Chapitre 3 - Aie confiance
Au premier étage de L'Ailé se trouvait une petite salle de restaurant, façon bistrot à la bonne franquette. A cette heure tardive, ou matinale selon la façon dont on voyait la chose, on n'y servait plus les clients mais la salle restait toujours ouverte pour ceux qui cherchaient un endroit plus calme où se poser.
Dans un recoin, un couple s'embrassait goulument sur une banquette comme s'ils se croyaient dans une chambre d'hôtel. Quelques tables plus loin, un groupe de jeunes riait fort et pratiquait divers jeux d'alcool à base de capsules et de bouteilles plus ou moins vides. Près de l'entrée, une femme à l'air excédé faisait les cent pas en essayant visiblement sans succès de joindre quelqu'un au téléphone.
Enfin, installés près d'une fenêtre, un homme et une femme semblaient engagés dans une conversation formelle. Plusieurs documents papier étaient étalés sur la nappe à carreaux, conférant à la rencontre des airs de rendez-vous d'affaire. La jeune femme replaça discrètement une mèche de cheveux châtain sous sa perruque rousse et rajusta son blazer qui offrait à son voisin une vue sur un décolleté plongeant. Le regard de l'homme ne cessait de s'égarer et de chercher à découvrir s'il n'y avait vraiment aucune autre pièce de tissu sous cette petite veste cintrée au lieu de se concentrer sur les contrats qu'on lui présentait avec professionnalisme.
— Etienne, tu as bien compris que c'est un placement avec un risque vraiment minime, n'est-ce pas ? interrogea la séductrice en posant sa main avec délicatesse sur le bras de sa proie.
L'homme fut pris au dépourvu, il aurait eu honte de lui avouer qu'il s'était laissé distraire et qu'il avait manqué une bonne partie des explications, alors il préférait jouer le jeu et se laisser porter par l'enthousiasme de la belle.
Elle s'appelait Laëlle, il l'avait rencontrée deux semaines plus tôt lors d'un cocktail d'entreprise et était immédiatement tombé sous le charme de cette jeune gestionnaire de patrimoine indépendante. Il s'était senti si flatté lorsqu'elle avait délaissé le bras du directeur de service avec qui elle était arrivée pour s'intéresser à lui. Il l'avait écoutée parler de son métier, du cours de la bourse et de placements financiers pendant une bonne partie de la soirée, même s'il devait bien avouer qu'il n'y comprenait pas grand-chose. Elle avait l'air de savoir de quoi elle parlait en tout cas. Et puis le directeur du service publicitaire lui avait déjà confié une partie de ses économies, alors elle devait être digne de confiance, non ?
Etienne avait toujours eu un faible pour les rousses, ça altérait peut-être légèrement son jugement. Mais il était prêt à prendre quelques risques pour garder l'attention de ces grands yeux verts juste un peu plus longtemps.
— Etienne ? répéta-t-elle avec un doux sourire pour le tirer de sa rêverie.
— Euh oui oui bien sûr, c'est très clair, improvisa-t-il sans réellement savoir à quoi il répondait.
— Si on fait affaire tous les deux, on sera amenés à se revoir régulièrement... suggéra-t-elle, le regard charmeur.
Il était à point, il allait signer et lui confier une coquette petite somme. Ce gars-là avait été la victime la plus facile à laquelle elle s'était frottée depuis un moment. Elle allait se refaire grâce à lui et enfin pouvoir régler quelques vieilles dettes tenaces.
Alors qu'elle se demandait s'il serait judicieux ou non de lui faire un peu de pied sous la table, elle remarqua deux personnages familiers dans le couloir et perdit un peu de sa contenance. Avec empressement, elle attrapa la mallette posée à ses pieds, la renversant à moitié et laissant échapper deux téléphones sur le sol. Elle rangea à la hâte ses affaires éparpillées et se redressa.
— Excuse-moi Etienne, j'ai oublié un rendez-vous très important ce soir, se justifia-t-elle en posant une main tendre sur son épaule. Réfléchis à ma proposition et rappelle-moi vite, on se revoit bientôt.
Elle déposa un baiser rapide sur le front de la proie en sursis qui en resta plantée sur sa chaise comme deux ronds de flan, encore troublée par la douce caresse de la chevelure rousse sur son visage.
Les deux hommes dans le couloir surveillaient les déplacements de Laëlle, ils bloquaient le seul accès à la salle du restaurant et elle n'avait pas d'autre choix que de venir à eux, ce qu'elle fit d'un pas décidé et avec un aplomb feint.
— Parlons plus loin, intima-t-elle en passant sous leur nez sans ralentir et sans leur accorder un coup d'œil.
Le plus grand des deux interrogea du regard son collègue qui compensait sa petite taille et son embonpoint par un tatouage dans le cou ; ça lui conférait un aspect plus menaçant. Ils haussèrent les épaules avec indifférence et acceptèrent de suivre Laëlle un peu plus loin dans l'angle du couloir, hors de vue des occupants de la salle de restaurant.
Dos au mur, la jeune femme se retrouva coincée dans une posture inconfortable entre ses deux poursuivants. Elle résista à l'envie de serrer sa mallette contre elle comme un bouclier rassurant, hors de question de laisser paraître la moindre faiblesse.
— T'es pas facile à retrouver, miss, nota le tatoué en plissant les yeux pour se donner l'air plus sévère.
— Votre patron a mon numéro de téléphone, se défendit-elle.
— Tu réponds jamais, tu lui as donné le bon au moins ? C'est pas très professionnel tout ça.
— J'ai dit que je le rembourserai. Je suis sur un coup, laissez-moi une semaine pour boucler l'affaire.
Les deux hommes de main échangèrent un regard peu convaincu. Cette petite arnaqueuse leur avait déjà filé entre les doigts plusieurs fois, et elle avait embobiné leur patron en lui fourguant une reproduction d'un tableau de maître soi-disant indiscernable du vrai mais qui avait été détecté au premier coup d'œil par un professionnel. Impossible de lui faire confiance. Le plus grand toisa Laëlle en se penchant au-dessus d'elle avec un regard concupiscent, il posa une main sur le mur juste à côté de son visage pour la bloquer.
— Moi je propose qu'on prenne un acompte tout de suite, menaça-t-il avec un rictus salace.
Son camarade tatoué ricana. Il avait bien envie lui aussi de donner une leçon à cette pimbêche manipulatrice, elle méritait de récupérer la monnaie de sa pièce pour les avoir fait tourner en bourrique pendant plusieurs jours alors qu'ils ratissaient la ville à sa recherche. Laëlle sentait la menace s'accentuer, en plus elle devait s'éloigner de ce couloir avant qu'Etienne ne quitte le restaurant. S'il la voyait en mauvaise posture avec ces brutes ça risquait de griller sa couverture et de lui faire perdre sa proie.
— Je ne ferais pas ça si j'étais vous, recommanda-t-elle avec sang-froid. Vous savez que je suis la fiancée de Léo Valefort, non ?
Les hommes de main s'immobilisèrent, la mâchoire crispée. Ça les faisait enrager mais elle avait raison, cette petite peste avait réussi à se mettre dans la poche le fils du chef de la pègre locale, un vrai gros bonnet. Ils ne faisaient pas le poids avec leur patron qui n'était qu'un insignifiant homme d'affaire un peu véreux sur les bords. Ils ne pouvaient pas se permettre de lever la main sur cette fille, aussi exaspérante soit elle, sans risquer des représailles de la part du fiancé et de son influente famille.
Alors que le cerveau des deux brutes semblait souffrir d'un incident technique momentané, Laëlle songea qu'il était temps de pousser un peu sa chance.
— D'ailleurs Léo ne devrait pas tarder, précisa-t-elle. On a rendez-vous ici ce soir.
Elle profita du bref instant de flottement que son annonce avait provoqué pour se glisser sous le bras en travers de son chemin et tenter de s'éclipser au plus vite. Ces deux types allaient rapidement reconnecter les câbles dans leur esprit pataud et chercher à la rattraper, mais elle espérait avoir rejoint une zone peuplée d'un peu plus de témoins d'ici là.
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