Partie 37
[ Quelques jours plus tard...]
Un ordinateur entre les mains, c'est sans grande difficulté que Dylan trouva l'adresse e-mail d'une psychologue. Cela faisait déjà quelques semaines qu'il songeait à faire suivre des séances psychologiques à Andrea pour qu'elle puisse, ne serait-ce qu'un peu, guérir de ce traumatisme causé par son agression. Il avait remarqué qu'elle ne parlait presque jamais du bébé et ne lui accordait même aucune importance. Dylan fut très attristé de l'entendre répéter à chaque occasion qu'elle ne supportait pas de porter ce maudit bébé. Et il comptait bien l'aider.
C'est avec détermination qu'il parcourut les quelques mètres qui séparaient sa chambre de la sienne. Il tapota à la porte et resta là, attendant une quelconque réaction de la part d'Andrea. Cette dernière, toujours dans son bain, lui cria de patienter encore un peu avant de sortir une heure plus tard dans une robe toute noire, comme si elle se rendait à des funérailles. Lorsqu'elle descendit les marches et croisa enfin Dylan au portail, celui-ci fut assez surpris mais n'avança aucun mot, se contentant juste de lui ouvrir la portière. Andrea s'y installa avec beaucoup de soin et s'adossa à la vitre, les pensées complètement saturées, attendant que la voiture fasse chemin. Elle observa les passants défiler à travers la vitre mais ne dit rien. Andrea crut un moment voir sa mère de dos. Elle ouvrit grandement les yeux mais la voiture était déjà bien loin pour qu'elle puisse vérifier. Instinctivement, ses yeux se posèrent sur son ventre. Voilà qu'elle serait elle aussi bientôt la mère d'un petit garçon. Le bébé ne lui procurait aucun sentiment particulier.
Andrea leva les yeux pour observer un instant son époux. Dylan lui semblait paisible, tranquille, insouciant. Il était insouciant alors qu'elle souffrait toujours de ses actions. Andrea retourna la tête vers le paysage. Il fallait peut-être mieux qu'elle lui pardonne, qu'elle lui pardonne pour son bien-être à elle... pour se sentir libre. Mais cela lui fut tellement difficile.
-- Comment vas-tu aujourd'hui ?
La voix de Dylan la fit brusquement revenir à la réalité.
-- Ça va, répondit-elle d'une voix complètement dénuée d'émotion.
Dylan voulut poser une autre question mais se retint. De toute façon, elle ne risquait pas de lui répondre correctement. Dylan finit par arrêter le véhicule et invita sa femme à descendre. Ensemble, ils entrèrent dans un hôpital, le même où Andrea avait été transportée après son évanouissement le jour du mariage.
Lorsqu'ils arrivèrent à la réception, sans lui laisser le temps de dire quoi que ce soit, elle l'assaillit de questions telles que "Qu'est-ce que nous faisons ici ?" et "Tu pouvais venir seul, pourquoi m'as-tu dérangé ?" Que des questions auxquelles Dylan ne sut répondre. "S'il te plaît, calme-toi," lui répondit-il avant de se concentrer sur la jeune femme à l'accueil.
-- Bonjour, salua-t-il. S'il vous plaît, je voudrais voir Mlle Dongmo Urielle.
-- Salut madame, bonjour monsieur. Aviez-vous pris rendez-vous ? demanda-t-elle en allumant un ordinateur en face d'elle.
-- Oui oui, c'est Monsieur Dylan Marcabeli.
-- Ok, Dylan Marcabeli, répéta-t-elle en tapant sur les touches de son appareil.
Andrea profita de ce moment pour attirer l'attention de son époux.
-- Pourquoi m'as-tu amenée ici ? murmura-t-elle pour qu'il soit le seul à entendre.
D'habitude, quand ils sortaient ensemble, c'était soit pour rendre visite à ses parents ou au père de Dylan, même s'il était en froid avec son fils. Ou encore pour faire les courses pour le bébé. Bien qu'elle n'y mettait aucun effort, toujours assise avec son téléphone dans un coin du magasin tout en le laissant seul face aux différents choix, Dylan tenait vraiment beaucoup à ce qu'elle soit présente dans ces moments-là.
N'ayant reçu aucune réponse, Andrea tourna les talons mais fut très vite retenue par le bras. Andrea, s'il te plaît, supplia Dylan.
-- Ne me touche pas, cria-t-elle en réponse.
-- Très bien, comme tu le souhaites, finit-il par dire en retirant sa main.
-- Maintenant, je rentre à la maison. Est-ce que tu as perdu la tête en m'emmenant à l'hôpital comme si j'étais malade ?
-- Calme-toi s'il te plaît, il ne s'agit pas de maladie mais d'une autre préoccupation.
-- Et en quoi cela change-t-il quelque chose ? demanda-t-elle plus qu'en colère. Écoute, Dylan, ne m'énerve pas...
Soudain, une voix résonna derrière eux.
-- En voilà une magnifique future maman !
Ils se retournèrent pour découvrir une charmante jeune femme d'une trentaine d'années. Andrea l'examina du regard. Rien de particulier, si ce n'est que contrairement à ses collègues, cette dame ne portait aucune tenue distinctive. Elle était simplement et humblement vêtue d'une jupe noire et d'un haut blanc.
Ses cheveux naturels, ornés de courtes mèches, lui conféraient l'aspect d'une femme déterminée et sûre d'elle-même. Tout ce qu'elle n'était pas, pensa Andrea.
-- Urielle Dongmo, à votre service, se présenta-t-elle avec un large sourire.
Elle s'approcha des deux et leur serra la main tour à tour, commençant par Dylan.
-- Tu es très belle, lui dit-elle en prenant la main droite d'Andrea dans la sienne.
-- Merci madame, répondit cette dernière.
Elle retira rapidement sa main et remercia de nouveau.
-- Pourrais-je m'entretenir un peu avec toi ? demanda-t-elle à Andrea.
Celle-ci fut prise au dépourvu. Elle ne s'attendait pas à une telle réaction de la part de cette dame mais aveuglée par son envie d'en savoir plus, elle accepta et suivit Urielle.
Une fois dans le bureau de Dongmo, Andrea parcourut la pièce du regard. Rien à voir avec une salle d'hôpital ; l'endroit ressemblait plutôt à un salon. Sur les murs roses étaient accrochées des photos de différentes femmes souriantes, chacune accompagnée d'un beau dessin de fleur près de son chevet. La salle était aérée avec seulement trois chaises en plastique, une grande table contenant plusieurs documents et un téléphone fixe noir. Cet endroit respirait la propreté et le bien-être.
Urielle s'assit immédiatement avant d'inviter Andrea à faire de même. Ce qu'elle fit rapidement.
-- Sois totalement détendue, je suis là pour toi.
Andrea acquiesça, s'attendant à recevoir des conseils pour l'accouchement, mais rien ne vint.
-- Comment te nommes-tu? interrogea Urielle.
Son regard empreint de tendresse, mit aussitôt Andrea de meilleure humeur.
-- Andrea, répondit-elle. Andrea Divine Mballa. Appelez-moi Andrea.
-- Non, ne me vouvoie pas s'il te plaît. Urielle, ça ira, dit-elle.
-- D'accord, si tu le souhaites !
-- Cet homme avec qui tu étais tout à l'heure, est-il ton époux ?
-- Oui.
-- Bien, Andrea, j'aimerais que tu me parles un peu de toi.
Le ton empreint d'amour d'Urielle rassura Andrea qu'elle pouvait lui faire confiance. Elle était dans un cadre hospitalier, un lieu sûr où sa vie privée pourrait être soigneusement préservée. Andrea se mit alors à lui raconter son enfance jusqu'à ses dix-neuf ans, s'arrêtant précisément au jour de l'obtention de son bac.
-- Quelle belle histoire, s'exclama Urielle.
Elle s'essuya une larme au coin de l'œil droit et reprit.
-- Désolée, je suis vraiment trop émue face à un si beau vécu.
-- Ne sois pas gênée pour cela, compatit Andrea en se forçant à sourire.
-- Merci bien. Pour être peu discrète, quel âge as-tu à présent ?
-- Vingt ans.
-- Tu es une très belle femme.
-- Merci, tu me l'avais déjà dit. Merci beaucoup pour le compliment.
Andrea baissa la tête, soudainement honteuse et profondément touchée par ce compliment. Même si elle n'y croyait pas, au moins elle avait eu droit à cette belle parole.
-- Andrea ?
-- Oui ?
-- La nuit du treize septembre, veux-tu en parler ?
Cette question la projeta à la rencontre de la glace, la lune et du soleil. Son corps se secoua violemment, laissant sa peau baignée dans une marée de sueur. Son cœur s'accéléra rapidement et ses mains devinrent subitement froides. Ce maudit jour où elle perdit son amour-propre et son envie de vivre.
Andrea observa la jeune dame en face d'elle pendant un long moment avant de commencer. Pour la première fois depuis neuf mois, elle allait pouvoir raconter son vécu, ce passé qui l'a hantait jour et nuit.
-- Il devait être aux environs d'une heure, commença-t-elle, le regard posé sur ses pieds. J'enfilais ma paire de chaussettes lorsqu'il est entré dans ma chambre. Il puait fortement l'alcool.
Elle ravala immédiatement les larmes qui lui brûlaient les yeux pour continuer.
-- Je n'ai pas eu le temps de réfléchir à quoi que ce soit que j'ai cherché à m'enfuir, mais il m'a très vite rattrapée puis jetée sur mon propre lit. J'ai essayé en vain de lui échapper. J'ai crié à l'aide, je me suis battue, je l'ai même supplié, mais...
Ses tremblements se firent plus intenses. Andrea serra ses deux mains afin de continuer. Son corps avait beaucoup versé des larmes à ce sujet et elle ne voulut se permettre de pleurer à nouveau.
-- Mais, en fin de compte, il est parvenu à ses fins.
-- Comment cette relation s'est-elle passée en elle-même ? demanda Urielle.
Elle avait mal de voir Andrea dans cet état. La même douleur lui revenait à chaque fois qu'elle écoutait une patiente raconter son calvaire. Mais il fallait qu'Andrea en parle sérieusement pour essayer de se vider l'esprit.
-- Violemment, répondit-elle la bouche tremblante. Très violemment ! Dylan me regardait droit dans les yeux. Il me voyait souffrir et il adorait cela. J'avais l'impression d'être charcutée, d'être scindée en deux et de mourir à petit feu.
-- Qu'as-tu alors ressenti à ce moment-là ?
-- Une très grande douleur, dit-elle à présent le regard dans le vide. De l'impuissance. Du dégoût pour ma personne.
Trente secondes de silence se firent entendre dans la pièce. Andrea resta la tête à nouveau baissée, attendant les futures questions. Elle avait tellement honte qu'il lui fut impossible de faire autrement. Urielle enleva ses lunettes pour essuyer ses larmes puis redressa sa voix.
-- À quoi pensais-tu pendant ce temps ?
-- Je pensais au moment où tout cela prendrait fin. Je voulais juste que ça s'arrête !
-- Est-ce de cette nuit que découle la grossesse que tu portes ?
-- Oui !
-- Qu'est-ce que cet acte a changé en toi?
-- Je crois que je suis détruite. Je resterai à jamais son objet, finit-elle par craquer.
-- Ne dis pas cela, je sais que tu t'en veux énormément. Mais tu ne le devrais pas. Veux-tu guérir et passer outre cet épisode ? Andrea, regarde-moi.
Andrea leva la tête pour la regarder. À ce moment-là, ses larmes ne purent s'empêcher de jaillir.
-- Oui, dit-elle pour finir.
Urielle se leva et vint la prendre dans ses bras.
-- Pleure, vide-toi de tes ressentis. Je sais ce que tu endures, et tu pourras toujours compter sur moi pour en parler. Je suis là Andrea, près de toi, endurant aussi ta souffrance. Considère-moi comme une grande sœur. Comme ta sœur, termina-t-elle avec peines.
Elle serra Andrea et les deux femmes pleurèrent ensemble.
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