Douzième chapitre.
Dear You,
Je suis dans le train qui me mène à Mâcon. Il y a bien longtemps que je ne suis pas retournée là-bas. La plupart du temps, c'est Judy qui vient me voir à Lyon. Pour mes parents, un coup de téléphone de temps à autres suffit. Nous n'avons jamais été très proches. C'est d'ailleurs pour cette raison que je n'ai eu aucun mal à leur cacher notre relation. Ils ont bien sûr remarqué que quelque chose n'allait pas, peu après ton départ. J'ai prétexté une peine de coeur, une amourette sans importance. D'une certaine manière, je ne mentais pas. Mais ce n'était pas vraiment une peine de coeur. C'était une souffrance si forte que je n'arrivais pas à mettre de mots dessus. Nous y étions pourtant préparé. Est-ce que tu te souviens, de cette conversation que nous avions eu, il y a bien des années ? Moi, je m'en souviens. Pas exactement, pas par coeur, mais je me souviens de l'essentiel. Nous étions préparés, et pourtant, quand ça nous est tombé dessus, nous avons tout oublié.
Flash-Back.
Février 2010.
Ta main joue avec la mienne par automatisme. Tes doigts s'amusent à tracer le contour des miens, J'apprécie le contact de ta peau contre la mienne tout en griffonnant de ma main libre sur mon agenda scolaire. C'est une journée de cours ordinaire. Nous sommes en première. Ayant choisi la même filière, nous avons eu la chance de tomber dans la même classe, toi, Judy, et moi. Alice, Laurie et Thomas étaient, eux, dans un autre lycée, mais nous continuons à organiser des soirées lors des week-end pour nous voir. Le vent dehors est glacial, alors durant notre heure de libre entre deux cours, nous avons décidé de rester en permanence. Je suis assise à tes côtés alors que Judy vient de s'éclipser pour aller chercher un livre à la bibliothèque pour combler l'ennui. Tu t'ennuies aussi, jouant sur ton téléphone d'une main alors que l'autre s'amuse toujours avec la mienne. Brusquement, ta main a arrête sa danse avec la mienne, tu te redresses et me regarde, m'interrompant ainsi dans mon gribouillage.
- Il faut que je te dise quelque chose.
Je fronce les sourcils, et dans ma tête, je me fais mille scénarios, tous plus insensés les uns que les autres. Tu m'as trompé. Tu ne veux plus de moi. Tu es tombé amoureuse d'une autre. Tu veux arrêter l'école et partir. Tu aimes Judy en secret et tu me l'avoues seulement maintenant. Tu souris en voyant ma mine angoissée et ton sourire m'apaise un peu. Ton sourire est capable de guérir tous mes maux, toutes mes craintes. Je tiens un peu trop à toi pour mon bien. Je le sais. J'en ai conscience.
- Ne me sors pas ce genre de phrase angoissante, dis-je.
- L'entraîneur a demandé à me voir, samedi dernier, commences-tu. Il m'a dit qu'il aurait peut-être une opportunité pour moi.
Je m'apprête à sourire, heureuse pour toi, mais je remarque l'air contrarié sur ton visage. Le football est l'une des choses les plus importantes dans ta vie, tu devrais être ravi si une opportunité s'offre à toi. Mais tu es inquiet, tu es contrarié, alors je devine que je ne vais pas aimer la suite.
- Mais ?
- Si ça se confirme, ça ne sera probablement pas ici.
- Il faudrait que tu partes ?
- D'après le coach, oui. Il n'y a pas de perspective d'évolution ici. Il croit en moi, mais loin de Mâcon.
- Je... Oui, je comprends. C'est logique...
Je comprends, oui. Tu es bon, tu es très bon dans ce que tu fais, mais ce n'est pas en restant ici que tu deviendras ce que tu as toujours rêvé d'être. Ce n'est pas ici que tu évolueras. Ce n'est pas en continuant ta petite vie tranquille à Mâcon que ton destin changera. Alors je comprends. J'ai peur, mais je comprends. Je crains le pire, je crains ton départ, mais j'essaye de faire bonne figure. Car c'est ce que tu as toujours voulu. Je baisse les yeux sur mon gribouillage et de ton index, tu me relèves le menton pour me regarder.
- Si je devais refuser, tu en serais la raison, tu le sais ?
Tes derniers mots m'affaiblissent, menacent de faire s'effondrer les minces remparts que j'ai forgé autour de moi. Je sens mon menton commencer à trembler et je te souris pour masquer mes émotions qui surgissent trop brusquement, trop soudainement.
- Je sais. Mais tu ne refuseras pas. Je te vois, avec un ballon. Tu es fait pour ça, et je ne suis pas celle qui t'en privera.
- Alors c'est ok, si ça devait arriver ? demandes-tu, incertain.
- Bien sûr que c'est ok.
Je me penche pour t'embrasser, essayant de refouler mes nouvelles angoisses naissantes. Tout se passait un peu trop bien pour continuer ainsi.
***
Ce n'était pas vraiment ok. Naïvement, je me disais que ce jour n'était pas encore arrivé, que nous avions du temps devant nous, que je n'avais pas à m'inquiéter pour le moment. Et j'y croyais. Je croyais bien sûr en toi, en tes capacités au football, mais je me disais qu'on ne pouvait pas t'enlever à moi si rapidement. Et pourtant. Pourtant, quatre mois plus tard, tu m'annonçais que c'était arrivé. Que tu avais été repéré. Que tu partais à Bayonne pour deux mois d'essais. Deux mois qui se sont conclu en un contrat. Contrat qui a terminé de t'éloigner de moi. On faisait comme si nous n'avions pas peur. Nous nous disions que nous allions nous écrire tous les jours, nous appeler tous les soirs, nous revoir le plus souvent possible. Rien ne s'est passé comme nous l'espérions. Le temps est assassin et a emporté avec lui ce que nous avions battit. Mais le temps est lâche, car il n'a pas su emporter l'amour que je te porte. Il m'a laissé, avec cet amour sur les épaules, cet amour à supporter, cet amour que je ne pouvais pas partager. Cet amour qui me rappelle quotidiennement que tu es loin. Cet amour qui me lie à toi d'une telle puissance, que je ne comprends pas. Cet amour qui me hante. Pourtant, je ne voudrais pas que cet amour m'échappe. Je ne peux pas concevoir me réveiller un matin et me dire que je ne suis plus amoureuse de toi. Six ans n'ont pas été suffisant. Combien d'autres me faudra-t-il ?
Le train vient de s'arrêter à la gare de Mâcon. Cette gare où nous nous sommes dit au revoir tellement de fois, que je ne les comptent plus. Cette gare, qui t'éloignait toujours un peu plus de moi. Cette gare où j'ai pleuré, tellement de fois. Je soupire en laissant tous mes souvenirs gargouiller en moi. Je ne suis pas capable de les faire taire, je n'essaye même pas de lutter. Je marche un peu et repère Judy non loin de là. Elle m'adresse ce sourire qui lui est propre, et je lui réponds à l'identique, mon sourire étant toutefois nettement moins convainquant que le sien.
- Ma Ranana ! s'exclame-t-elle en me prenant dans ses bras. Comme ça fait du bien de te voir ici !
- Je ne suis pas encore convaincue que Mâcon va me faire du bien, je réponds en répondant à son étreinte.
Elle balai mon intervention d'un mouvement de main avant de prendre l'un de mes sacs pour me débarrasser un peu. Nous commençons à marcher pour rejoindre le parking où se trouve sa voiture, et chaque recoin me rappelle un souvenir. Un banc, un guichet, le distributeur de boissons, partout où nous sommes passés il y a des années.
- J'attends des explications pour ce silence presque total depuis plus d'une semaine, au fait ! lance Judy alors que nous arrivons à sa voiture.
- Et moi j'attends des explications pour l'adresse de mon hôtel qui a miraculeusement été transmise à Antoine.
Judy pince les lèvres, esquisse un sourire en posant mon sac à l'arrière et s'empresse de monter dans la voiture en faisant mine de rien. Je lève les yeux au ciel en la voyant réagir ainsi, malgré les années, Judy reste toujours la même que j'ai connu au collège. Je la rejoins en m'installant sur le siège passager et je la vois s'acharner sur sa radio pour trouver une chanson qui lui convient.
- C'est ça, fait mine de rien, je lance en souriant.
- Absolument pas. D'ailleurs, j'attends des détails de cette soirée depuis plus d'une semaine ! Antoine et toi êtes tellement ingrats, franchement, même pas un remerciement, ajoute-t-elle, faussement offensée. Je fais de mon mieux, je me démène pour vous deux, et voilà comment on me remercie !
- Tu as fini ? je demande, amusée.
- On va s'arrêter à un café, ma maison est trop loin pour que je patiente jusqu'à là-bas, et je veux tout savoir, maintenant. Et j'ai super soif aussi.
- Va pour le café.
Nous sortons du parking et alors que nous roulons, je demande à Judy des nouvelles de sa vie à Mâcon. Elle me répond, cet air toujours enjoué sur le visage, mais je vois bien qu'elle trépigne d'impatience à l'idée de savoir ce qu'il s'est passé avec toi. Je n'ai pratiquement pas parlé à Judy depuis le premier match de l'euro. Je savais qu'elle voudrait tout savoir dans les détails, mais je ne voulais pas tout lui raconter par message ou au téléphone. C'est principalement pour cette raison que je me suis empressée d'acheter un billet de train pour Mâcon une fois de retour à Lyon. Quelques minutes plus tard, Judy se gare dans un nouveau parking et nous marchons un peu pour rejoindre le premier café que nous croisons. Je commande une limonade à la grenadine alors que Judy prend un coca. Nos boissons à peine posées devant nous, la jolie blonde me regarde avec de gros yeux, en attente de détails croustillants.
- Alors ? demande-t-elle en mordant dans sa paille.
- Déjà, pourquoi est-ce que tu as fait ça ?
- Fait quoi ?
- Donner l'adresse de mon hôtel à Antoine. Nous n'avions pas été en contact depuis des lustres.
- Alors il y a eu contact ? interroge Judy, ravie.
- Je suis sérieuse. Je n'ai pas compris, et je ne comprends toujours pas pourquoi tu as fait ça. Je suis avec Nolan, je commençais à avancer et...
- Merde. Pourquoi, tu avances plus, là ?
Je regarde Judy et constate qu'elle est vraiment contrariée, cette fois-ci. Elle a toujours eu la manie de répondre à ses impulsions. Donner l'adresse de mon hôtel à Antoine faisait partit de ses impulsions. Je devrais lui en vouloir, de t'avoir de nouveau mit dans ma vie, mais je n'en suis même pas capable. J'ai presque envie de lui en être reconnaissante.
- Non, je crois que je n'avance plus, je réponds enfin.
- Il faut que tu me racontes ce qu'il s'est passé. Et après, je jugerai de moi-même si j'ai fait une grosse connerie ou pas.
- Depuis le début ?
- Depuis le début.
Je commence par retranscrire à Judy les premiers messages que tu m'as envoyé, vers une heure du matin, alors que je me trouvais au bar avec Nolan et Matt. Les messages ne se trouvent plus sur mon téléphone, mais je m'en souviens par coeur tant je les ai relu avant de les effacer, pour ne pas que Nolan tombe dessus.
- Je lui ai demandé pourquoi il m'écrivait, en lui disant qu'il aurait pu faire comme s'il n'avait rien su de ma présence. Il n'a jamais répondu à ce message.
- Merde. C'était... Plutôt froid, comme échange, commente Judy en se mordant la lèvre inférieure. Ce n'est pas exactement ce que j'avais imaginé... Mais rassure-moi, ça ne s'arrête pas là ?
- Non. Mais je ne sais pas si c'est une bonne chose, ou une mauvaise chose.
- Raconte.
Alors je lui raconte. Je lui raconte que nous sommes rentrés aux alentours de trois heures du matin. Que Matt et Nolan se sont endormis comme des souches. Que je peinais à trouver le sommeil à mon tour, car le plafond tournait trop devant mes yeux. Je lui raconte que j'ai reçu un nouveau message de ta part. Un message que je n'aurai jamais espéré.
- Il me demandait de descendre en bas de l'hôtel.
- Oh bordel, ça c'est mon Toitoine ! s'exclame Judy, ravie. Je n'en attendais pas moins de lui. Et tu as fait quoi ?
- J'ai paniqué. Clairement. J'avais trop bu, je n'étais même pas capable de rester allongée sans avoir l'impression que la pièce tournait autour de moi. Alors je suis aller prendre une douche.
Judy me regarde, dépitée, en laissant retomber la paille avec laquelle elle jouait, dans son verre. J'esquisse un sourire en la voyant ainsi tout en prenant une gorgée de ma boisson.
- Antoine te demande de descendre, et toi, tu vas prendre une douche ? Ranana, ça tourne pas rond dans ta tête ou quoi ?
- J'étais pas préparée, c'est de ta faute aussi ! Tu sais depuis combien de temps je ne l'avais pas vu ? Même moi, j'avais arrêté de compter. J'avais besoin de me remettre les idées en place, alors oui, j'ai prit une douche. Et ensuite, je l'ai retrouvé en bas.
Je t'ai retrouvé. Je me souviens du jogging que tu portais. De ta veste à capuche. De ton odeur. De tes yeux posés sur moi. Des frissons que tu me procurais. De cette sensation de plénitude que j'ai ressenti pour la première fois depuis des années. Je me souviens. Te souviens-tu ? Du baiser que nous n'aurions pas du échanger. De mes mains sur ton visage. Des tiennes sur mon dos. Je me souviens. Je me souviendrais toujours.
- Et ? s'impatiente Judy.
- C'était... Hors-norme. Je l'ai vu, et c'est comme si les six dernières années n'avaient jamais eu lieues. Tu verrais comme il a changé, comme il est devenu encore plus beau qu'il n'était. Il n'était pas distant comme dans ses messages. Non, j'avais l'impression d'avoir devant moi l'Antoine du lycée. Et j'ai merdé. J'ai merdé car je l'ai embrassé.
- Et merde, voilà, je le savais que j'avais fait une connerie..., commente Judy.
- Mais c'est pas ça le pire. Le pire, c'est que je me suis rendue compte que je l'aimais encore. Le pire, c'est que j'ai compris que Nolan passerait toujours après lui. Je pensais que j'avançais, mais je n'ai jamais avancé, je n'ai même pas commencé. Je fais du surplace depuis six ans, Judy. Un surplace rendu plus agréable par Nolan, mais du surplace quand même.
- Rawena..., commence Judy, sans plus aucune trace de sourire sur le visage.
- Tu vois comme ça craint ? Je me dis que si six ans ne sont pas suffisants, rien ne le sera jamais. J'ai l'impression que je vais rester dans cette merde jusqu'au bout. Je vois pas d'issue.
Judy se pince les lèvres en prenant l'une de mes mains dans la sienne, et j'essuie par automatisme une larme que je n'ai même pas sentie couler sur ma joue. Je vois dans le regard de Judy qu'elle regrette de t'avoir donné l'adresse de mon hôtel, mais moi, je ne le regrette pas.
- Et lui ? demande la blonde en murmurant.
- En partant, il m'a dit qu'il n'en avait pas fini avec moi. Et lors du dernier match, il m'a envoyé que c'était ok.
- Tu crois que c'est ok pour lui de la même manière que ça l'est pour toi ?
- J'ai envie d'y croire, oui.
- J'ai merdé, annonce Judy.
- On a tous les trois merdé.
- Et qu'est-ce que tu vas faire... pour Nolan ?
Qu'est-ce que je vais faire, pour Nolan ?
~~~~~~~~
❤️
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro