Chapitre 19
Le plus dur fut de passer devant un garde à moitié endormi sans le réveiller. Pour une fois, ce n'était pas Sakari. C'était préférable. Sakari était pratiquement devenu un ami. Il n'avait aucune envie de lui créer de problème même s'il ne s'en priverait pas au besoin. Sa mission passait avant tout. Il ne pouvait pas se faire d'amis. Il ne pouvait pas oublier qu'il était là pour les trahir et récupérer son royaume.
Le chemin jusqu'à la bibliothèque fut étonnamment vide. Ce n'était pas une bonne chose. Pas du tout. Des gardes auraient dû être disséminés un peu partout. Il aurait dû en croiser depuis qu'il était sorti de ses quartiers. Que tout soit aussi vide n'avait rien de naturel. Il faudrait qu'il en parle à Alrek.
Nicklas était déjà là, assis à la table. Il faisait courir ses doigts sur le bois, suivant le dessin des nœuds et des veines. Il releva la tête lorsque Vestar entra et prit place en face de lui. La fatigue était clairement lisible sur le visage de Nicklas. Il entrelaça ses doigts, pressa ses paumes l'une contre l'autre.
- De quoi voulais-tu me parler ? questionna Vestar.
- Je suis comme toi, répondit-il. Je n'ai pas choisi de devenir un knähund. J'y ai été forcé par le conseiller Linus. C'est pour cela que Sa Seigneurie a tenu à ce que je sois celui qui te guide dans ton nouveau rôle. Parce que nos histoires sont similaires.
- Comment ça ?
- Quand j'avais quinze ans, le conseiller Linus a commencé à montrer de... l'intérêt pour moi. Il avait plus que le double de mon âge et je me voyais reprendre la boutique de mon père à Whaelr. Mais s'il y a une chose que tu dois savoir sur Linus, c'est qu'il refuse de voir ce qu'il veut lui échapper. Et... il me voulait.
Vestar comprit aussitôt que Linus n'avait pas seulement voulu que Nicklas devienne son knähund. Il avait exigé bien plus que cela. Il détourna les yeux, laissant un peu d'intimité à son ami. C'était un sujet très privé que personne n'avait envie d'aborder.
- Mais je ne voulais pas. Alors il a profité de la pauvreté de ma famille. Avec la guerre, les affaires fonctionnaient moyennement et ça devenait dur. Alors Linus a parlé avec mes parents. Mon père refusait de le laisser me prendre. Linus a menacé mes parents de leur prendre ma sœur et de la vendre à un marchand d'esclaves de Ceramos. J'ai été forcé de devenir son knähund. Il était correct, au départ. Et puis, il a voulu franchir la ligne. Le jour de mes seize ans. Mais j'ai refusé. J'ai crié et je me suis débattu. Alors il a vendu ma sœur. Il m'a obligé à la regarder être emmenée par le marchand sur son bateau. Je n'ai rien pu faire. J'ai hurlé et j'ai lutté mais...
Il ne parvint pas à terminer sa phrase. Il reprit une longue inspiration.
- J'ai d'autres frères et sœurs et il les a menacés. Il s'en sert contre moi.
- C'est pour ça que tu m'as demandé comment étaient traités les esclaves. Tu veux retrouver ta sœur.
- Il y a peu de chance que tu l'aies vue et que je la retrouve un jour mais... Si au moins elle est bien traitée...
Vestar serra les lèvres. Il ignorait comment répondre à la demande implicite de Nicklas. S'il se montrait entièrement honnête, il allait le détruire un peu plus. S'il lui mentait, il lui donnerait des espoirs qui finiraient par être détruits un jour ou l'autre.
- Sois honnête, demanda Nicklas. Dis-moi quelles étaient ses chances.
- Ça dépend. De son âge, de son physique, du marchand.
- Elle avait huit ans. Elle était petite et fragile. Elle portait toujours des couettes. C'était l'une des plus jolies petites filles de la ville.
- Dans ce cas, d'après ce que je sais, elle peut avoir trouvé une bonne famille si le marchand travaille dans les hautes sphères. C'est une probabilité puisque Linus a pu prendre contact avec lui. Mais la plus grande éventualité, c'est qu'il soit tombé sur un marchand peu scrupuleux. Il l'aura emmenée sur un marché aux esclaves et, à partir de là, c'est quitte ou double. Le plus gros enchérisseurs l'aura récupérée.
- Je ne la retrouverai jamais. Et elle doit avoir une vie pire que la mienne. C'est... C'est à cause de moi. Parce que j'ai refusé, elle doit subir des horreurs...
- Ça n'est pas garanti mais, oui, c'est une forte chance. Je suis désolé.
Nicklas secoua la tête avec un sourire amer sur les lèvres.
- Ne le sois pas. Tu as été honnête. C'est plus que je n'avais espéré de notre discussion. Je pensais que tu t'entêterais à me mentir.
- Tu m'as demandé d'être honnête. Je n'ai pas de raison de te mentir. J'ai toujours été convaincu que mieux valait une dure réalité qu'un beau mensonge.
Nicklas acquiesça en silence. Il était totalement assommé par les images qu'il se faisait de la vie de sa sœur. Vestar se sentait sincèrement mal pour lui. Lui-même préférait éviter de penser à ce qui se passait pour Anda. Étrangement, il n'était pas inquiet. Il commençait à connaître Alrek et, du moment qu'il ne faisait rien de mal, Anda ne risquait rien.
- Merci de m'avoir dit la vérité, Vestar. À partir de maintenant, ne me fais plus confiance. Linus s'est rendu compte que nous étions devenus proches et il n'hésitera pas à s'en servir. Alors... ne me fais plus confiance.
- Mais Linus est le seul à être du côté de Sa Seigneurie, à ce que j'ai entendu. Il s'oppose à Merken avec lui.
Le knähund secoua la tête.
- C'est un manipulateur. Il s'est allié à Valdemar mais seulement dans le but de le trahir une fois qu'ils se seront débarrassés de Merken. Valdemar pense que Linus ne veut que les terres de Merken et une partie de Ceramos mais il se trompe. Ce n'est pas seulement ce qu'il veut. Il veut aussi récupérer les terres de Valdemar. S'il récupère Ceramos avec les terres de Valdemar et de Merken cumulées à celles qu'il a déjà, il possédera une large partie du sud en plus de la frontière et de Ceramos. Il se voit déjà créer sa propre armée et s'emparer de Isstad.
- Parce qu'il pense en être capable ? Merken semble déjà avoir la main mise sur le conseil et avoir une quantité de pouvoir que Linus n'a pas.
- Je te l'ai dit. Il est prêt à tout pour obtenir ce qu'il veut. Sans compter qu'il a plus d'appuis que tu ne crois. Je ne sais pas d'où mais il est certain que le soutien est là. Si j'arrive à le savoir, je te le ferais savoir mais n'y compte pas trop. Depuis douze ans que je suis à son service, je n'ai jamais eu la moindre idée de qui l'aide.
Vestar considéra Nicklas et ne put que lire sa sincérité dessus. Ça serait assurément la seule fois qu'il le verrait aussi ouvert et correct. Désormais, ils devraient vivre en parallèle en tentant de ne pas se marcher sur les pieds. Vestar détestait cette idée. Nicklas avait été son seul allié jusque là.
L'aîné se leva et Vestar ne put que hocher la tête lorsqu'il lui fit savoir qu'il devait partir. Lui aussi ferait mieux de retourner dans ses quartiers. Il savait qu'Alrek avait beaucoup trop d'insomnies pour qu'il puisse s'absenter longtemps sans se faire remarquer.
Les couloirs étaient toujours aussi vides de gardes. Il put regagner ses quartiers sans problème. Il se figea sur le seuil en voyant la bougie osciller sur la table basse, jetant des lueurs orangées sur la silhouette d'Alrek. Il était lové dans le sofa, ses jambes ramenées sous lui.
- Puis-je savoir où tu étais ?
Sa voix était aussi calme que ce moment avant une tempête. Elle portait en elle le vent glacial qui giflait ce qu'il rencontrait et annonçait le déchaînement des forces qui finissait toujours par suivre.
- Dans la bibliothèque.
- Avec ?
- Qu'est-ce qui vous fait penser que j'étais avec quelqu'un ?
- Si tu ne l'avais pas été, tu aurais répondu « personne » au lieu de répondre par une autre question. Avec qui étais-tu ? Nicklas ?
Il ne répondit pas, surpris par son sens de déduction. Nicklas et lui avaient à peine parlé en dehors de leur temps à table. Il avait passé plus de temps avec Jostein. Comment pouvait-il savoir qu'il était avec Nicklas ?
Alrek se leva, ses longs membres se dépliant avec une grâce royale. Il le rejoignit et se planta devant lui, les bras croisés.
- Je déduis de ce silence que tu étais bel et bien avec lui. Ne m'as-tu pas compris lorsque je t'ai dit de t'en méfier ? Au lieu de m'écouter, tu vas le rejoindre en pleine nuit. Que dois-je en déduire ?
- Que je remplis ma mission.
Un rictus mauvaisétira les lèvres du prince.
- Ne me prends pas pour un idiot. On ne rejoint pas quelqu'un comme Nicklas en pleine nuit après un bal pour discuter politique.
- Je ne savais pas de quoi il voulait parler lorsque j'y suis allé. Le début de la conversation n'était pas particulièrement centré sur la politique mais y a mené.
- Si je comprends bien, tu t'envoies en l'air et pose les questions après ?
Vestar se mit à rire. Il ne s'était pas attendu à une déduction aussi erronée. Il avait connu Alrek plus observateur et logique.
- Parce que vous croyez que j'ai couché avec Nicklas ?!
- N'est-ce pas ce que deux personnes se retrouvant en pleine nuit font ?
- Pas forcément, non. Et je ne suis pas aussi facile. S'il m'avait voulu, il aurait dû y travailler bien plus. J'y suis allé parce qu'il voulait me parler de sa sœur.
Le prince tourna les talons et repartit dans le sofa. Il ne semblait toujours pas calmé et Vestar hésita sur la position à adopter. Il prit le plus sûre et alla s'asseoir sur le rebord de la fenêtre. L'épais rideau le protégea de la pierre glacée.
- Raconte-moi votre rendez-vous. Je veux chaque information.
Vestar obtempéra, dissertant sur chaque point. Merken, Valdemar, Linus. Il évita le sujet de la société transverse. Ses membres pourraient lui être utiles et il ne tenait pas à les mettre en danger. Ils étaient sa meilleure source d'aide et d'informations.
- Donc, selon Nicklas, Linus veut doubler non seulement son allié Valdemar mais aussi Merken ? Il veut posséder tout le sud ?
- D'après Nicklas, c'est cela. Ça n'a pas l'air très réalisable. Qu'il parvienne à doubler Valdemar, je peux le concevoir. Mais Merken ? Pas tant que ça. Il est bien trop influant. Que Linus ait des alliés ou non, il ne fait pas le poids.
- S'il prend le dessus sur Valdemar et, par conséquent, sur Tindra, il peut monter au même niveau que Merken et prendre l'avantage.
- Vous pensez que votre père a connaissance de tous ces complots ?
- J'en suis certain. Merken pense le contrôler. Je doute que ça soit le cas. Il doit prétendre lui céder certaines choses pour le maintenir en laisse. Il doit chercher un moyen de retourner la situation à son avantage.
Vestar demeura silencieux. Si le roi Caspar savait ce qu'il se passait autour de lui, il se retrouvait à lutter seul contre ses adversaires. Sa nouvelle femme ne se trouvait pas être un atout, plutôt un boulet qu'il se traînait au pied.
- La seule chose qui n'est toujours pas claire, c'est la raison des tentatives d'assassinat envers moi. Ça ne rentre pas dans toute cette politique. Donc, ça doit venir d'ailleurs.
Ce fut au tour d'Alrek de se murer dans le silence. Il bougea dans le sofa, reprenant une position assise normale. Ses doigts se mirent à frotter l'ourlet de sa robe de chambre. Il était mal à l'aise. Pourquoi ? Lui cachait-il des choses ? Savait-il pourquoi on tentait de l'assassiner ?
Si c'était le cas, il ne dirait pas un mot. Qu'il aurait eu l'intention de révéler ce qu'il savait qu'il l'aurait déjà fait. Vestar allait donc devoir découvrir ce que lui cachait le prince par lui-même.
- Allons coucher. Nous terminerons cette discussion demain, décida Alrek.
Il se leva et s'arrêta devant lui.
- Et cette fois, reste dans ta chambre. Je ne pardonnerai pas une seconde escapade.
Il ne lui laissa aucune occasion de répondre. Sa porte claqua derrière lui et Vestar quitta le petit salon à son tour pour aller récupérer quelques heures de sommeil nécessaires.
Il se réveilla plus tard que d'ordinaire. Comme la plupart du château. Viggo ne fut pas surpris de le voir débarquer en cuisine avec presque une heure de retard. Le cuisinier avait l'air fatigué et anxieux. Vestar récupéra son plateau et le vérifia par instinct.
- Ça va ? interrogea-t-il prudemment.
Viggo expira longuement en appuyant les mains sur le plan de travail.
- Je sais que tu as intercédé auprès de Sa Seigneurie en ma faveur alors merci. Merken m'aurait fait pendre.
- Il n'avait pas besoin de moi pour savoir que tu n'y étais pour rien. Il a plus d'esprit qu'on ne veut bien lui en faire le crédit.
- Tu as parlé pour moi, s'entêta-t-il. Rares sont les personnes qui auraient pris ce risque.
- Il n'y avait aucun risque. Sa Seigneurie n'est pas un monstre.
Pas comme le reste des hauts-culs, songea-t-il. Il n'aurait pas cru dire cela un jour mais c'était la vérité et il ne pouvait pas la nier. Alrek n'était pas le pire des dirigeants d'Isstad. S'il devait dire l'absolue vérité, il pourrait même imaginer dire qu'il était quelqu'un de bien. Il en faudrait beaucoup pour qu'il l'avoue à voix haute, cependant.
- Ne peux-tu pas simplement accepter mes remerciements ?
Vestar sourit face au regard que lui lança Viggo.
- De rien, singea-t-il.
- Voilà. Tu vois, ça n'était pas si dur.
Il roula des yeux et sortit des cuisines avec son plateau. Il remonta dans les quartiers où Alrek s'était réveillé tout seul. Il se tenait debout devant les larges fenêtres du petit salon, les bras croisés. Il tourna la tête en l'entendant entrer.
- Tu as de la chance qu'une majeure partie du château soit encore endormie.
Vestar ne prit pas la peine de répondre à cette attaque. Il sentait au ton d'Alrek qu'il n'avait pas songé à le punir pour son retard. Il installa le plateau sur la table et le prince vint s'installer pour prendre son petit-déjeuner. Vestar prit place sur son habituel coussin. Après ces longs mois à passer une vaste partie de ses journées agenouillé, ses jambes, et particulièrement ses genoux, ne lui faisaient plus aussi mal. C'était devenu une position normale.
Il appuya sa tête contre l'accoudoir. Il avait hâte de retourner en cuisine pour pouvoir avaler quelques restes ici et là. Il ignorait pourquoi il n'avait toujours pas droit à un petit-déjeuner. Pour sûr, lorsqu'il était à Ceramos, il n'avait pas pour habitude de manger le matin. L'idée d'avaler quoi que ce soit au lever l'avait toujours rendu nauséeux.
Nonobstant, depuis qu'il était prisonnier d'Isstad, ses repas étaient si frugaux qu'il avait constamment faim. Parfois, c'en arrivait au point où il avait des douleurs dans l'estomac après plusieurs heures où la faim se faisait discrète. Jamais auparavant n'avait-il eu à subir un tel supplice. Son père l'avait frappé mais s'il avait su qu'il aurait suffi de le priver de nourriture pour le mettre à genoux... Peut-être n'aurait-il pas oublié toute une partie de sa vie.
Il ne remarqua pas immédiatement que le prince lui parlait. Il se redressa brusquement, ses yeux ayant du mal à stabiliser l'image d'Alrek.
- Désolé. Que disiez-vous ?
Il se recula instinctivement lorsque la main du prince s'approcha de son visage. Elle se posa sur son front.
- Quel est le problème ?
Vestar secoua la tête. Il n'admettrait pas sa faiblesse actuelle. Alrek avait beau ne pas être aussi horrible qu'il l'avait pensé au départ, il demeurait un ennemi et on ne donnait pas d'armes à un ennemi.
- Rien.
Il lut sur la figure de son vis-à-vis qu'il ne le croyait pas. Il soutint son regard, peu décidé à avouer son mensonge.
- Tu peux me mentir autant que tu veux, je sais lire la vérité sur ton visage.
Comme pour le prouver, Alrek prit un morceau de pain couvert d'une épaisse couche de confiture de framboises sauvages et le lui tendit. Vestar hésita. S'il l'acceptait, cela donnerait la conviction à Alrek qu'il pouvait lire en lui. S'il refusait, il le forcerait à se remettre en question mais il devrait espérer que Viggo puisse lui fournir quelques restes à manger.
Toutefois, la tartine était une tentation à laquelle il était dur de résister. Il avait toujours adoré la confiture de framboises sauvages d'Isstad. Il était incapable de se souvenir de comment il en avait obtenu mais il savait qu'il adorait ça. Il était vraiment tenté à l'idée d'accepter ce que lui proposait Alrek.
Sauf que sa fierté était plus forte. Voler des restes en cuisine était une chose, accepter l'aumône de la main de l'ennemi en était une autre. Il avait beau mourir de faim, il refusa.
- Je n'ai pas faim.
Il crut voir de la peine et de la tristesse traverser les iris gris du prince. Ce fut si rapide, si éphémère qu'il ne pouvait assurer qu'il avait bien vu. Il devait s'être trompé.
Alrek reposa la tartine sur l'assiette.
- Bien. Puisque tu le dis.
Vestar serra les lèvres. Il pria pour ne pas regretter sa décision. Il patienta jusqu'à ce qu'Alrek ait terminé son repas. Il partit dans sa chambre sans attendre et Vestar considéra le plateau. Il ne put que voir que le pain était toujours là. Il jeta un regard vers la porte de la chambre avant de s'en emparer et de la dévorer en trois bouchées.
Il passa le dos de sa main sur sa bouche pour en chasser d'éventuelles miettes ou taches de confiture. Il ramena le plateau en cuisine. De nombreux plateaux attendaient qu'on vienne les chercher.
- Je n'ai rien à te donner, dit Viggo. Tu es le premier à revenir.
Il se retint de jurer. Cette tartine ne suffirait jamais à le nourrir.
- Désolé. J'aurais aimé pouvoir te donner quelque chose mais après le bal, je n'ai plus que le minimum. Je dois aller au marché pour aller refaire les stocks.
- C'est rien.
Il remonta à l'étage. Alrek était toujours dans sa chambre. Il en profita pour faire une rapide toilette. Lorsqu'il en ressortit, le prince l'attendait dans le petit salon. Il portait une tenue d'équitation noire rehaussée d'émeraude et de fils d'or. De longs lacets pendaient le long de ses bras et à l'arrière de sa nuque. L'esthétique était plaisante mais peu pratique.
- Aide-moi.
Ce n'était pas tant une demande qu'un ordre. Vestar se résigna et commença à nouer les lacets. Il commença par ceux du bras qui montaient du poignet jusqu'à l'épaule. Il se demandait à quoi ça pouvait bien servir d'avoir des vêtements aussi complexes.
- Allons-y.
- Où allons-nous ? osa-t-il demander.
- Hier, lord Sisask m'a parlé d'un soucis venant de la mer. Il faut que j'aille vérifier ses dires.
Vestar ne demanda pas plus qu'explications. Si Alrek avait eu l'intention de lui parler, il l'aurait fait.
Deux chevaux étaient déjà prêts devant les écuries. Un jeune palefrenier les tenaient par la bride. Il céda Ennor à son propriétaire et tendit les rênes d'un hongre noir à Vestar. L'animal était vieux et sa robe était rêche. Une tache blanche en forme de X marquait son chanfrein.
- Il s'appelle Kors, lui dit le gamin. Croix. Comme le symbole de Ceramos.
Il cracha aux pieds de Vestar avec dédain. Stupéfait, il ne put que le regarder partir. Il ne s'était pas attendu à cela. Ce garçon détestait Ceramos, sans aucun doute. Il préféra ne pas y prêter attention et il monta en selle. Il sentait le regard d'Alrek sur lui. Il n'avait rien dit, n'était pas intervenu en sa faveur. Il avait laissé un palefrenier le traiter comme un moins que rien sans ciller. Ça en disait beaucoup.
Hardan, Sakari et trois autres gardes les rejoignirent, déjà montés. Ils avaient tous l'air agité et leurs montures soufflaient fortement, fatiguées.
- Que se passe-t-il, capitaine ?
- Un incendie s'est déclaré dans la forêt, Seigneur. Il est impossible de sortir du château par le pont est. La sortie est bloquée par les flammes.
- Un incendie ? Comment est-ce possible ?
- Quelqu'un doit l'avoir allumé. Il faut savoir si c'est par erreur ou si c'était volontaire.
- Pourquoi quelqu'un aurait-il mis le feu à cet endroit précis ? Ça ne nous empêchera pas de sortir et ça ne les aidera pas à entrer.
- Nous pensons à une embuscade. Sûrement de la personne qui essaie de vous tuer depuis votre retour.
Le regard de Vestar se posa sur la silhouette princière qui ne réagit pas aux mots de son capitaine. Il fixait l'ouverture du pont droit devant lui. Derrière les bâtiments qui obstruaient la vue, de la fumée s'élevait vers les cieux.
Son esprit tournait à toute vitesse. Cet incendie n'était pas anodin, il en était sûr. Il fallait qu'il le voit pour voir si son cheminement de pensées était correct. Si c'était le cas, ils ne risquaient rien tant qu'ils ne s'aventuraient pas hors du lac.
Il fit virer sa monture pour contourner les chevaux des gardes et il le talonna pour foncer vers le pont. Son cœur tambourinait dans sa poitrine. Quelqu'un cria son nom. Il n'y prêta pas attention. Il galopa le long du pont, les pavés vibrant sous les sabots de Kors. Devant lui, des flammes ravageaient les arbres, formant un front opaque. La berge du lac était à peine plus large qu'une barque entre le pont et l'orée du bois. Elle se rétrécissait encore plus à droite et la gauche ne menait que vers la cascade. C'était intentionnel. Ils ne pouvaient passer nulle part.
Il savait qu'il y avait bien plus. Ça ressemblait à un incendie des tribus du feu. Ce n'était pas tant une tribu qu'un campement de mercenaires qui s'étaient réunis sous une même bannière et se jetaient à la gorge les uns des autres s'ils n'avaient pas un ennemi commun pour les unifier. Ils signaient tous leurs tueries par un incendie. C'était leur façon de clamer leur victoire et de se débarrasser des corps. Pour prouver que le travail avait été accompli, ils gardaient un objet qui rendait la personne reconnaissable. S'il n'y avait pas d'objet, ils tranchaient la tête.
Cependant, à moins que l'un d'entre eux ait contracté un assassinat, ils n'avaient aucune raison de mettre le feu ici. Encore plus s'ils n'avaient assassiné personne.
Il fut tiré à bas de son cheval par Hardan. Il heurta les pavés. Il lutta pour se dégager mais le capitaine ne fut facile à faire reculer.
- Mais lâchez-moi, bon sang !
- Pour que tu tentes de t'enfuir ?! Pas question !
Il vit l'éclat trop tard. Il n'eut pas le temps de crier au prince de se baisser que le carreau se plantait dans sa clavicule. Ses jambes cédèrent sous lui et il s'effondra contre Hardan qui le rattrapa comme il put. Une seconde flèche égratigna la joue du capitaine avant de frôler sa gorge.
- REPLI ! VITE !
Vestar lutta pour courir aux côtés du capitaine alors que les quatre autres gardes forçaient Alrek à faire demi-tour. Kors galopa derrière eux, abandonnant son cavalier derrière lui. Hardan soutint Vestar, un bras autour de sa taille, tenant le bras droit du céraméen autour de son cou.
Chaque pas était un supplice. Il sentait le sang imbiber ses multiples couches de vêtements. La douleur était insoutenable. Le soigneur les rencontra sur les marches du château. Deux apprentis se tenaient derrière avec un brancard. Il n'attendit pas et plaqua un mouchoir sur son visage. Aussitôt, Vestar tomba dans les vapes, assommé par le parfum puissant de valériane et d'alcool.
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NdlA : Tan Tan TAAAAAAAAAN ! Mais que se passe-t-il ?!
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