Nith se trouvait en-haut du grand escalier qui surplombait la salle de réception. D'ici il pouvait facilement surveiller tout ce qui se passait pendant la soirée des Valefort. Malgré son physique remarquable, personne n'était venu lui adresser la parole, comme si une sorte de filtre l'empêchait de retenir l'attention des gens. Mais ce calme n'allait pas durer car il venait de repérer une silhouette enchanteresse qui grimpait l'escalier pour le rejoindre.

LN soulevait d'une main un pan de sa longue robe noire au décolleté vertigineux, gravissant les marches avec élégance. Elle avait attaché ses fines tresses en queue de cheval et se fondait étonnamment bien dans l'ambiance chic de la soirée malgré l'absence de la moindre concurrence en termes de sex-appeal. La jeune femme vint se placer à côté de Nith et ils continuèrent à surveiller la salle depuis l'étage, côte à côte.

— Ce n'est pas ton style habituel Nabéria, fit remarquer le grand blond pas insensible. Tu es sublime.

— Tu n'es pas mal non plus, complimenta-t-elle en jetant un coup d'œil appréciateur à son smoking.

Un invité arriva en-haut de l'escalier en adressant un regard appuyé à LN mais elle tourna vers lui un visage si belliqueux qu'il repartit aussitôt en sens inverse.

— Tu ne sais pas la chance que tu as de ne pas les attirer comme des mouches, envia-t-elle.

— Ma vie est solitaire, contrebalança Nith. Ce n'est pas forcément plus enviable.

— Alors c'est pour tromper la solitude que tu te retrouves toujours sur ma route ?

Elle avait pris son air taquin qui lui arrachait toujours un sourire malgré lui.

— Je suis vraiment là pour le travail cette fois Nabéria, affirma-t-il. Et toi ? Ce n'est pas le genre de lieu que tu fréquentes habituellement.

— On peut dire que je suis là pour le travail aussi. Je suis venue surveiller des activités qui ont attiré mon attention.

Nith la regarda avec intérêt et curiosité. D'habitude elle ne voulait que s'amuser et prendre du bon temps. Il lui offrit alors sa main, paume ouverte vers le haut, pour qu'elle la prenne.

— Dans ce cas je te propose de faire équipe juste pour ce soir.

— Avec plaisir, accepta-t-elle en l'entraînant dans la fosse aux lions du rez-de-chaussée.

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LK s'était installé sur une banquette, dos au mur. Il surveillait de loin Laëlle qui était allée chercher des boissons au bar, raisonnablement confiant mais prêt à lui filer le train si elle essayait de lui glisser entre les pattes une nouvelle fois. Elle revint vers lui avec un grand sourire et posa deux verres sur la table, un cocktail rouge-orangé pour elle et un double whisky pour lui.

— J'ai demandé leur plus vieux whisky. A la santé de Léo ! trinqua-t-elle en heurtant doucement le verre de son camarade avec le pied du sien.

LK avala son breuvage d'un seul trait et fit un signe au barman pour qu'il vienne lui en resservir un autre illico.

— C'est à volonté, non ? s'enquit le démon en encourageant le barman à remplir généreusement son verre.

— Aucun problème, confirma Laëlle. Ça sera une goutte d'eau sur l'ardoise de Léo.

— Alors si je comprends bien, tu as réussi à mettre le fil à la patte d'un riche héritier, c'est ça ?

— Son père est un magnat de la finance... entre autres... ajouta-t-elle en s'assombrissant.

— Alors pourquoi tu joues à l'arnaqueuse ?

— C'est... mon ancienne vie, avoua-t-elle avec embarras. Je n'ai plus le droit de faire de vagues maintenant.

— Sinon le petit fiancé pourrait te préférer une demoiselle plus... convenable, hein ?

Bingo, il pensait avoir mis le doigt sur un sujet sensible, le point faible de sa proie. Puisqu'elle avait des vues sur la fortune des Valefort, il lui suffisait de provoquer la rupture de leurs fiançailles pour plonger cette croqueuse de diamants dans les affres du désespoir. Ça ne suffirait sans doute pas à assouvir sa soif de vengeance, mais c'était assurément un excellent point de départ. Il se délectait par avance à l'idée des nombreux tourments qu'il pourrait lui infliger.

Mais inutile de mettre la charrue avant les bœufs. La première étape du plan qu'il dressait au fur et à mesure dans sa tête tout en la regardant siroter son cocktail d'un air tristounet consistait à la séduire. Faire tomber les petites mortelles sous son charme surnaturel était un jeu d'enfant. Ainsi, il comptait faire d'une pierre deux coups. D'abord la mettre à terre en détruisant ses rêves de mariage avec un pigeon fortuné, ensuite l'anéantir en piétinant son petit cœur tombé fou amoureux d'un homme qui lui révélerait sa duperie une fois le méfait accompli. Indéniablement un plan parfait et machiavélique à souhait.

Notablement mal à l'aise suite à la conversation concernant son fiancé – et aussi à cause de la façon un peu démente dont LK la regardait depuis – elle sentait qu'il était indispensable de reprendre l'ambiance en main. Elle se pencha par-dessus la petite table pour écarter du bout des doigts la frange trop longue du jeune homme.

— T'y vois quelque chose avec les cheveux à moitié dans les yeux ? Tu ressembles à un chanteur de k-pop coréen comme ça.

LK lui empoigna la main et la fixa d'un air soupçonneux.

— Si tu me refais le coup d'ameuter des fans de je-sais-pas-quel humain célèbre pour essayer de t'enfuir, n'y pense même pas, prévint-il très sérieusement sans la lâcher.

Laëlle éclata de rire et se rassit en libérant progressivement sa main de l'étau. Voilà ce qu'elle aimait bien chez cet inconnu qui lui inspirait confiance, il s'accrochait même quand elle le faisait tourner en bourrique.

— Je n'ai pas de raison de m'enfuir cette fois, chercha-t-elle à le rassurer.

— Sinon je te retrouverai où que tu te caches, prévint LK en pointant un doigt accusateur sur elle.

— D'ailleurs, comment tu m'as trouvée ce soir ?

— J'ai fait tous les bars de la ville chaque soir depuis notre rencontre.

Il ne comprenait pas pourquoi elle riait comme si ce qu'il avait dit lui avait semblé si incongru qu'elle l'avait pris pour une plaisanterie. Il avait pourtant parlé avec beaucoup de sérieux.

— Et en passant près d'ici j'ai repéré ton odeur dans la ruelle, poursuivit-il sous le regard hilare de la jeune femme.

— T'es un marrant toi, je t'aime bien, lui confia-t-elle en essuyant les larmes de rire au coin de ses yeux.

Marrant ? Lui, le démon terrifiant ? C'était la première fois de sa longue existence qu'on lui disait une telle chose. Cette fille n'avait décidément pas la moindre once de jugeotte. Elle ne tarderait pas à découvrir à quel point elle s'était fourvoyée une fois qu'elle serait tombée sous son charme maléfique. Charme qu'il devait reconnaître avoir un peu de mal à laisser agir dans l'immédiat tant elle l'agaçait. Et plus elle riait, plus elle l'agaçait.

— Ouais, tu sens le rhum et l'ananas, précisa-t-il avec l'intention de la froisser un peu. Je pensais que t'étais bourrée l'autre soir, mais en fait c'est vraiment ton odeur naturelle.

Elle n'avait pas l'air vexée, elle avait plutôt l'air de le prendre pour un cinglé. Il était temps de passer à la vitesse supérieure avant qu'elle ne lui fasse péter les plombs avec son insupportable insouciance enfantine. Il se concentra un instant pour entrer dans le rôle du séducteur envoûtant, convoquant dans chacun de ses gestes et de ses regards toute la sensualité dont un être doté de dons surnaturels était capable, puis il se pencha vers sa cible en lui prenant la main.

— Je vais être franc, annonça-t-il avec un regard incandescent. Tu me plais, passons la nuit ensemble.