La jambe d'LK trépidait sous la table, faisant vibrer et s'entrechoquer les verres de cocktail vides. Il s'ennuyait comme un rat mort, LN avait filé en douce et Zeph comptait fleurette à une petite mignonne qu'il avait invitée à le rejoindre sur le sofa.

Tenir la chandelle, très peu pour lui. Il se redressa en percevant un léger craquement dans son dos, il avait passé tellement de temps sur ce sofa qu'il aurait bien pu y finir encastré pour toujours. Zeph avait le nez plongé dans le cou et la chevelure de sa dernière conquête, inutile de chercher à lui parler, il n'aurait pas remarqué une invasion de sauterelles tant il était absorbé par son activité. LK s'éloigna donc vers la piste de danse sans un mot et traversa la salle en décourageant d'un regard noir les séductrices appâtées. Il n'était pas d'humeur à être dérangé, il n'était pas d'humeur à grand-chose ces temps-ci.

LN n'avait pas l'air d'être dans le couloir non plus, il n'y avait que quelques fêtards titubants qui se dirigeaient vers la sortie tout en enfilant leur veste. Et il y avait cette fille rousse pressée qui bousculait tout le monde sur son passage. Deux hommes à la mine patibulaire semblaient la poursuivre. LK croisa le regard déterminé de la fille qui bifurqua tout à coup vers lui comme si elle avait décelé une forme d'invitation tacite dans ce contact fortuit. En l'espace de quelques instants rocambolesques, elle l'avait saisi fermement par le col pour l'attirer à elle et plaquer un baiser impétueux sur ses lèvres.

Laëlle comprit qu'il jouait le jeu quand elle sentit la main de cet inconnu providentiel glisser indécemment au creux de ses reins pour la retenir. Le profiteur ne cherchait d'ailleurs pas du tout à abréger leur baiser qu'il accompagnait avec une fièvre et une malice éhontées.

Quand elle l'avait vu apparaître dans le couloir avec son look de dandy négligé et son petit air arrogant, elle s'était dit qu'il correspondait exactement à ce dont elle avait besoin pour se tirer de ce mauvais pas. Et quand elle avait fugitivement croisé son regard, elle avait eu la conviction qu'elle pourrait compter sur l'aide de cet étranger. Depuis longtemps elle se plaisait à croire qu'elle était un excellent juge de caractère et qu'elle pouvait cerner les gens en une fraction de seconde, non que l'expérience n'ait jamais proprement soutenu cette conviction.

Lentement, Laëlle libéra les lèvres de son complice impromptu. Elle lui adressa un regard appuyé qu'elle pensait vecteur d'un message explicite, mais il se demandait seulement si cette rouquine peu farouche avait bien toute sa tête.

— Léo, tu es enfin arrivé mon chéri ! s'exclama-t-elle en surjouant un tantinet.

Les deux hommes qui poursuivaient Laëlle s'étaient arrêtés devant le couple et examinaient d'un œil soupçonneux le pseudo-fiancé. Ils n'avaient jamais rencontré Léo Valefort en personne mais ses vêtements un peu trop chics pour les lieux et surtout le regard à la fois condescendant et méprisant qu'il jetait sur eux les convainquit qu'ils n'étaient pas en face d'une personne qu'il faisait bon contrarier.

— Monsieur Valefort, la demoiselle est bien votre fiancée ? s'enquit le petit homme au cou tatoué, soucieux d'avoir l'air suffisamment respectueux en s'adressant au jeune esthète.

Voilà une situation qui s'avérait distrayante. LK observa le sourire crispé de la femme à ses côtés, elle le fixait avec les yeux implorants d'un petit chiot plein d'espoir. Il réprima un léger rictus amusé pour maintenir son masque d'indifférence glaciale à l'égard des deux hommes. LK ne savait pas comment interpréter le rôle de ce Valefort dont il ignorait l'identité, mais il avait bien remarqué que ces importuns puaient le danger et que la rouquine comptait sur lui pour l'en débarrasser. Soit, faire peur, c'était dans ses cordes.

— Qu'est-ce que vous voulez à ma fiancée ? demanda-t-il en convoquant toute la noirceur dont il était capable à la fois dans sa voix et son regard.

Laëlle était rassurée de voir qu'elle s'était dégotée un allié de poids, le rôle seyait comme un gant à ce garçon. Elle s'agrippa à son bras et se hissa sur la pointe des pieds pour parler plus près de son oreille en jouant la demoiselle intimidée.

— Je dois de l'argent à leur patron. J'ai promis de rembourser mais ils ne veulent pas me croire.

Les deux brutes rongeaient leur frein. Voir cette arnaqueuse minauder et faire l'innocente devant son fiancé avait de quoi les faire vriller, mais ils ne pouvaient pas se permettre de déraper devant Léo Valefort.

— La parole de ma fiancée vaut la mienne, affirma LK. Et je suis un homme de confiance, n'est-ce pas ?

— Oui monsieur Valefort, bien sûr, on n'en doute pas, répondirent-ils en bafouillant en chœur.

— Déguerpissez maintenant, ordonna LK.

Les deux hommes se regardèrent dans un moment de flottement puis décidèrent d'un commun accord d'en rester là pour ce soir. Ils saluèrent le couple avec un respect contraint puis quittèrent le bar en lançant un dernier coup d'œil contrarié à la jeune femme ; elle avait eu de la chance cette fois mais ils n'avaient pas dit leur dernier mot.

— Ouf ! soupira Laëlle en relâchant enfin la pression. J'ai cru que je ne me débarrasserai jamais de ces imbéciles.

— Je dois dire que c'était plutôt divertissant de flanquer la trouille à Laurel et Hardy, reconnut son complice.

— Merci pour ton aide, faux Léo, dit-elle en le gratifiant d'une tape sur l'épaule.

— LK, corrigea-t-il.

— Pardon ? interrogea-t-elle en fronçant les sourcils d'incompréhension.

— LK, c'est mon vrai nom.

— Elka ? C'est bizarre comme prénom, jamais entendu.

— Ce sont des initiales, expliqua-t-il avec lassitude.

Et voilà, l'interlude d'amusement était terminé, LK en avait déjà assez de cette conversation sans intérêt. Ça n'avait pas duré bien longtemps même si ça lui avait fait du bien pendant quelques minutes. Déjà il se sentait revenir à son humeur sombre et blasée habituelle. Ne restait plus qu'à se débarrasser de cette petite punaise envahissante.

— Les initiales de quoi ? le relança-t-elle, soudain très intriguée. Oh attends ne me dis pas, je vais deviner !

Elle sautilla sur place, un peu trop excitée par ce mystère à résoudre. Est-ce qu'il avait vraiment bien fait de l'aider ? Il aurait peut-être évité ce moment étrange et gênant s'il avait laissé Laurel et Hardy s'occuper d'elle...

— Tu t'appelles... Logan Kevin ! proposa-t-elle avec beaucoup trop d'enthousiasme pour être honnête.

— Tu te fous de moi ?

— Non attends, alors c'est peut-être... Ludwig Kenneth !

Elle se foutait de lui.

Il lui avait évité de passer un mauvais quart d'heure avec deux brutes en rogne contre elle et en guise de remerciement elle se moquait de son prénom comme une collégienne mal élevée. Mais qu'est-ce qui lui passait par la tête ? Il se pencha vers elle en plissant le nez et attrapa l'écervelée par la mâchoire en lui écrasant les joues, une brève inspiration près de son visage stupidement déformé confirma ses doutes.

— T'es saoule, constata-t-il avec détachement.

— Mais pas du tout ! se vexa-t-elle en chassant le bras du malotru pour récupérer son visage malmené.

— Tu sens le rhum... et l'ananas, assura-t-il.

— Je t'ai pas autorisé à me renifler, tu te prends pour un chien de chasse ou quoi ?

— Tu dois plus avoir les idées claires, poursuivit-il sans aucun tact.

— C'est toi qui as pas les idées claires, répliqua-t-elle. Ça se voit, t'as l'air malade, pourquoi t'es si pâle d'abord ? T'es un vampire c'est ça ?

Cette fille était complètement délirante. LK se sentait embarqué dans une scène sans queue ni tête, il n'était pas encore capable de déterminer si ce type de passe-temps était acceptable ou pas tant l'incongruité de cette interaction lui retournait le cerveau. Ça valait peut-être la peine de creuser davantage la question. Mais à peine la rouquine avait-elle éveillé à nouveau l'intérêt du jeune homme qu'elle lui joua un autre tour.

— Hé mais c'est John Seagull, l'acteur principal du blockbuster avec des vampires ! s'écria Laëlle.

Toutes les filles qui se tenaient dans la file d'attente pour les toilettes au bout du couloir se retournèrent subitement, et avant qu'il ait le temps de comprendre quoi que ce soit LK se retrouva encerclé par une horde de fans surexcitées. Sa fausse fiancée d'un soir avait profité de la diversion pour s'éclipser.

Elle s'était bien amusée avec LK le temps de leur petit jeu de rôle mais il était grand temps de disparaître sans laisser de trace. Elle avait déjà atteint la porte de sortie quand elle entendit l'énergumène la héler à travers la cohue :

— Hé la rouquine ! Tu m'as pas dit ton nom !

— Appelle-moi LR ! répondit-elle avant de filer dehors sans se retourner.

LR...

La Rouquine ?

Quelle peste. Elle se sera moquée de lui jusqu'au bout. Non vraiment, il n'y avait aucun regret à avoir, bon débarras.

Les fans du vampire de cinéma avaient commencé à se disperser, déçues de la supercherie. Certaines continuèrent à lui tourner autour malgré tout, agréablement surprises de ne pas y perdre au change avec cet anonyme au moins aussi plaisant à regarder que l'original.

LK fouilla dans ses poches, il avait inexplicablement envie d'un ou deux verres de bon rhum pour se remettre de cette scène aberrante. Mais bon sang où était passé son argent ? Il était pourtant sûr de... La garce ! En plus de s'être fichue de lui, elle avait osé lui faire les poches !

Excédé, LK se rua vers la sortie. Personne ne s'en prenait à lui impunément, jamais. Il allait la rattraper et lui faire ravaler son petit air d'emmerdeuse de première, clouer son bec insolent de sale gamine et la regarder se traîner par terre de honte en l'implorant comme une pitoyable loque de bien vouloir épargner son ridicule petit cul de baratineuse ! Enfin, quelque chose dans ce goût-là en tout cas...

LK bouscula les fumeurs attroupés devant le bar et se précipita au milieu de la rue mais il n'y avait aucune trace de la rouquine. Comment avait-elle pu s'évanouir dans la nature aussi vite ? Frustré comme un chien à qui on a retiré son os, il se retourna dans toutes les directions à l'affût de sa proie. Et soudain, sorti de nulle part, un camion lancé à vive allure entra en collision brutale avec le jeune homme inattentif au milieu de la rue...

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Note : Bon ben voilà il est mort, fin de l'histoire ! ... J'rigooole, revenez quand même pour la suite ^^