L'histoire de Jin et de Namjoon, c'était d'abord une histoire d'embrasement, puis ensuite, c'était une histoire de destruction. Puisqu'en dehors de leur passion, rien n'existait. C'était leur embrasement, et la destruction du monde autour. L'amour était d'une clarté ardente, engloutissait le reste sous les lumières trop vives de leurs sentiments. Un peu comme lorsque nous sommes aveuglés par le soleil.

Des tâches sombres finiraient par leur dévorer la rétine.

Leur champ de pensée réduit, le reste devenait imperceptible.

Pendant de longues années, Jin avait souffert en silence. Il subissait les caprices de sa mère. Et si au début il s'y opposait, il avait vite compris que cela ne ferait qu'empirer les choses. La femme articulait chacun de ses ordres, les imposait fermement.

Il se sentait déchiré. Quand on le forçait à rester à la maison, alors que les six autres étaient autorisés à se voir, le corps de Namjoon l'appelait si fort. C'était le sentiment de ne jamais être complet.

Lorsqu'il avait dû partir avec sa famille, sans un mot, délaissant derrière lui l'amour de sa vie, ce fut un déchirement si intense qu'il aurait toujours manqué de mots pour le décrire. On l'avait privé de tout contact. Et c'était comme perdre la communication avec soi-même. Parce que Namjoon était une part de lui, et perdre un morceau de soi, on en meurt.

Plus Jin s'éloignait, et plus il lui semblait que sa propre âme hurlait, à l'agonie.

Sans Namjoon, Jin saignait à coeur ouvert.

Mais il avait réussi à échapper à sa famille, après deux interminables années. Il avait préparé sa fugue pendant de longs mois, avait économisé une petite somme dont il s'était servi pour fuire.

C'était étrange, parce qu'à la fois, Jin ne savait pas où aller pour le retrouver, et à la fois, il savait.

Il savait sans savoir.

Parce que son corps et son instinct le menaient inconditionnellement vers sa moitié. Il était retourné à la captitale, dans l'espoir que Namjoon ne l'ai pas quitté entre-temps. Mais au fond, Jin savait. Il savait que Namjoon lui avait toujours dévoué une confiance absolue, qu'il l'attendait de pied ferme, et qu'il souffrait sûrement à chaque seconde de son absence, et c'était là le pire que pouvait concevoir Jin.

La souffrance de son amant lui était insupportable. Inacceptable.

Jin espérait que sa mère ne le retrouve jamais. Il ne voulait plus de sa famille. Ni de ses amis, ni de personne. Il voulait Namjoon. Seulement lui. Personne d'autre. Il aurait voulu l'enfermer avec lui, et qu'il ne le quitte plus jamais. Il aurait voulu le serrer dans ses bras et s'intégrer à lui, pour enfin ne faire plus qu'un. Il aurait voulu le garder rien que pour lui, sans qu'aucun regard extérieur ne puisse troubler leur amour.

Mais était-ce là de l'amour, que de vouloir priver de tout, excepté de soi, la personne que l'on aime ?

On dit que le désir augmente s'il se nourrit du manque. Le manque avait persisté et troué leur âme, si bien que le désir avait pu se frayer un chemin entre les fissures et prendre racine en eux. Il avait fleuri et avait entouré leur coeur de branches et de ronces épineuses. C'était un désir si intense qu'il s'empoisonnait.

Ce qui nourrissait leur amour, c'était l'interdit, c'était le fait même d'une aspiration inatteignable.

Et maintenant, elle était atteinte. C'était inespéré, mais c'était arrivé. Depuis ce soir sur cette aire d'autoroute, ils étaient réunis.

Plus de limites. Plus de barrières. Plus aucuns obstacles, ni aucunes contraintes.

C'était idyllique.

Et redoutable.

Fini les restrictions. Ils allaient enfin pouvoir épuiser leur amour jusqu'à la dernière goutte, le consommer comme on consomme une drogue, avec autant d'avidité que de folie.

Aussitôt qu'ils s'étaient retrouvés, ils s'étaient fondus l'un en l'autre, comme un besoin irrépressible, inéluctable auquel ils ne pouvaient échapper. Il n'y avait pas d'autre issue, de toute façon. Il y avait quelque chose de spécial, d'extrême, dans leur amour. Ça les aveuglait, ou plutôt, ça réduisait leur champ de vision.

Namjoon ne percevait que Jin.

Et Jin...

Jin ne percevait plus que Namjoon.

Autour, c'était flou. En lui, il n'y avait que ça, que lui.

Il lui avait avoué un soir, alors qu'ils s'endormaient dans les bras de l'un et de l'autre, emmêlés comme pour s'incorporer :

« Je t'aime tellement, Namjoon. Mais parfois, j'ai l'impression de trop t'aimer. Je t'aime si fort que ça me brûle à l'intérieur. Il n'y a jamais assez. Jamais assez de toi. J'en voudrais à l'infini. Je t'aime dans l'insuffisance parce que je t'aime dans le trop. »

Jin ne saurait jamais si Namjoon avait entendu ou s'il avait fait semblant de s'assoupir. Ou tout simplement s'il avait voulu que le silence l'emporte comme réponse. Parce que de toute façon, Namjoon et Jin dialoguaient avec un simple mouvement de l'air. Ils s'accrochaient et se lisaient, si bien que les ondes de leurs pensées suffisaient à les atteindre pour communiquer.

Un seul battement, une seule respiration était l'équivalent d'un millier de mots.

Cela aurait peut-être dû les alerter, cet amour.

Ils se barricadaient.

Ils ne sortaient que très rarement dehors. Ils étaient bien à deux, seuls, dans le noir de leur appartement.

Et Jin, il détestait les regards sur Namjoon, tout comme Namjoon détestait les regards sur Jin. Alors ils ne voyaient plus personne. Ils s'auto-suffisaient.

Yoongi, un ami de leur ancien groupe inséparable, s'était inquiété. Il était venu un beau jour, en compagnie de Jungkook, et avait toqué à la porte.

Jin et Namjoon, toujours emmitouflés dans leurs draps en cette matinée tardive, se fixaient dans la pénombre de la pièce.

Ils voulaient s'isoler, se fondre en l'autre, se donner tout ce qui pouvait être donné. Le reste, ça ne comptait plus.

Est-ce que cela avait vraiment compté un jour ?

Namjoon s'était mordu les lèvres.

« Mon amour, on ouvre ? Et si c'était important ? »

Jin l'avait serré contre lui.

« Non, je veux rester contre toi un peu plus longtemps. »

Yoongi avait fini par abandonner l'idée de les faire sortir de leur léthargie. Jin et Namjoon perdaient tout autour d'eux. Il n'y avait plus rien qui importait ; les choses matérielles, immatérielles, l'univers entier était si loin, si loin d'eux.

Si loin d'un amour qui ne se contrôlait plus.

Un amour destructeur.

Puisque Jin commençait à sentir l'épine de l'excès. L'affection qu'ils se portaient était trop profonde, lourde pour être supportée.

L'être humain n'est pas fait pour s'enfermer ainsi, même au titre d'un sentiment.

Sentiment si grand qu'il devenait irrationnel.

Cela avait commencé par de simples disputes. Le ton montait entre eux. Il n'y avait jamais, jamais, jamais assez. Il aurait fallu tellement plus pour combler des sentiments aussi forts.

Habituellement, les gens se donnaient de l'amour proportionnellement à ce qu'ils ressentaient. Mais Namjoon et Jin, ils ressentaient si fort qu'il était impossible d'offrir quelque chose à la hauteur de leur intensité.

Ça les irritait, les rendait fou, et il n'y avait que l'autre dans la pièce pour évacuer cette douleur. Alors les mots, déformés par leur esprit rongé, tranchaient, détruisaient.

La journée, la folie les engloutissait, alors qu'ils déambulaient dans l'appartement, ne pouvant plus même se regarder dans les yeux. Et la nuit venue, ils réparaient, faisaient l'amour jusqu'à en perdre leur souffle, se disaient des mots tendres jusqu'aux larmes. Les lendemains, les cernes creusaient autant leurs joues que leur coeur passioné.

Ils s'aimaient autant qu'ils se détruisaient.

Puisque cela avait toujours été eux,

Lui et Namjoon, contre le monde.

Maintenant, cétait eux

Eux et leur amour,

Contre eux même.