesse ? Qui donc pouvait bien savoir.
Ce fut avec frustration, impatience et soulagement qu'il accueillit le ting indicateur de la fin – ou du début selon les points de vue – de son supplice. Les portes s'ouvrirent et le tintement repris. Rejettant d'une main gantée son long manteau noir, il dépassa les quelques gardes sans même leur accorder un regard.
Face à lui, se dressait son dernier ennemi : une grande porte de bois massif ornée d'une jolie poignée dorée. Il toqua contre celle-ci puis poussa le battant. Au diable les bonnes manières, il était en colère et il allait le faire savoir ! Le Nakahara poussa un long soupir puis se défit de son chapeau.
Malgré tout, il ne pouvait s'empêcher d'exécuter cette marque de respect envers son boss. Pour accentuer cela, il s'agenouilla, ses pupilles bleutées rivées sur le sol.
Ôgai Mori était ce que tout le monde s'accordait à appeler un salaud. Il n'avait eu aucun scrupules à assassiner son prédécesseur pour prendre sa place et commettre bien d'autres actes immondes qui lui avaient valu d'être haïs de – presque – tous.
Le pire de tout avait évidemment été le départ d'Osamu Dazai, le plus jeune capitaine que la mafia eut jamais connu. Provoquer la mort de Sakunosuke Oda n'avait peut-être pas été la meilleure de ses idées et Chuuya n'arrivait toujours pas à digérer le départ de son partenaire.
Car Dazai avait toujours été plus qu'un ami, il était son partenaire, sa moitié, celui à qui il devait la vie et qu'il remerciait en sauvant la sienne. Tous deux avaient partagé quelque chose de si fort que nombreux étaient ceux qui étaient incapables de le concevoir. Qui donc pouvait imaginer accepter de ne plus être celui en charge de sa propre vie ?
Bien sûr, officiellement le rouquin était heureux que la "momie" ne quitte la mafia. Il fanfaronnait, se pavanant dans les locaux mais ceux-ci étaient hantés par sa présence, la vérité c'est qu'il lui manquait atrocement. L'amertume coulait dans ses veines et une petite voix lui soufflait sournoisement, chaque fois qu'il ne surveillait pas ses pensées, qu'il l'avait à son tour abandonné.
Mais Chuuya était bien forcé de respecter le parrain un peu fou qu'il servait. Il était, à ses yeux, le plus grand chef que la mafia ait connu et, en ça, il était dangereux. Il savait à la perfection ce qu'était un dirigeant et ce qu'il devait faire. Il était prêt à tout pour son organisation et ça, l'ancien chef des Brebis ne pouvait que l'admirer.
Alors malgré l'animosité qu'il éprouvait à son égard, il restait fidèle envers et contre tout. « Un bon petit toutou » aurait dit son ex-partenaire.
Le capitaine se fit brusquement sortir de ses pensées par un Mori un peu trop joyeux à son goût qui lui demanda son rapport sur la mission qu'il lui avait confiée, alors même qu'il connaissait déjà la réponse.
– La mission est un échec, cracha le Nakahara.
L'homme aux yeux pourpre se délecta de son expression folle : une colère pure dirigée vers une seule et unique personne. Osamu Dazai, électron libre de la vie de Chuuya qui s'amusait à lui mettre des bâtons dans les roues dès qu'il le pouvait.
Et pour cause ! Le brun avait osé envahir ses pensées, le déconcentrant totalement. Il avait même failli se prendre une balle perdue, lui, le grand – au sens figuré – Chuuya Nakahara ! Il était passé à cinq centimètres de l'impossible.
Il n'avait jamais, au grand jamais essuyé d'échec aussi cuisant. Même s'il détestait l'admettre, lorsqu'il avait encore le suicidaire comme partenaire il n'avait pas raté une seule mission.
Sans une once de délicatesse, Mori l'expédia hors de son bureau. Sa chère et tendre Élise venait d'entrer, chassant immédiatement son sourire carnassier pour un autre bien plus doux. Le mafieux se convint alors que rentrer par le port serait une bonne idée. Il avait besoin de se calmer et quoi de mieux pour cela que l'astre en déclin ?
Ce spectacle l'avait toujours aidé à redescendre en pression. Il aimait cette frontière qui se dessinait entre le jour et la nuit ; elle lui rappelait drôlement son rôle d'intermédiaire entre la fureur du dieu des calamités, Arahabaki, et l'humanité. Cet équilibre était si difficile à garder... Plus d'une fois, il avait songé à abandonner.
Il avait voulu tout lâcher, cette vie, ces gens, cette malédiction. Mais à chaque fois quelqu'un s'était interposé. A chaque fois il avait été là pour lui imposer des limites. A chaque fois, Osamu avait été là pour le ramener avant qu'il ne perde définitivement pied.
Il se fustigea mentalement. Une fois de plus, son ancien coéquipier avait investi ses pensées et ne semblait pas près d'en bouger. Il en oublia même le paysage qu'il était venu contempler.
– Mon pauvre Chuuya t'es complètement barré, s'exclama-t-il à voix haute. C'est pas difficile de virer une momie de ses pensées si ?
Il alla jusqu'à se gifler lui-même, tenant son précieux chapeau bien fixé sur sa tête. Mais ce geste était vain.impossible de dégager Osamu de ses pensées. Lui qui n'aimait pas réfléchir, il était bien.
Avant, dans leur duo, c'était Osamu le cerveau, celui qui se creusait la cervelle pour les sortir des mauvaises passes. Chuuya se servait de ses poings et c'était bien suffisant ! Une fois de plus, le brun occupait toute la place dans son esprit. Il devrait bientôt se rendre à l'évidence : il avait des tendances masochistes. Comment expliquer autrement qu'il pense tant à celui qui l'avait trahi ?
Tous ses tourments puisaient leur source en ce jour où il avait revu le détective. Ses doutes, sa colère, le sentiment de trahison ; tout lui était revenu en pleine face comme une claque. La solitude avait envahi chaque parcelle de son corps et depuis le bouffait, le rongeait sans fin.
Comme toujours, son premier réflexe avait été de vouloir le frapper puis – cette fois c'était différent – il avait failli s'effondrer en larmes contre lui. Heureusement il avait retenu ses perles salées et avec elles son honneur ; le brun l'aurait à coup sûr tourné en ridicule, se moquant de sa faiblesse.
Il avait excessivement mal vécu son départ. L'unique personne à qui il avait jamais accordé sa confiance totale l'avait laissé seul face au monde. Seul face à la noirceur de leur monde. Seul face à la noirceur qu'il habitait.
Le roux ne comptait plus le nombre de fois où Kôyô l'avait retrouvé en chien de fusil sur son tapis, enfoui dans les affres de l'ivresse, bordé d'innombrables bouteilles vides, vidé de son âme et de ses larmes.
Et pourtant... Ce lien de confiance qu'ils avaient tissé ensemble au prix nombreux efforts, nombreuses discordes et encore plus nombreuses réconciliations était toujours présent. Chuuya ne savait pas pourquoi il ne s'était pas brisé comme tout le reste – comme lui – mais ce dernier fil, cette dernière connexion entre eux, il la chérissait du plus profond de son être.
Depuis cette entrevue, il n'était pas rare que le mafieux ne retrouve Osamu, tranquillement étendu de toute son excentricité sur son canapé. Chaque fois il crochetait la serrure comme on se servait un verre d'eau et ç'avait le don de le faire sortir de ses gonds. Non, il n'avait pas changé : toujours aussi insupportable et exaspérant. Pour autant, au fin fond de lui Chuuya était vraiment heureux de l'avoir dans son quotidien.
(Pour Mori c'était une autre affaire. Il devait désormais réserver une partie entière du budget aux changements intempestifs de serrure du Nakahara.)
Chuuya fut brutalement retiré à ses souvenirs par un plouf sonore. Instinctivement, il se tourna vers la jetée d'où provenait le bruit. Un léger espoir teinta son cœur mais musella bien vite la petite voix qui lui susurrait que, peut-être, était-ce là l'œuvre d'Osamu. Il était bien trop fier pour l'avouer mais cette idée éveillait en lui plus de sensations qu'il avait pu rêvé ces dernières années.
La vue de quelques mèches brunâtres et bouclées à la surface firent rater un battement à son palpitant. Avant même qu'il ne comprenne ce qu'il se passait, il était à l'eau. Le liquide glacé transperçait ses vêtements sans une once de remords, allant mordre ses os. C'était pourtant bien sa dernière préoccupation car à l'heure actuelle un seul et unique mot marquait son esprit.
Osamu.
Il nagea le plus vite possible, luttant contre le courant que créaient les bateaux qui quittaient le port. Lorsqu'enfin il atteint son niveau, Chuuya se saisit de son col d'un beige immonde – malgré tout le respect qu'il avait pour Oda, cet homme n'avait pas vraiment le sens de la mode – et le tira jusqu'au rivage.
Le rouquin jeta son fardeau sur le côté et s'effondra sur l'herbe à bout de souffle. Après quelques secondes à tenter de reprendre une respiration normale, il se releva et s'empressa d'essorer ses cheveux. Lorsqu'il fut certain que son précieux chapeau – en y pensant il n'était pas allé depuis longtemps sur la tombe de Rimbaud, il irait sous peu – n'avait rien, il se préoccupa de son acolyte que la brise estivale avait commencé à réchauffer.
Celui-ci refusait obstinément de se réveiller, malgré tous les efforts du capitaine. Il commençait sérieusement à douter de sa propre santé mentale. Normalement il aurait dû être heureux que le brun le laisse en paix en réussissant son fameux suicide alors pourquoi avait-il sauté pour le repêcher ?
Son corps avait pris son esprit de vitesse et l'avait propulsé au secours de cette stupide momie couverte de bandages. Oh, il savait bien qu'il était de mauvaise foi mais il était hors de question qu'il accepte d'avoir secouru son camarade sous l'impulsion d'un quelconque sentiment. Il avait déjà trop souffert.
Pris d'un soudain élan de bonté – et légèrement inquiet de son sort – Chuuya attrapa l'ancien mafieux pour le conduire chez lui. Ce qu'il pouvait être lourd ! Personne ne l'aurait cru en voyant sa silhouette élancée mais Osamu pesait son poids. Les quelques forces qui lui restaient de toute cette journée furent cependant suffisantes.
Bon gré mal gré, ils atteignirent l'appartement de Chuuya qui tenta tant bien que mal de sortir ses clés. Il finit par poser son colis humain sur le côté et déverrouilla enfin la porte. Il assit le brun dans l'entrée et s'empressa de lui retirer ses chaussures ainsi que tous ses vêtements mouillés – à l'exception de son sous-vêtement.
L'amener dans son lit fut à nouveau périlleux et nul doute qu'une ou deux lampes avaient dû y laisser leurs ampoules. Tous leurs habits enfin mis à sécher, il s'empressa de retourner au chevet de son invité, s'il pouvait l'appeler ainsi.
Osamu n'avait toujours pas repris connaissance mais sa respiration était régulière, c'était donc signe qu'il se portait à merveille, non ? Son absence totale de réaction l'inquiétait grandement à présent. Était-il toujours ainsi après une tentative de suicide ? Pas dans ses souvenirs...
Chuuya se recroquevilla dans un coin de sa chambre et attendit.
Il attendit une grande partie de la nuit, prostré sur lui-même dans l'obscurité, guettant un quelconque mouvement de la part du détective. Finalement, un froissement de draps attira son attention alors que ses mains tremblaient de plus en plus. Toujous en boxer, il était incapable de savoir si c'était le froid qui lui faisait cet effet ou quelque chose de plus profond encore...
– Je suis où, l'interpella une voix rauque et fatiguée.
– Chez moi, répondit-il en s'asseyant sur le lit.
– Ça y est, je suis mort ? Je peux enfin rêver de ma limace en paix ?
– Va te faire foutre enfoiré de momie, je t'aurais pas laissé couler tu le sais très bien, dit-il en cachant comme il le put ses larmes de soulagement.
Une vague effusion de joie ponctuée d'un léger rire s'échappèrent du brun mais s'évanouirent bien vite alors qu'il retournait auprès de Morphée. Chuuya observa quelques instants ce magnifique visage détendu sur lequel s'échouaient quelques mèches bouclées. Il en retira une des lèvres rosées de l'endormi et commença à s'éloigner, craignant de commettre une action qu'il regretterait le lendemain.
Une main bandée le retint, ponctuée d'un tout petit « Pars pas... »
– Je ne partirais pas, Osamu, jamais, soupira-t-il.
Car oui, il était trop tard, il ne pouvait plus partir maintenant. Son coeur était définitivement tombé pour cet idiot. Il en était follement amoureux, enfin il osait se l'avouer. Le soulagement et l'inquiétude qu'il avait ressenti en le voyant émerger... Il ne pouvait plus se mentir.
Ne trouvant rien de mieux à faire, il s'allongea aux côtés de celui qui avait osé dérober son cœur en otage et se blottit tout contre lui avant de s'endormir à son tour. Juste avant de sombrer, il aurait juré avoir senti une douce pression sur ses lèvres.
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