Chapitre 7 - L'avorton
Il faisait sombre. C'était humide et poisseux, hautement désagréable.
Soudain, une main griffue déchira la fine membrane qui recouvrait le visage d'LK et l'énorme cocon organique qui le retenait prisonnier se délita en lambeaux de chair suintants. Le jeune homme tomba à quatre pattes sur le sol, entièrement nu et recouvert d'un liquide gluant à l'odeur infecte.
Ce n'était toutefois plus vraiment le corps d'un jeune homme car ici il retrouvait son apparence démonique originelle. Sa peau était encore plus pâle que celle de son incarnation dans le monde des humains, mais elle était recouverte d'innombrables tatouages et marques de scarification. Son corps tout entier ressemblait aux pages d'un livre rédigé dans une langue ancestrale oubliée. Sur la tête, il arborait deux impressionnantes cornes striées et recourbées comme celles d'un bouc. Ses oreilles étaient effilées comme un elfe, ses doigts griffus comme un vautour, et sa queue fourchue comme le diable lui-même.
Il toussa et cracha des filets de la même matière poisseuse dans laquelle il avait baigné à l'intérieur du cocon, luttant pour arriver à respirer. Peu d'expériences étaient plus déplaisantes dans l'existence d'un démon que les désagréments liés à la régénération de son corps. C'était le prix à payer pour l'immortalité et le privilège de pouvoir aller s'amuser à l'occasion dans le monde imprévisible des mortels.
Un rire méprisant retentit dans la petite grotte aux parois organiques chaudes et palpitantes comme si elles étaient animées d'une vie propre.
— Belial, cracha LK avec dédain.
— Je vois que l'avorton de la portée s'est encore ridiculisé.
Le démon qui toisait LK était bien plus grand et plus massif que lui. Il avait des crocs ruisselants de bave si démesurés qu'il ne parvenait même pas à fermer correctement la gueule ; et ses pupilles voilées de noir empêchaient de déterminer où il posait vraiment son regard, mettant systématiquement mal à l'aise les gens en face de lui.
LK se redressa avec difficulté ; c'était toujours un peu délicat de maîtriser un corps fraîchement sorti de son cocon. Il écarta les mèches collées sur son visage – ici ses cheveux noirs étaient si ridiculement longs qu'ils frôlaient presque le sol – et dévoila les traits de son visage. Ils étaient identiques à ceux de son incarnation humaine, à l'exception de ses canines bien plus pointues et d'une fente verticale féline au cœur de ses pupilles sombres aux notes tirant davantage vers le rouge.
Sa peau se mit à excréter une épaisse substance noire. Elle se constitua en de multiples rubans et bandes filandreuses jusqu'à recouvrir partiellement différentes zones de son corps, tels des lambeaux poisseux de vêtements déchirés.
— Combien de temps j'ai passé dans le cocon de régénération ? demanda LK avec irritation.
— Presque deux jours, répondit Belial, narquois. Quand je vais raconter aux autres que tu es mort en courant après une humaine tu vas être la risée des enfers pendant des siècles.
L'imposant démon repartit dans un grand rire plein de mépris.
LK ravala son fiel, rien de bon ne pouvait sortir d'une confrontation avec Belial. D'autant plus que c'était la vérité, cette fois il était mort de façon vraiment risible, et c'était déjà sa deuxième imprudence cette année.
Quelques mois plus tôt, il avait perdu son corps de façon stupide dans une rixe avec de banals mortels. C'était d'autant plus humiliant que son incarnation humaine était dotée d'une force bien supérieure à celle d'un simple homme. Il avait toujours aisément le dessus dans les bagarres, ce qui gâchait d'ailleurs un peu le plaisir de ce genre de distraction. Mais cette fois-là, sans doute un peu trop sûr de lui, il avait été négligent et un adversaire qu'il avait sous-estimé était parvenu à le surprendre par derrière et à lui trancher net la gorge.
Assassiné par un vulgaire voyou de bas quartier, c'était déjà un déshonneur immense, mais réitérer l'exploit peu de temps après en passant bêtement sous les roues d'un camion... Mieux valait endurer le reste de l'éternité dans les limbes de l'oubli.
— Aller, va cuver ta honte ailleurs, ordonna Belial en se détournant avec une ironie narquoise. J'ai d'autres régénérations à surveiller, mais aucune aussi amusante que la tienne bien sûr.
Plein d'une rage contenue, LK quitta la petite grotte à l'atmosphère confinée. Il n'eut pas à aller très loin pour tomber sur LN et Zeph qui l'attendaient avec impatience dans le boyau voisin. Le corps de démon d'LN ressemblait beaucoup à celui d'LK, très pâle, tatoué de la tête aux pieds, et partiellement voilé de cette même substance opaque et visqueuse qui faisait office de parure macabre.
En revanche, Zeph se distinguait énormément d'eux. Il était bien plus corpulent que sous sa forme humaine, sa peau purpuracée lui donnait un air écorché vif peu ragoûtant, son visage dépourvu de cornes évoquait quelque chose de porcin avec deux longs crocs sur la mâchoire inférieure qui recouvraient sa lèvre du haut, et contrairement à ses camarades à l'allure épurée il portait une sorte de tunique en cuir usé et de nombreux bijoux piqués autour de ses oreilles pointues.
— Te revoilà enfin ! se réjouit LN. Qu'est-ce qui t'est arrivé l'autre soir ? Belial n'a rien voulu nous dire.
— Je me suis fait piéger par une esbroufeuse d'humaine, avoua-t-il plein de rancœur. Mais elle ne va pas s'en tirer comme ça. Je retourne là-haut dès ce soir. Vous allez m'aider à la retrouver ?
— J'ai d'autres plans, se défila la démone avec une grimace embarrassée.
— Et moi j'ai épuisé mon quota de sorties autorisées, il faut que je retourne au boulot, les âmes maudites ne vont pas se torturer toutes seules... déplora Zeph.
D'accord, ses amis le lâchaient, aucun problème. Il retournerait la Terre entière tout seul si nécessaire. Il retrouverait coûte que coûte cette rouquine qui avait entaché sa réputation et il aurait sa vengeance.
LN observa son camarade fulminant de rage et marmonnant des imprécations dans sa barbe. Ça faisait une éternité qu'elle n'avait pas vu son regard s'animer avec autant de passion et de vie, peut-être que sa mésaventure parmi les mortels avait ranimé une flamme depuis trop longtemps éteinte en lui. Voilà qui promettait quelques étincelles.
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Note : Belial tient un gîte à ses heures perdues, vous pouvez louer un de ses cocons pour vos prochaines vacances si l'expérience vous tente... ^^
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