Chapitre 11
Vestar se sentait mal à l'aise. Peu importait où il était dans le château, du moment que le prince était avec lui, quelque chose le tracassait. Il était certain que l'assassin rôdait autour de sa cible, cherchant la première ouverture possible. À moins qu'il ne se monte la tête tout seul puisqu'il ne se passait rien.
C'était étrange, en soi. C'était comme si l'assassin – ou les assassins – les observait pour trouver une faille, un moment récurrent où le prince était en position de faiblesse. Vestar faisait de son mieux pour savoir lorsque cela arrivait mais il ne passait pas tout son temps avec lui et il pouvait parfaitement y avoir des failles dans la sécurité du palais.
Lorsqu'il avait accepté ce plan, il n'aurait pas cru finir par devoir protéger le prince. Il aurait pensé que ça aurait été une guerre incessante entre eux, un affrontement constant, sous-jacent, achevé à demi-mots. Au lieu de ça, ses mécanismes de protection s'étaient mis en marche et son cerveau passait son temps à analyser chaque seconde à la recherche d'une menace.
Alrek semblait toujours aussi détendu et glacial. La menace autour de lui paraissait ne pas l'atteindre. Il devait avoir confiance en sa garde pour être aussi composé face à la situation. Surtout qu'ils ne savaient toujours pas d'où venait la menace.
Il se leva et ouvrit ses rideaux. Il appréciait sa nouvelle chambre. Elle était petite mais chaleureuse et accueillante. La chaleur de la cheminée du petit salon se diffusait dans toutes les pièces jusqu'à la sienne. Son lit était un peu petit pour lui, ses pieds dépassaient au bout du matelas. Les lourds rideaux bloquaient le soleil qui se réverbérait sur le lac gelé.
Il les tira et laissa la lumière entrer dans la chambre. Il cligna des yeux et alla récupérer sa bassine d'eau pour se laver et se changer. Il n'avait pas beaucoup d'options dans la garde-robe. Toutefois, c'était mieux que ce qu'il avait jusque là. Au moins, il pouvait changer de tenue tous les jours. Kerry venait chercher ses vêtements chaque soir, une fois le prince couché.
Il partit chercher le petit-déjeuner d'Alrek. Il vit tout de suite que quelque chose clochait sur le plateau. Il avait appris à le connaître depuis qu'il devait s'en occuper.
- Où est le pjatze ? demanda-t-il au cuisinier, Viggo.
Viggo ne tourna pas le regard vers lui et répondit depuis sa station :
- Ils ont tous été jetés. Un idiot, j'ignore encore lequel, les a massacrés en les poussant au fond du four. Complètement brûlés. J'ai dû trouver quelque chose pour le remplacer et c'est tout ce que j'ai trouvé.
Vestar hocha la tête et saisit le plateau. Il salua rapidement Rosana en passant à côté d'elle. Elle lui offrit un sourire sans s'arrêter. Il posa le plateau sur la table du salon et ouvrit les rideaux. Malgré lui, son regard retourna sur le plateau. Cette histoire de pain le tracassait plus que raison.
Il alla ouvrir les rideaux de la chambre du prince, le réveillant. C'était le seul moment de la journée où il se permettait de voir Alrek en tant que Alrek et pas en tant qu'un prince ennemi auquel il était obligé d'obéir. C'était juste un jeune de son âge, un personnage étrange et mystérieux qu'il ne parvenait pas réellement à comprendre.
Ça ne durait jamais longtemps. Jusqu'à ce que le prince repousse ses couvertures, sorte du lit et l'ignore comme s'il faisait partie du décor. Dès lors, l'idée s'évanouissait et il se retrouvait planté dans sa réalité.
Il soupira et se passa une main sur le visage avant de le rejoindre dans le petit salon. Il trouva son coussin au pied du sofa. Il connaissait chaque geste du prince. Tous les matins, il répétait les mêmes. Sa main s'arrêta au-dessus de ce qui aurait dû être un pjatze.
- Où est le pjatze ?
- Ils ont brûlé. Quelqu'un les a mal placés dans le four d'après Viggo. Il n'a trouvé que ça comme remplacement.
- Tu lui diras que je préfère cela au pjatze.
- Oui, Seigneur.
Le terme devenait de plus en plus fluide sur ses lèvres. Il ne l'étouffait plus comme il le faisait au début. La discussion cessa aussitôt.
Vestar sentit toutes ses alarmes se mettre en route sans savoir pourquoi. Il commençait à se demander s'il pouvait continuer à se fier à son instinct. Il n'y avait que Alrek et lui dans cette pièce et rien ne pouvait les atteindre. Aucun archer ne saurait envoyer une flèche vers eux, la fenêtre étant à plus de vingt mètres de haut. S'il y avait un danger, il était bien dissimulé.
Sans savoir pourquoi, son regard revint sur le pain qui remplaçait le pjatze. La coïncidence lui paraissait soudain un peu trop fortuite pour le convaincre. Sa main jaillit pour empêcher Alrek de s'en saisir. La peau du prince était glacée sous ses doigts.
- Puis-je savoir ce que tu fais ?
Vestar ne répondit pas. Il força Alrek à faire reculer sa main du plateau. Il s'avança et observa le pain. Se pouvait-il que... ?
Il poussa le plateau pour l'éloigner du sofa. Il ne pouvait pas prendre le risque que le prince soit atteint. Il se saisit de la soucoupe qui tenait le pain et l'amena devant lui. Si c'était ce qu'il croyait, il avait plutôt intérêt à se préparer mentalement.
Il prit le pain et le scinda en deux. Le serpent se jeta sur sa main, ses deux minuscules crocs s'enfonçant dans le dos de sa main. Le feu envahit ses veines et il lutta contre le vertige pour tirer le serpent loin de sa main, lui arrachant les crocs.
Et il s'évanouit.
Ce fut une vague de nausée qui le réveilla. Il roula sur le côté et rendit tout ce qui lui restait dans l'estomac. Une main indéniablement féminine apparut dans son champ de vision et lui essuya la bouche avec un carré de tissu. Elle lui offrit un sourire, ses grands yeux clairs plissés et voilés de lourds cils charbonneux. Elle disparut et il se remit sur le dos.
Bon sang, il détestait ces maudits serpents. Il bénissait toujours le fait d'avoir gardé un peu de l'immunité de son père face à cette race vicieuse de serpents minuscules. Cependant, les effets du venin le laissaient vaseux et nauséeux avec une migraine impossible à éradiquer durant plusieurs jours.
Il perçut le bruit d'une porte. Il lutta pour se redresser mais une main puissante le maintint sur le lit de camp.
- Restez allongé, lui ordonna une voix d'homme, grave et rauque, usé par le temps. Vous êtes encore affaibli.
- Ne vous en faites pas pour moi, répliqua-t-il. J'ai l'habitude.
Le soigneur – en tout cas, il supposait que c'était le soigneur – l'aida à se redresser. Son visage apparut enfin dans son champ de vision. Il avait les traits burinés et fatigués, de profonds sillons marquant son visage.
- J'ignore comment vous avez survécu, jeune homme. C'est un miracle. Vous devriez être mort.
- Je suis resté inconscient combien de temps ?
- Trois jours. Mais vous devez vous reposer.
- Ma résistance ne va pas en s'améliorant... Est-il arrivé quoi que ce soit à Sa Seigneurie ?
- Non. Je vais bien.
Vestar tourna la tête vers Alrek qui entrait. Le mouvement souleva son estomac. Il plaqua une main sur sa bouche et parvint à repousser la nausée. Il respira plusieurs fois profondément avant de rouvrir les yeux et de ramener son attention sur le prince.
- J'ai cru que tu étais mort.
- Inquiet pour moi, Seigneur ? railla-t-il, incapable de s'en empêcher.
- Non. J'aurais simplement été embarrassé de devoir me débarrasser de ton cadavre.
- Skuti aurait été ravi de le faire.
Les lèvres du prince frémirent tandis qu'il retenait son sourire. Vestar ne lui cachait pas ce qu'il pensait du servant. Et il savait que Skuti aurait été ravi qu'il meure pour pouvoir reprendre sa place auprès d'Alrek. Vestar était toujours convaincu que le serviteur était amoureux de son prince et il n'en démordrait pas. Tabou ou non, il n'avait pas peur de le clamer haut et fort.
- Comme je le disais, intervint prudemment le soigneur, c'est un miracle qu'il soit encore en vie.
- Ça n'a rien d'un miracle, répliqua Vestar. Mais j'admets que, d'ordinaire, je ne mets pas aussi longtemps à me réveiller.
- Que veux-tu dire ?
- Je suis en partie immunisé et je me suis fait mordre un nombre incommensurable de fois. J'ai pour habitude de me réveiller dans la dizaine d'heures suivant la morsure, pas trois jours après.
Il laissa le sous-entendu résonner dans sa voix. Si le prince fut assez malin pour ne pas le relever, le soigneur ne le fut pas.
- Il est certain que vous n'êtes pas au meilleur de votre forme et que cela a affecté votre guérison.
Vestar eut envie de rire face à la subtile expression agacée d'Alrek. Le soigneur ne dut même pas s'en rendre compte. Personne ne regardait-il le prince en face, dans ce château ? Ils pourraient se montrer plus malins s'ils osaient observer le mouvement des muscles et des yeux au lieu de simplement l'écouter.
- Vous avez gardé le serpent ? demanda Vestar. Je voudrais le voir.
- Le... Le serpent ? s'étonna le soigneur. Il... me semble, oui. J'ai dû regarder à quelle variété il appartenait pour concocter un antidote.
Le soigneur s'éloigna et disparut hors de vue.
- Pourquoi veux-tu voir ce serpent ?
Vestar ne répondit pas et récupéra le pot en terre qui devait probablement contenir le serpent. Il souleva prudemment le couvercle avec appréhension. Il espérait qu'il avait bel et bien tué l'animal en lui arrachant les crocs. Rien ne lui sauta au visage et il relâcha un discret soupir. Il plongea la main dans le pot pour récupérer le corps raidi aux écailles abruptes et rêches. La tête était ridiculement petite pour quelque chose d'aussi létal.
Il passa son pouce sur le dessus de la tête et trouva ce qu'il cherchait. La croix gravée dans la chair. Le symbole de Ceramos. La flèche et l'épée. Ce serpent était l'un de ceux de son père. L'une de ces fichues bestioles qu'il gardait en permanence sur lui, enroulée autour de ses poignets ou qui se faufilait sous ses vêtements.
L'assassin continuait de tenter de brouiller les pistes quant à son origine.
- Qui pourrait avoir une idée aussi tordue que de mettre un serpent dans du pain ? souffla le vieil homme en récupérant le pot.
- Rhesad, répondit Vestar.
Le prince fit signe au soigneur de partir, de les laisser seuls. Ce n'était pas un sujet qu'il voudrait aborder devant quelqu'un.
- C'est l'une de leurs techniques les plus communes pour assassiner un ennemi. Si cet ennemi est à l'étranger, ils envoient une personne dissimulée sous le couvert d'un rôle discret comme un servant ou une laveuse. Cette personne pose alors le piège de façon évidente et disparaît. Chez eux, l'ennemi est invité à leur table et se voit servit exactement les mêmes choses que les autres. Sauf que, pour lui, l'un des plats est garni de l'une de leurs baies de choix. Ils adorent utiliser les baies de minuit.
- Comment sais-tu tout cela ? le questionna Alrek.
Il s'approcha du lit et posa ses mains sur le rebord en bois du cadre, ses yeux fixés dans les siens.
- Je suis bien entraîné. Je connais plus de choses que la majeure partie de vos soldats.
- Je vois cela. Donc, selon toi, celui qui essaie de me tuer serait de Rhesad ? Alors que c'est l'un de nos alliés ?
- Non. Je pense que l'assassin est plus malin que ça. Il veut brouiller les pistes. La technique vient de Rhesad. Le serpent vient de Ceramos.
- Le dénominateur commun reste Ceramos. Viendrait-il de là ?
- Tout est possible. Ça peut aussi bien être un stratagème qu'un signe. Il a prouvé qu'il était retors.
Alrek hocha lentement la tête, semblant réfléchir. Vestar espérait qu'il ne se doute pas qu'il mentait et cachait une vaste partie de ce qu'il savait. S'il apprenait que son père était immunisé, qu'il gardait ses serpents sur lui, il y avait peu de chance qu'il continue d'ignorer qui se cachait derrière la façade de soldat bravache qu'il arborait.
De plus, Vestar savait que la personne qui en voulait à la vie d'Alrek était céraméen. L'utilisation de ce serpent avec ce symbole sur le front... C'était un message. Cela signifiait que les siens comptaient le faire sortir de là en se débarrassant du prince.
Il ne comprenait pas pourquoi le plan d'urgence avait été déclenché aussi tôt. Cela faisait à peine un mois et demi qu'il était arrivé à Istapp. Pourquoi agir aussi tôt ? Avec les nombreux espions céraméens qui rôdaient à la cour royale, c'était possible. Cependant, ça n'avait pas de sens. Que pouvait-il se passer pour qu'ils tentent de l'extraire aussi vite ? Avaient-ils si peu foi en ses capacités ?
Il avait été entraîné pour cette mission, pour sauver son peuple. L'invasion isstadienne avait été prévue de nombreux mois à l'avance et chaque seconde depuis avait été dédiée à son entraînement. Ils avaient profité de la débâcle qui avait suivi la mort du roi, la passation de pouvoir vers la reine régente, pour attaquer. Ces moments étaient délicats pour tous les royaumes. Si le roi mourait avant de pouvoir passer la couronne à son fils, cela mettait le royaume dans une position précaire. Les reines n'étaient pas faites pour régner et elles mettaient toujours un temps infini à reprendre les rênes du pouvoir. Si un ennemi voulait attaquer, c'était le moment idéal.
C'était ce qu'avait fait Isstad. Ils étaient partis en campagne dès que l'annonce de la maladie du roi s'était répandue dans les territoires avoisinants. Leurs alliés, Rhesad et Udlica, n'avaient pas tardé à leur prêter des forces armées pour attaquer Ceramos. C'était la reine qui avait imaginé ce plan et une majorité des conseillers l'avait approuvé. Jamais Vestar n'aurait osé imaginer une telle machination et il continuait de penser qu'il y avait d'autres solutions possibles mais son opinion n'avait pas été prise en compte. Il avait beau approcher de la majorité, il était toujours vu comme un gamin qui ne savait pas de quoi il parlait alors qu'il était sûrement plus éduqué sur le sujet que la reine.
Il ravala la rancœur et la colère qui commençaient à remonter en lui comme de la bile et soupira. Il se massa les tempes. Alrek n'avait pas bougé d'un cil.
- Devons-nous craindre une autre attaque du genre ?
- Non. Il recommencera mais pas de la même manière. Il changera encore son approche pour ne pas se faire prendre.
- Comment peut-il connaître tous ces détails ? Se pourrait-il qu'il ait suivi les mêmes enseignements que toi ?
- C'est possible. Mais les mercenaires utilisent toutes les méthodes d'assassinat les plus connues des royaumes et n'hésitent pas à les mélanger pour obtenir un meurtre impossible à tracer.
C'était quelque chose qu'il devait savoir aussi puisqu'il ne répondit pas. Pour lui, cette possibilité n'était pas à exclure. Pour Vestar, elle l'était totalement. Il était certain qu'un mercenaire n'était pas derrière ces attaques. C'était quelqu'un de bien plus proche de lui. Quelqu'un qui résidait à la cour et paraissait irréprochable.
- Nous en reparlerons plus tard, décida Alrek. Je vais demander à ce que tu sois ramené dans ta chambre pour te reposer.
Vestar ne dit rien et le prince sortit de la pièce. Il se laissa retomber contre l'oreiller et soupira. Sa tête bourdonnait violemment et ses yeux étaient secs et engourdis. Le venin n'avait pas encore totalement quitté son sang. Après autant de temps depuis la morsure, il aurait dû se sentir parfaitement bien. Au lieu de ça, il se sentait toujours aussi mal. Il savait que son manque d'exercice et la nourriture si frugale et rare étaient à blâmer.
Cette sensation brûlante dans ses veines ramenait de mauvais souvenirs à la surface. Il redoutait de fermer les yeux, au risque de se retrouver pris dans le cycle des cauchemars. Ces cauchemars qui ne le quittaient jamais depuis des années. Seul l'épuisement physique pouvait les faire taire. Autant dire que, ces derniers temps, les mauvais rêves hantaient ses nuits.
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NdlA : J'espère que ce chapitre vous a plu ! J'ai failli oublier de le poster, en plus... Alors dites-moi si vous aimez toujours cette histoire !
Sur un autre sujet, je pense changer le calendrier de poste. Je pensais poster un chapitre de Deceit le lundi et un autre le vendredi et poster un chapitre du Sang du Roi le mercredi et un autre le dimanche. Vous en dites quoi ?
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