Chapitre 13
Il savait ce qu'attendait Alrek. Il ne l'avait pas jeté à terre pour rien. Ce n'était pas sans motif, une réaction instinctive. C'était un acte réfléchi, choisi parmi d'autres options. Il aurait pu le gifler, le traîner par le bras, par les cheveux. Il y avait beaucoup d'autres possibilités autre que celle de le projeter aussi violemment contre le sol.
Non, il avait choisi cette alternative dans le seul but de le faire ramper jusqu'à la sellerie. C'était tout ce qu'il voulait voir. Il voulait le forcer à se traîner vers lui, soumis. Il ne le connaissait vraiment pas. Jamais il ne se soumettrait à quiconque. Et sûrement à un prince de glace qu'il devinait si facile à briser une fois que l'on connaissait les bons points de pression.
Il inspira profondément et se hissa. Il serra les dents pour ne pas laisser échapper le moindre son. Il faillit tourner de l'œil pendant quelques secondes mais parvint à se remettre debout. Il ne ramperait pas. Jamais.
Il tituba jusqu'à la sellerie et se laissa tomber devant la caisse. Il ne chercha pas à éviter le regard gris d'orage, lui transmettant toute sa rage et sa haine pour couvrir combien il souffrait.
- Bien, fut tout ce que Alrek trouva à dire. Je pensais te laisser choisir comment ils devraient être punis selon toi mais puisqu'il semble que tu n'aies plus aucun jugement, je suppose que je devrais m'en charger.
Voir passer sous son nez la vengeance qu'il désirait tellement était un nouveau coup qu'il devait subir. Il aimerait tellement pouvoir battre ces deux petits enfoirés jusqu'à ce qu'ils le supplient de les laisser vivre... !
Entre cette impossibilité de faire payer Skuti et Gorg, il y avait ce ton froid qui l'accusait d'avoir causé cette punition. Vestar n'aurait jamais pensé le prince capable de tant de manipulation mais c'était fait avec brio. Quelqu'un de plus faible que lui se serait blâmé de ne pas avoir su se contrôler. Au lieu de diriger toute sa colère vers Alrek, il l'aurait redirigée vers lui-même. C'était malin, il ne pouvait le nier.
Il se força ne rien manifester. Il n'offrirait pas la moindre victoire au prince. La moindre manifestation de frustration, de protestation serait un cadeau qu'il lui ferait, une manière pour lui de garder le dessus sur Vestar. Or, il ne pouvait pas lui laisser un tel pouvoir. Il devait être le manipulateur dans leur duo, pas le manipulé.
- Ce sujet est donc réglé. Je peux aussi passer sur les nouvelles règles que j'avais prévues. Il n'est plus question de te laisser la moindre liberté de mouvement dans le château, même sous la surveillance de Sakari. Tu demeureras enfermé dans tes appartements.
Vestar déglutit. Il ne laisserait pas tout cela l'affecter. Il se doutait qu'il y avait encore plus. Que ce n'était que le début de sa punition. Heureusement pour lui, il avait eu bien pire à encaisser depuis l'enfance. Ce n'était pas pour rien que de vastes parties manquaient à l'appel lorsqu'il essayait de invoquer des souvenirs d'été, de la chaleur maternelle de Ceramos, de toutes les bêtises d'enfant qu'il avait pu commettre.
- Il y a cependant un sujet sur lequel je ne peux pas passer. Je viens d'apprendre que la garde royale a découvert un espion céraméen dans le château. Il a été arrêté et enchaîné. Il sera exécuté demain en public lorsque le soleil sera à son plus haut point. Je pensais t'en épargner la vision. Au lieu de ça...
Alrek se leva et s'arrêta à côté de lui, regardant droit devant lui.
- Nous répondrons à la demande de mon père. Il a exigé qu'un choix soit fait. Il pensait que je serais celui à le faire mais tu seras celui qui devras choisir. Tu n'as que deux options. Dans la première, tu seras celui qui actionnera la roue. Dans la seconde... Tu le regarderas mourir et, pour chaque seconde qu'il mettra à mourir, tu recevras un coup de fouet. D'un côté ou d'un autre, il mourra. Le véritable choix est de savoir quelle valeur tu donnes à ta vie par rapport à celle des autres de ton peuple. J'espère que tu feras le bon choix.
Le prince partit en le laissant agenouillé devant la caisse pleine de petits êtres aussi innocents que leur propriétaire était vil et perfide. Ses doigts se crispèrent sur le bois. S'il l'avait pu, il aurait fracassé ce crâne de glace contre le mur. Il l'aurait frappé si fort qu'il s'en serait brisé les os.
De lourdes bottes frappèrent le sol du couloir. Vestar ferma les yeux et se laissa tomber sur les fesses. Son corps tout entier lui faisait mal. Il n'avait qu'une envie : prendre un cheval et filer en hurlant dans le vent. Mais il ne pouvait pas. Il avait un rôle à jouer. Le choix que se présentait à lui représentait un quitte ou double. Il n'avait pas intérêt à se tromper.
Sakari entra dans la sellerie et hésita sur le seuil, se balançant sur ses talons. Vestar tendit la main pour effleurer le dos d'un chiot. Il était chaud et doux, innocent et réconfortant. Il avait envie de le prendre dans ses bras et de le câliner dans l'espoir que sa rage et sa frustration se dissipent.
- Ça va ?
- Ça a l'air d'aller ? rétorqua-t-il.
- Pas vraiment mais tu avais déjà l'air horrible avant de venir alors ma question reste justifiée.
Vestar jura dans un souffle.
- Je suppose que je dois retourner à l'intérieur ?
- Je ne sais pas. Sa Seigneurie ne m'a rien dit. Il est juste passé devant moi alors je suis venu voir si tu étais encore en vie.
Vestar ne répondit pas. Il saisit un fragile corps canin et le posa sur ses genoux. Le chien bâilla de toutes ses dents avec un gémissement adorable. Il se blottit contre lui et se rendormit. C'était une vue si douce et simple qu'il sentit tous ses sentiments négatifs s'apaiser malgré lui. Ça ne durerait pas. Ce n'était qu'un court répit.
Il pensa à son chien, Dasko, qui était resté à Ceramos. Il l'avait eu dès qu'il avait été sevré. Il tenait dans la paume de sa main tant il était petit. Il était d'un blanc pur et parfait, sans aucune tache. Jusqu'à ce qu'il se roule dans la boue ou dans le foin. Il était l'être le plus fidèle et courageux qu'il connaisse. Il lui manquait terriblement. Dasko avec ses grands yeux bleus et son poil épais avait été son meilleur ami depuis huit ans. Ce chien ne l'avait jamais quitté, même à l'armée. Il avait toujours été à ses côtés. C'était la première fois qu'ils étaient séparés. Il ne s'était pas aussi bien préparé qu'il l'avait cru. Il n'osait imaginer dans quel état se trouvait Dasko.
- On devrait rentrer, dit Sakari. Le dîner approche et il faut que tu te changes.
La seule idée de devoir s'agenouiller à côté du prince lui fit serrer les poings. Il n'avait aucune envie de s'approcher de lui jusqu'à ce qu'il soit calmé et rationnel. Cependant, il savait qu'il n'avait pas le choix. Il était déjà en bien assez mauvaise posture.
Il remit le chiot dans la caisse et leva le regard vers Sakari. Le garde lui tendit une main pour l'aider à se relever. Il entendit ses dents grincer alors qu'il se retenait d'exprimer sa souffrance. Sakari l'aida à retrouver son équilibre. Il marcha à ses côtés, lentement, patiemment. Ils ne parlèrent pas, se contentant de l'escorter. Ils remontèrent jusque dans les quartiers princiers et Sakari resta devant la porte.
Le prince était assis dans son sofa, un plateau de thé installé sur la table basse. Un fin filet de fumée sortait du bec de la bouilloire polie. Vestar se figea sur le seuil. Il lui fallut quelques secondes avant de retrouver ses automatismes et de fermer la porte.
- Va te changer. Nous devons assister à châtiment de Skuti et Gorg avant d'aller dîner.
Il ne répondit pas et partit vers sa chambre. Il changea ses vêtements pour en mettre de plus dignes d'une réunion royale. Il était plus simple d'obtempérer. En tout cas, pour l'instant. Il fallait qu'il réfléchisse à ce qu'il allait faire par rapport au choix qui lui avait été donné.
Il retourna dans le petit salon et Alrek se leva. Sans un mot, sans un regard, il sortit et Vestar ne put que le suivre. Sakari les suivit à distance, plus sérieux et fermé qu'il ne l'avait été jusque là.
Des chaises avaient été amenées dans le jardin pour les spectateurs. Skuti et Gorg étaient à peine vêtus, une simple chemise descendant jusqu'à leurs genoux, battant au vent. De lourdes chaînes étaient attachées à leurs poignets et leurs chevilles.
Contrairement aux autres knähund, il fut forcé de se tenir à côté du prince pendant que le roi énonçait les crimes de deux accusés. Il ne put que relever le menton en regardant Skuti et Gorg droit dans les yeux. Il ne serait peut-être pas celui à leur assener les coups de fouet mais il en tirait une satisfaction égale à regarder la chair de leurs dos exploser sous les fines lanières de cuir tanné, la douleur peindre leurs traits, leurs cordes vocales vibrer sous leurs cris d'agonie.
Skuti fut le premier à s'évanouir. L'ancien garde tint presque jusqu'au bout. Pendant un instant, Vestar avait cru qu'il tiendrait la distance. Cependant, les jambes de Gorg cédèrent sous lui et, dans un cri, sa tête partit en avant et il ne bougea plus.
Le roi claqua des doigts et les deux corps furent emportés vers le soigneur, laissant des traînées rouge vif sur la neige. Très vite, la foule se dissipa, galvanisée par le sang et la souffrance, les voix devenues fortes et bourrées d'une excitation malsaine. Vestar observa le sang qui avait éclaboussé le paysage. Il ne faudrait pas longtemps pour qu'il disparaisse, recouvert par une nouvelle couche de neige. La nature effacerait les dernières traces du supplice de Skuti et Gorg.
Tout avait été trop vite. Beaucoup trop vite. Il comprenait qu'ils veuillent tous rentrer au plus vite pour fuir le froid. Lui-même frissonnait sous son manteau. Toutefois, il aurait préféré geler sur place et voir Skuti et son complice souffrir jusqu'au bout de leur châtiment plutôt que de les voir emmenés se faire soigner simplement parce qu'ils avaient perdu connaissance. À Ceramos, chaque condamné subissait le nombre de coups de fouet qui avait été décidé par le roi. Pas plus et certainement pas moins.
Malgré tout, il garda les lèvres serrées et emboîta le pas du prince jusqu'à la salle du dîner. Il parvint à s'asseoir sur ses talons en grimaçant à peine. Ses yeux demeurèrent rivés un nœud dans le bois de la table et il ne prononça pas le moindre mot. Il ignora les questions du conseiller placé sur le côté droit de la table, le plus proche du prince. Il ignora aussi son knähund qui murmura quelque chose sur son impolitesse. Il ignora le prince qui défendit son silence.
Il fit mine d'ignorer qu'il n'avait rien à dîner et que son estomac s'en rendait compte. Discrètement, il plaqua ses bras contre son ventre pour en étouffer les grondements furieux. Lorsque le moment vint pour lui de se relever, il se força à ignorer le vertige qui lui donna la nausée et fit tanguer le sol sous ses pieds.
- Ton compatriote sera exécuté demain au coucher du soleil. Tu as jusque là pour faire ton choix.
Sans attendre de réponse, le prince disparut dans sa chambre. Vestar se traîna dans la sienne et se laissa tomber sur son lit. Il ne prit pas la peine de se changer. Il était épuisé aussi s'endormit-il aussitôt, dès que sa tête effleura l'oreiller.
Il se réveilla au lever du jour par habitude. Il caressa l'idée de rester coucher et de laisser le prince se réveiller seul. Toutefois, il était en assez mauvaise position aussi ne pouvait-il pas faire autrement que de suivre la routine quotidienne. Il se hissa hors du lit. Toutes ses douleurs se réveillèrent et il gémit. Chaque mouvement fut un supplice. Il allait falloir attendre un moment avant que ses muscles ne chauffent et que la souffrance s'atténue un minimum jusqu'à devenir supportable.
Il trouva Sakari dans le couloir et reçut un faible sourire en guise de salut.
- Tu as l'air de t'être fait piétiner par un troupeau d'élans.
- Toujours aimable, marmonna-t-il.
Il n'était pas vexé mais il n'était pas ravi de savoir qu'il ne ressemblait plus à rien. Il n'avait pas osé se regarder dans le miroir. Il préférait ignorer l'étendue des dégâts plutôt que d'avoir à y faire face. Être oublieux du détail de ses blessures les rendaient plus facile à ignorer.
- J'ai entendu parler de ce qu'il t'a demandé de faire. Tuer l'espion que l'on a découvert. Tu vas le faire ?
- Je ne sais pas.
L'intérêt de Sakari le perturbait. Voulait-il ruiner la surprise de tout le monde ? Voulait-il avoir l'information avant tout le monde ? Ou était-ce juste de la curiosité ?
- Tu devrais le faire. Ce n'est pas comme si tu avais vraiment le choix, de toute façon. Le prince n'a pas eu le choix.
- On a toujours le choix.
- Pas avec le roi. Et le roi veut se débarrasser de toi. Il ne veut pas d'un céraméen à sa cour. Surtout pas sous la forme d'un knähund et encore moins pour son fils. Il savait qu'il y avait cet espion à sa cour depuis des mois. Qu'il fasse mine de le découvrir soudain, ça n'est pas une coïncidence. C'est un test envers son fils et envers toi. Si tu échoues, tu meurs. Et si tu meurs, le prince sera évincé du trône.
- Évincé du trône ? Pourquoi serait-il évincé du trône ?
Il s'était douté qu'il serait tué s'il ne tuait pas l'espion. Ça serait vu comme une trahison envers Isstad. Il prouverait qu'il n'était qu'un traître en devenir. Une menace dont il fallait se débarrasser avant qu'il ne soit trop tard.
Cependant, pourquoi le roi évincerait-il son propre fils du trône si Vestar refusait d'assassiner l'un de ses compatriotes ?
- Beaucoup de monde... Bon, d'accord, la haute voit Sa Seigneurie comme inapte à prendre la couronne. Ils cherchent à tout prix à le retirer de la ligne de succession. Le conseiller Linus est le plus fervent détracteur du prince. Depuis ton arrivée, il crie au scandale et exige que l'on teste ta loyauté. Il a enfin eu gain de cause. Il est certain que, si l'on prouve que le prince n'a pas su te domestiquer – ses mots, pas les miens –, c'est qu'il ne sait pas faire preuve de jugement et qu'il n'est donc pas digne du trône.
- Donc, si je comprends bien, tu attends de moi que je sois le bourreau de l'un des miens simplement pour sauver les fesses de son prince ?
- Ça ne sauverait pas que l'héritage de Sa Seigneurie. Ça te sauverait la vie aussi. Si tu ne fais pas le choix qui est attendu de toi, tu mourras. Le roi refusera de te garder à la cour si tu ne te montres pas fidèle envers ton maître.
- Ce n'est pas mon maître.
- C'est le genre de commentaire qui te fera tuer si tu ne te méfies pas.
Sakari poussa la porte des cuisines et le laissa entrer. Vestar trouva le plateau du prince et fut soulagé de voir le pjatze de retour. Cette fois, pas de serpent en vue. Il ne savait pas s'il aurait recommencé une seconde fois, même pour sauver Alrek. Même pour sauver sa vie.
Il souleva le plateau et ressortit de la cuisine après un bref salut pour Viggo et Kerry qui trottinait dans la cuisine, une pile de torchons propres dans les bras. Dès qu'ils furent seuls dans les couloirs, Sakari relança la conversation, peu décidé à abandonner le sujet.
- Fais le bon choix, Vestar.
- En quoi est-ce si important pour toi ? Tu ne me fais pas confiance.
- Ce n'est pas une question de te faire confiance ou non. La vraie question est ce qui est le mieux pour le royaume. Et le mieux, c'est que Sa Seigneurie reste l'héritier du trône. Que je le veuille ou non, pour cela, il a besoin de toi.
Savoir que la position du prince dans son propre royaume reposait sur son choix lui donnait un pouvoir certain. Un pouvoir qu'il pourrait utiliser contre Alrek. Un pouvoir qui lui donnait l'avantage.
- Tu n'as pas une bonne opinion de lui, je m'en doute. Tu as toutes les raisons de ne pas l'apprécier. Il t'a enlevé à ton royaume, te force dans ce que tu dois voir comme une forme d'esclavage...
- C'est de l'esclavage, intervint-il.
- Non, ça n'en est pas. C'est la simple réponse à un besoin des deux parties. Ces hommes passent des mois sans voir leurs femmes et leurs filles. Ils sont seuls. Et ceux qui acceptent de devenir des knähund ont leurs propres raisons. Que ça soit l'argent, un besoin réciproque de ne plus être seul ou l'ambition, ils veulent devenir les compagnons de ces hommes. Les esclaves ne veulent pas devenir esclaves. Ils n'obtiennent rien, l'échange n'est pas équilibré et ils ne sont pas aussi bien traités que les knähund. Les deux ne sont pas comparables.
Vestar n'objecta pas. Il ne pouvait pas contrer ses arguments. Il se souvenait des esclaves traînés dans le sable, épuisés et malingres, blessés et à peine vêtus. Il était vrai que rares étaient les esclaves qui recevaient un traitement décent de leurs propriétaires. Ils étaient vus comme de la chair à canon, comme des outils. Pas comme des personnes. Depuis qu'il était à Istapp, il n'avait pas vu un seul knähund en mauvaise santé ou portant des bleus. Il n'y avait que lui.
- Ce que je veux dire c'est qu'il n'est pas aussi horrible que ce qu'il te montre. Donne-lui une chance de te prouver qu'il est plus que celui qui t'a forcé à devenir son knähund. S'il l'a fait, il doit y avoir une raison. Il y a toujours une explication à ce qu'il fait.
- Je m'en suis rendu compte, merci bien. Il savait que je me ferais mettre en pièces par Skuti et Gorg lorsqu'ils me ramèneraient dans nos quartiers. Il savait que je ne pourrais pas me défendre à cause du contre-coup du venin et de la potion du soigneur. Il le savait et il les a laissé faire. Tu sais pourquoi ? Parce qu'il voulait s'en débarrasser. Il ne voulait plus d'eux dans sa cour alors il les a laissé faire ce qu'ils voulaient.
- Skuti allait le trahir par jalousie et Gorg se serait retourné contre lui à un moment ou un autre parce qu'il voue une haine tenace aux céraméens. Il s'est protégé. Je ne dis pas qu'il n'aurait pas pu faire autrement, ajouta-t-il rapidement en roulant des yeux face au regard noir de Vestar. Je dis simplement qu'il a fait ce qu'il devait faire pour se protéger. Il est déjà en guerre contre son père et ses conseillers, il n'a pas besoin de se faire trahir par des gens de sa cour.
- Tu le défendras envers et contre tout, n'est-ce pas ?
- Oui.
Il n'eut aucune hésitation. La réponse jaillit de ses lèvres. Sakari ne détourna pas le regard, comme fier de sa confiance aveugle en son prince. Vestar ne put s'empêcher de se demander comment il avait fait pour obtenir une telle dévotion. D'ordinaire, les royaux étaient toujours vus sous un jour négatif. Tout le personnel cherchait leurs faiblesses et leurs fautes.
Or, il semblait que Alrek soit adoré par tout le monde. Il n'avait pas entendu une mauvaise chose à son propos. Pourtant, ce n'était pas faute d'avoir cherché.
Ils s'arrêtèrent devant les portes des quartiers princiers. Sakari posa une main légère sur son épaule, craignant sûrement de lui faire mal.
- Fais le bon choix. Prends-le comme une faveur.
- Nous en sommes déjà aux faveurs ?
Un sourire apparut sur les lèvres du garde qui fit un pas en arrière sans répondre. Vestar ouvrit la porte et pénétra dans la pièce toujours plongée dans le noir. Il trouva la table basse et y déposa le plateau. Dans un pur esprit de vengeance, il alla ouvrir en premier les rideaux dans la chambre d'Alrek avant de repartir dans le petit salon. Il patienta, une hanche appuyée contre le rebord de la fenêtre.
La matinée passa en silence. Il fut obligé de suivre le prince à travers les jardins, écoutant les préparations pour les semis du printemps. Ils avaient encore plusieurs mois à attendre avant que le sol ne commence à dégeler. Ils s'y prenaient très tôt. Ça ne devait pas venir du roi. C'était plus que probablement une initiative d'Alrek bien que cela semble improbable.
Il passa l'après-midi enfermé dans ses quartiers avec Sakari. Le garde semblait décidé à prendre des risques même s'il ne bougea pas de l'entrée. Par chance, il ne chercha pas à aborder le sujet de l'exécution qui se préparait.
Et puis, il se retrouva obligé de se changer, forcé de refaire les tresses du prince, de l'aider avec sa propre tenue dont les lacets étaient tous dans le dos. Ils marchèrent côte à côte jusqu'au lac. Une lourde roue était posée dans la neige, maintenue sur la rive par des cordages. Une épaisse chaîne enserrait le cou de l'espion dont le visage était détruit par des hématomes gonflés et purulents. Il était entouré de trois gardes royaux qui regardaient vers le dais où le roi se tenait déjà. Vestar sentit ses poings se serrer en le voyant déguster du raisin – une production que Ceramos avait toujours du mal à obtenir et qui en faisait un mets dédié aux plus riches – comme s'il attendait un nouveau spectacle et pas une exécution.
Alrek s'installa sur son sofa sans rien dire, sans un regard pour son père. Il se tint droit et fier, digne. Vestar hésita. Il n'avait aucune envie de s'agenouiller. Il avait réussi à l'éviter toute la journée. Il tressaillit lorsque la grosse voix du roi tonna :
- Attachez-le !
L'espion fut traîné jusqu'à la roue et attaché dessus. Il ne pipa mot, se laissa manipuler. Gardait-il sa fierté ou avait-il rendu les armes ? Vestar tendait à croire qu'il refusait de donner aux spectateurs ce qu'ils attendaient : des cris et des supplications. Cependant, il savait aussi qu'ils finiraient par arriver. Dès que la roue commencerait à rouler, il ne pourrait pas lutter.
Alrek se leva et effleura son bras. Il sursauta vivement. D'un simple regard, le prince lui fit comprendre que c'était à son tour d'entrer en scène. Il fut escorté par Sakari et Alrek jusqu'à la roue mais il s'approcha seul.
- Faites-le, murmura l'espion.
Vestar secoua la tête. Sa décision était prise. Il avait eu le temps de peser le pour et le contre durant son après-midi passée avec Sakari.
- Vous devez le faire. Si vous ne le faites pas, vous faillirez envers Ceramos.
- Veux-tu mourir à ce point ?
- Non. Bien sûr que non. Mais je sais que ma mort servira mon royaume et mon prince. Alors faites-le. Coupez les cordes.
- Quel est ton nom ?
- Mon nom n'a aucune importance. Ne portez pas ma mort sur votre conscience.
Vestar ne prêta aucune attention aux imprécations qui lui étaient lancées par le roi. Il frémit lorsque la main légère d'Alrek frôla son dos. Il se raidit lorsque le prince se pencha sur lui.
- Prends ta décision tout de suite, souffla-t-il à son oreille. Mon père s'impatiente. Soit tu demandes à ce qu'on t'attache de l'autre côté pour partager le supplice, soit tu coupes ces cordes.
- Où sont passés mes coups de fouet ?
- Mon père est frustré que son spectacle mette si longtemps à arriver. Choisis vite.
Vestar le sentit à peine reculer et reprendre sa place originale à côté de Sakari. Il ne pouvait plus retarder l'échéance. Il s'approcha de l'espion et posa ses mains sur ses joues.
- Ceramos se souviendra de ton sacrifice.
L'espion sourit. Vestar se hissa sur la pointe des pieds pour poser un baiser sur les lèvres du condamné.
- Pars avec fierté et gloire dans ton cœur, mon ami, dit-il assez fort pour couvrir les voix qui s'offusquaient de ce qu'il venait de faire.
Et il récupéra la hache pour trancher les cordes qui retenaient la roue.
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NdlA : Rah la la ! C'est bien moche, tout ça !
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