Hoseok ٭
Souvent, lorsque les gens passaient devant Hoseok, ils le contemplaient tantôt avec compassion, tantôt avec pitié. Ils murmuraient de vagues encouragements, ou alors se taisaient et ne parlaient qu'avec les yeux.
Ceux-là, c'étaient les pires.
Car Hoseok pouvait lire en eux comme dans un livre ouvert. Il y voyait des Je suis désolé, je ne peux rien faire pour toi, j'espère que ce n'est pas trop grave, des À un si jeune âge, le pauvre..., ou encore des Heureusement que je ne suis pas à sa place.
Parfois, Hoseok les ignorait.
D'autres fois, il en pleurait jusqu'à s'en écorcher les poumons. Si bien que ses larmes trempaient l'oreiller blanc. Blanc comme le lit, les murs, les meubles et tout ce que contenait cette affreuse pièce dans laquelle il vivait.
Dans laquelle il mourrait peut-être.
Cette pensée ne lui faisait plus aussi peur qu'au début. À vrai dire, on finit par s'y habituer.
On s'habitue toujours à tout. Mais peut-on vraiment utiliser le terme d'habitude lorsque l'on est voué à imaginer sa propre disparition ?
Hoseok aurait pu choisir le soutien de ses proches.
Mais à la place, il avait choisi leur protection.
Après avoir appris pour sa maladie, il avait coupé les ponts avec tout le monde. Sa famille, ses collègues, ceux qu'il connaissait de loin ou de près.
Mais surtout, il avait coupé les ponts avec eux.
Eux.
Sur sa table de chevet, une petite photo traînait. Elle avait été prise un jour d'hiver, sur une plage de sable clair, presque blanc. Elle représentait sept jeunes garçons, courant dans le vent, les lèvres étirées au possible, les dents laissant entrevoir des visages d'insouciance et d'euphorie, de risque. Avec eux, c'était comme se lancer dans le vide sans un regard en arrière. C'était comme plonger dans l'adrénaline.
Ça crevait d'envie.
Ça crevait de vie.
Ce jour-là, ils avaient fugué. Pris un train, droit pour Busan. Les poches vides, la tête pleine de rêves, l'amitié profonde pulsant dans chacune de leurs veines. Hoseok se souvenait encore de son cœur battant à un rythme aussi déchaîné que les vagues, de ses jambes qui le tenaient debout, le faisaient courir, fuir, gambader, exister.
Ces jambes qui aujourd'hui le faisaient souffrir.
Ce corps qu'il traînait comme une épave, comme un être de verre.
Peut-être était-ce seulement son imagination, mais plus les jours avançaient, et plus il lui semblait que les silhouettes sur le papier plastifié s'effaçaient. Elles se barraient d'un voile de plus en plus flou.
En ce moment, c'était Yoongi qui semblait le plus s'évaporer. Hoseok avait beau plisser les yeux, il avait du mal à percevoir les rebords de sa silhouette, ou encore sa cigarette, à la main, dont la fumée l'empêchait de bien discerner ses contours.
Et plus il avait du mal à distinguer ses anciens amis, plus il s'écorchait.
Hoseok pleurait beaucoup, dans sa chambre d'hôpital. La solitude grapillait chaque jour un peu plus sur cet esprit qui ne voulait plus se battre, qui aurait pu se laisser faner.
L'après midi, à l'heure de sa sortie quotidienne, il arpentait les couloirs insipides pour s'extraire de ce lieu qui l'engourdissait, le démangeait.
Tout est fade, ici, pensait-il, la bile au fond de la gorge. Tout est fade, et le plafond pourrait presque se confondre au sol, les sols aux murs et les murs au plafond. Tout est fade, et les lumières artificielles, grésillantes, attaquent la rétine jusqu'à rendre fou. Combien de fois ai-je rêvé de foutre un coup de poing dans l'ampoule corrodée au dessus de mon lit ? Combien de fois ai-je rêvé d'arracher ce blanc au mur, de creuser derrière, creuser et creuser jusqu'à peut-être enfin trouver une nuance de couleur qui réchaufferait la mort ? La mort habite les lieux ici, partout. Quand on la côtoie aussi souvent, on n'a plus aucun espoir de s'en sortir. Qand on aperçoit les vieillards et parfois les enfants des chambres d'à côté disparaître du jour en lendemain, alors le moral se détériore jusqu'à remonter dans la gorge puis le cerveau. Ce sont des fils de fer, qui grimpent, s'enroulent, griffent, arrachent tout espoir et ne laisse qu'un corps emprisonné de remords.
Hoseok, la routine le tuait. Les injections le faiblissaient. La maladie n'en finissait pas d'attaquer, d'avancer, d'agresser, de dévorer.
Hoseok la suppliait. Mais elle était impitoyable.
Elle n'écoutait jamais.
Mais si elle ne l'entendait pas, alors peut-être que quelqu'un d'autre aurait le courage de le faire.
C'est ainsi qu'au détour d'une intersection, Hoseok s'était figé à la vue d'un visage familier. Quelqu'un qu'il n'aurait jamais cru recroiser dans sa courte vie. Un jeune homme aux cheveux blonds. Il lui semblait que la touffe sur son crâne était moins épaisse qu'avant. Ses yeux plus cernés. Son sourire moins prononcé. Ses joues plus creuses. Mais surtout, il portait le même accoutrement que lui, et que la plupart des patients. Cette robe blanche, tout aussi fade que le reste, presque dégradante, qui descend jusqu'aux genoux.
Le premier réflexe du brun fut de s'éclipser, de fuir ces traits qui contenaient bien trop de souvenirs, bien trop de vie pour approcher quelqu'un pour qui la mort est la seule vision de l'avenir.
Mais ce fut sans compter sur l'entrain de son vis à vis, qui l'aperçut avant même qu'il ne puisse faire demi-tour. Son exclamation résonna dans le couloir.
"Hoseok !"
Celui-ci baissa la tête, honteux. Il n'aurait jamais pensé devoir affronter un passé qui lui semblait maintenant appartenir à un autre monde, et encore moins ici, dans cet environnement dans lequel il serait obligé de tout expliquer, de se justifier.
"Mon dieu, Hoseok ! Qu'est-ce que tu fais là ? Ça fait si longtemps que tu ne donnes plus aucunes nouvelles. Certains ont même pensé que tu étais mort, tu le sais ? Je pensais ne jamais te revoir... pourquoi ce silence, pourquoi tu es ici... Pourquoi-"
"Arrête, Jimin." supplia Hoseok, les deux mains sur ses oreilles.
Revoir ce passé d'éclats de rire et de nuits sans fin, à sept dans les rues pétillantes de la ville, lui donnait un mal de tête fou. Rien ne pourrait redevenir comme avant. Plus rien ne pourrait jamais ressembler à cette idylle de vie dont il avait fait partie il y a quelques années, aux côtés de ces garçons pour qui il aurait pu mourir.
Seulement, il n'aurait jamais cru que cela viendrait aussi tôt.
"Hoseok..." murmura Jimin, peiné.
Jimin avait toujours été l'un des garçons avec lequel il s'entendait le mieux dans le groupe. Il pouvait presque encore sentir l'air dans ses cheveux lorsqu'il repensait à toutes ces fois où ils rentraient de l'université ensemble, à rire de tout et n'importe quoi, insouciants du reste du monde. Il pouvait presque encore entendre le ronronnement de la machine à laver, coincée entre le lave-vaisselle et le frigo, qui les berçait dans leur studio étudiant, en colocation. Hoseok ressentait déjà d'étranges douleurs à l'abdomen à l'époque, et une perte d'appétit grandissante qu'il mettait sur le dos des examens réguliers, qui le stressaient particulièrement.
Comment peut-on se douter d'une chose pareille ?
On emmagasine les symptômes, on se trouve des excuses, on remet à plus tard la consultation. On se dit que ça passera, comme ça passe toujours.
Et quand la nouvelle tombe, on regrette.
Parce qu'on a attendu trop longtemps, et que soudain, c'est trop tard.
Le stade est trop avancé. Le traitement pas encore très bien développé. L'espoir prêt à s'effondrer. La force mentale prête à décamper. L'abandon de ses proches prêt à s'opérer.
Il a bien fallu dix minutes à Hoseok avant de pouvoir reprendre ses esprits. Et alors le brun et le blond se sont assis, l'un face à l'autre, dans ces sortes de salles communes avec des tables, blanches, et des chaises, tout aussi blanches, sur lesquelles certains patients s'entretiennent avec leurs proches qui leur rendent visite.
Pour la première fois, Hoseok s'est autorisé à raconter. À nommer.
Cancer du pancréas.
On n'en guérit pas, de ça. Ou alors ça relève du miracle.
Jimin a semblé se décomposer, sous les yeux impuissants de son ami. Puis ce fut à son tour de raconter. La raison de son séjour ici. La danse pour laquelle il avait tout donné, et ses assiettes qu'il avait sacrifiées pour elle. Rien que pour elle. Toujours pour elle.
Hoseok regardait ce garçon qui avait tout pour lui, qui aurait pu choisir d'être en bonne santé. Lui, il avait encore les cartes entre ses mains. Pas Hoseok. Alors il ne comprenait pas Jimin.
Hoseok avait du mal à comprendre comment l'on pouvait se rendre malade soi-même. Lui, était coincé entre ces murs blancs depuis des mois, et aurait rêvé d'avoir encore la chance et le choix de s'en sortir.
"Pourquoi tu te fais ça, Jimin ? Pourquoi te faire autant de mal, alors que tu pourrais sortir d'ici, être en bonne santé, et avoir une carrière grandiose ?"
Il ne fallait pas lui en vouloir. Il ne pouvait pas comprendre.
Il ne pouvait pas savoir que Jimin n'avait en rien choisi d'être malade, tout comme Hoseok ne l'avait pas décidé non plus.
Les jours suivants, ils se retrouvaient, rattrapaient le temps perdu. Hoseok apprenait ce que les autres étaient devenus.
Taehyung, qui n'avait jamais laissé paraître l'enfer dans lequel il plongeait.
Namjoon et Jin, qui se retournaient par amour contre le monde.
Yoongi, qui avait échappé à la vapeur noire et visqueuse qui lui collait à la peau. Son caractère de musicien torturé qui l'avait mené à vouloir faire taire les voix, insoutenables.
Jungkook, qui devait réapprendre à vivre sans lui, sans le chant, dépossédé d'une carrière qui ne le comblait pourtant pas, mais dont le manque aujourd'hui restait sans fin.
Et puis, il y avait eux, dans cet hôpital, à retenir les larmes devant un constat si terrible, un effondrement aussi tragique.
Il y avait eux et une dernière lueur d'espoir, une dernière paire de cartes du château qu'ils avaient tous construit autrefois. Deux cartes qui tenaient l'une contre l'autre, encore debouts.
Parfois, il suffit de quelqu'un, d'une présence, assez puissante pour donner au corps l'élan de la guérison. Ça avait été le cas pour Jimin.
Il reprenait des couleurs. Il dansait toujours, en cachette, dans sa chambre. Il n'avait pas réussi à arrêter. Certaines habitudes restent. Des détails anodins. Mâcher pendant une éternité, les minuscules cuillérées, la danse après chaque repas, comme pour brûler, consumer, s'allumer, s'éteindre paradoxalement.
Hoseok, lui, s'en réjouissait. Il se disait qu'ils s'en sortiraient, ensemble, et qu'alors une fois en dehors de cet hôpital duquel ils étaient prisonniers, ils pourraient se défaire de leur chaîne, et reconstruire la vie autour d'eux. Reconstruire l'idylle, le désir comblé à l'infini. Il reprenait des forces, étonnait les infirmiers. Hoseok leur vantait ses mérites, mais ces derniers ne le félicitaient pas, le fixaient avec un air grave.
Parce qu'eux, savaient.
Ils l'avaient déjà expérimenté trop de fois pour ne pas le savoir, pour ne pas prendre en compte les dangers d'un espoir trop soudain, trop vif, trop irréaliste.
Le saut de l'ange.
C'est ainsi qu'on l'appelle.
Cette effusion d'espoir qui emporte l'âme, pour l'éteindre la seconde d'après, au moment où on s'y attend le moins.
Hoseok n'y avait pas échappé.
Un jour, il regagnait une énergie revigorante.
Le suivant, il s'éteignait.
Et Jimin se souviendrait sûrement toujours de la douleur au réveil, la lourdeur de l'annonce.
Ce dernier finirait par tanguer.
C'est ridicule, une carte ne peut pas tenir debout toute seule.
Alors elle s'effondrerait sûrement, comme toutes les autres.
***
Il suffit d'un souffle, à peine audible, il suffit d'une nano-seconde, d'un pas de travers, d'un mauvais choix, il suffit d'un battement d'aile de papillon, d'un mouvement trop brusque, il suffit d'une parole, d'un amour, d'un éclat de lumière, et les cartes s'effondrent.
Il en était ainsi pour nous. De toute façon, cela avait toujours été tout ou rien. Nous avions besoin que ce soit spécial, extrême. Qu'il y ait des étincelles, de grandes flammes pour pas grand chose. À sept, nous étions grandioses, amateurs de grandes doses.
C'était exaltant, nos rires tranchant la nuit, nos éclats brisant les interdits, nos mots coulant de pluie.
Mais il suffit d'un souffle, pas vrai ?
Puis les cartes flanchent.
De nous, il n'en reste plus que la déchéance.
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