Dixième chapitre.
Je ne compte plus le nombre de jours où je me suis réveillée en me disant que je t'avais oublié. Ces jours où, par miracle, ou par erreur, je me levais de bonne humeur. Ces jours où j'avais envie de faire plus de choses que d'autres. Ces jours où tout ne me semblait pas noir, mais un peu plus gris. Ces jours là, je me disais que je t'avais enfin oublié. Puis en y pensant, je perdais ma bonne humeur, ressentais de nouveau l'envie de ne rien faire, et tout redevenait noir. Et finalement, je me rendais compte que non, je ne t'avais pas oublié. Que ce n'était que quelques heures de répit dans cet éternel enfer.
En sentant tes lèvres contre les miennes, je comprends mieux pourquoi je ne suis pas parvenue à t'oublier. Parce que je t'ai tout donné, même ce que je ne possédais pas. Parce que je t'ai tout laissé quand tu es parti. Parce que tu as tout emmené avec toi. Et là, ce soir, je récupère un peu de ce que je t'ai laissé. J'ai l'impression d'avoir de nouveau quinze ans, quand nous nous sommes embrassés pour la première fois. Quinze ans. Seize ans. Dix-sept ans. Ces trois petites années que j'ai passé auprès de toi. C'est triste à dire, mais nous avons passés plus de temps séparément qu'ensemble. Qu'est-ce que trois ans, contre six ans d'absence ?
J'ai l'impression de sentir tous mes sens exploser. Comme s'ils se réveillaient enfin, comme s'ils n'attendaient que toi pour le faire. La vue. Même en ayant les yeux fermés, je suis capable de te discerner à travers mes paupières clauses. L'ouïe. J'entends ton souffle, ta respiration saccadée, et les voitures qui passent parfois devant nous. L'une d'entre elle nous klaxonne même, mais aucun de nous deux n'y prête attention. L'odorat. Je sens ton odeur. Elle m'enveloppe de toute part et je pourrais m'y perdre sans la moindre crainte. Le goût. Le goût de tes lèvres que j'avais oublié. Le goût de tout ce que j'ai tant aimé, de tout ce que j'ai tant pleuré. Le goût de toi. Le goût qui fait que je suis moi. Le toucher. Ton toucher. La sensation de mes doigts dans tes cheveux, de ta main sur mes hanches, de tes lèvres contre les miennes. Nos doigts qui se frôlent.
Et mon cœur. Mon cœur qui s'acharne dans ma poitrine. Mon cœur qui menace d'exploser. Durant toutes ces années, je ne demandais rien de plus. Je ne demandais que toi. Je ne voulais qu'une chose, que tu me reviennes. Je sais que tu ne m'es pas totalement revenu. Je sais que, comme tu l'as dit, tu n'es qu'éphémère, que tout ça n'est qu'éphémère. Mais je sais aussi que c'est là tout ce que j'ai espéré. Que c'est la raison de toutes mes prières. Je voulais seulement que tu reviennes un peu pour combler le vide que tu as laissé. Je ne saurais dire si le baiser que nous échangeons dure une heure ou bien quelques secondes. Je ne saurais dire ce qu'il se passe dans ta tête. Je ne saurais dire ce qu'il se passe dans la mienne tant mes pensées sont confuses. Mais je n'ai pas besoin d'explications. J'ai juste besoin de toi, tant que tu es là.
Quand nos lèvres se séparent, c'est inévitable, j'ai immédiatement froid. Froid de toi, froid à l'idée que tu vas bientôt partir. Le jour va se lever et tu ne pourras pas rester indéfiniment sur ce trottoir. C'est une course contre le temps, une course contre la montre, contre le soleil que je ne veux pas voir se lever. Je m'attends à ce que tu me dises que nous venons de commettre une erreur, ou quelque chose de ce style. Mais tu me regardes, en restant silencieux, et je trouve ça encore pire. Bordel, tu es devenu si beau. Je serais capable de donner le peu que j'ai pour te récupérer. Mais je ne suis pas dupe. Je sais que maintenant, nous sommes incompatibles. Je sais que nos deux mondes sont trop différents. Je sais que trop de choses nous séparent, et que trop peu nous rapprochent.
Toujours en silence, tu prends mes doigts entre les tiens, et tu t'amuses à les faire jouer entre eux. Ta peau contre la mienne me fait de nouveau frissonner. A l'inverse de toi, qui regarde nos deux mains jointes, je ne regarde que ton visage. Tes sourcils légèrement froncés. Le grain de ta peau. Tes lèvres que je veux goûter de nouveau. Je suis complétement dépendante, totalement éprise de toi. Un mot, un geste, un signe de ta part, et j'abandonne tout.
- Comment on fais si je n'ai pas envie que tu partes ? demandes-tu.
Je souris en sentant une vague de chaleur monter en moi après avoir entendu tes paroles. Tu n'as pas envie que je parte. Je n'ai pas envie que tu partes. Nous sommes mal. Très mal.
- Je crois qu'on a pas vraiment le choix...
- Et qui le dit, ça ? insistes-tu. Peut-être qu'on pourrait...
- Non, je te coupe. Pas de projet.
C'est encore pire de se trouver loin de la personne qu'on aime lorsque l'on songe à tous ces projets évoqués qui ne vont jamais se réaliser...
- Ok, pas de projet.
En prononçant ces mots, tu laisses de nouveau ton dos aller rencontrer le trottoir. Je prends le risque de sortir mon téléphone pour voir l'heure, et je soupire en constatant qu'il est bientôt cinq heures. Non, pas déjà... Je range mon portable dans la poche de ma veste, et je tourne la tête pour te regarder. Ta capuche noire encadre ton visage, et tes yeux scrutent le ciel. Nous sommes mal... Je lève les yeux à mon tour et constate qu'il n'y a pas beaucoup d'étoiles. De toute manière, c'est toi, mon étoile. Et le jour va bientôt se lever, alors il est normal qu'elles ne soient plus là. Toi, par contre, tu es là. Sur un coup de tête, je prend une décision, et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, je m'assois à califourchon sur toi.
- Qu'est-ce que tu fais ? demandes-tu, surpris, en souriant.
- Je m'assois sur toi.
- Nous sommes au milieu de la rue, précises-tu.
- Et alors ? Je suis sûre que ça ferait un très bel article de magazine people.
Tu souris, remonte tes jambes que je sens désormais contre mon dos, et tes mains viennent à la rencontre de mes propre jambes. C'est totalement insensé de nous voir là, tous les deux, alors que Nolan se trouve à l'intérieur de l'hôtel, et que toi, tu n'es pas censé te trouver ici. Mais notre histoire entière est insensée. Ma peine est démesurée, et mon amour l'est encore plus.
- Tu sais que c'est long, six ans ?
- Je sais, murmures-tu.
- J'ai tendance à croire que ça a été plus long pour moi que pour toi.
- Pourquoi ?
- Parce que tu as une vie bien remplie.
- Et toi, tu as un petit-ami, alors je suis le plus à plaindre, réponds-tu en souriant.
Je ris, mais d'un rire plus nerveux qu'amusé. Oui, j'ai un petit ami maintenant. Mais toi, combien as-tu eu de petites amies depuis le temps ? Combien de filles sont passées après moi ? Combien ont eu la chance d'effleurer ce qui me manquait tant ?
- Toi, tu es riche et célèbre. Et toutes les filles veulent de toi.
- Et moi, je n'en veux pas.
- Mais tu en as voulu.
- J'en ai voulu et j'en ai eu, et finalement, c'est toi qui est ici avec moi.
- Pour combien de temps ?
Sans me répondre, tu redresses ton dos, si bien que ton visage se trouve de nouveau proche du mien, alors que je suis toujours assise à califourchon sur toi. Tu me fais faire des choses pas croyables, mais je jurerais que ce sont là les meilleures choses à faire. De toute manière, tant que tu es là, tout me paraît bien, à sa place. Tu lèves l'une de tes mains pour venir la poser contre ma joue, et irrémédiablement, je frisonne à ton contact. Pourquoi est-ce que je m'accroche encore si fort à toi ? Tu me regardes comme si tu avais devant toi l'une des sept merveilles du monde, et je me sens toute petite.
- Tant que tu voudras de moi.
- Le problème, c'est que je voudrais toujours de toi.
- Alors je serais toujours là.
Si je devais mourir en cet instant, je n'aurai aucune crainte.
Je souris, niaisement, je le sais, mais l'alcool n'y est pour rien. Ces mots, cet instant, je les ai tellement rêvés que j'ai peur d'ouvrir les yeux et de me rendre compte que ce n'était qu'un rêve, que je me trouve toujours dans la chambre d'hôtel, et que toi, tu n'es pas là.
Car je n'ai jamais connu de plénitude semblable à celle d'être ici.
Alors, pour m'assurer que tu es bien là, je passe mes doigts sur ta joue, puis remonte à ton front avant de redescendre jusqu'à ton menton, comme le ferait une aveugle pour dessiner ton visage. Je sens ta peau contre la mienne, je la sens trop bien pour que ça ne soit qu'un stupide, mais merveilleux rêve.
Enveloppée dans ta chaleur, amoureuse de chacun de tes souffles.
Il ne manque pas grand chose pour que je parte totalement à la dérive. Je suis à deux doigts de t'embrasser, et par la même occassion, de blesser Nolan, même s'il pourrait ne jamais en être informé. Mais je sais que je ne pourrais pas vivre avec mes actes sur la conscience, que je ne pourrais plus l'embrasser et lui dire que je l'aime comme avant. Tu es venu, et tu as encore prit une part de moi. Tu n'as pas eu besoin de prononcer le moindre mot pour me faire comprendre que je faisais une erreur avec Nolan. Que je me voilais la face. Que je ne l'aimerai jamais comme je t'aime, même si j'ai essayé de toutes mes forces.
Fige immédiatement mon coeur, ou il pourrait éclater.
La boucle n'est pas bouclée. Toi et moi, nous n'en avons pas terminé. Nous avons encore tellement de choses à nous dire, tellement de choses à faire, tellement d'autres à rattraper... Nous sommes à un carrefour de nos vies où tout semble possible, réalisable, accessible. Tu n'es plus si loin. Tu n'es pas à des centaines de kilomètres de moi, tu n'es pas joueur de l'équipe de France, tu n'es pas devenu célèbre. Non. En ce moment, c'est comme si tu n'étais jamais parti de Mâcon. Comme si nous n'avions jamais eu à nous dire adieu. La vie serait tellement différente si ça avait été le cas...
- J'ai peur de ne pas réussir à te dire au revoir de nouveau...
- Qu'est-ce que tu vas faire, maintenant ? demandes-tu.
- Tu veux dire, avec Nolan ?
Tu grimaces et je comprends que j'ai fait bonne route. Ce que je vais faire avec Nolan ? C'est là toute la question... Pour l'instant, je n'ai pas peur car je suis avec toi. Mais tout à l'heure, quand je vais rejoindre la chambre d'hôtel, les choses seront bien différentes. Je vais angoisser. Être terrifiée. Et je vais m'en vouloir infiniment pour avoir été aussi stupide. Je vais me détester d'avoir fait du mal à Nolan. Mais je n'arrive même pas à te le reprocher.
- Il te suffit d'une heure et tu chamboules toute ma vie.
- Ce n'est pas ce que je voulais...
- Je t'ai embrassé la première, je répond en souriant nerveusement. C'est ma faute.
- Laisse-moi t'embrasser le dernier alors.
Joignant le geste à la parole, tes lèvres entrent de nouveau en contact avec les miennes, et je me sens littéralement fondre sur place. Avec toi, j'oublie que j'ai vingt-quatre ans et j'ai tout juste l'impression d'avoir seize ans. Avec toi, j'oublie les dernières années qui ont été si dures. Avec toi, je perds totalement le contrôle.
- Je suis désolé d'être intervenu dans ta vie..., murmures-tu.
- Pas moi.
- Mon taxi m'attend au coin de la rue.
- Je ne te retiens pas.
Tu te lèves, et je fais de même en tenant dans mes mains le maillot que tu m'as donné. Nous y voilà de nouveau. Notre histoire est composée d'autant d'amour que d'au revoir.
- Je ne sais même pas ce que je dois dire ou faire, annonces-tu en te passant la main dans les cheveux.
Je souris et m'approche de toi pour te prendre dans mes bras. Je profite de la sensation de ton corps contre le mien, de mon visage contre ton torse, de tes bras autour de moi. Je relève la tête, t'embrasse une dernière fois chastement, et m'écarte à contre coeur de toi.
- C'est ok, je chuchote.
Ton sourire m'éblouis, et j'ai l'impression que je n'ai pas prononcé ces deux mots depuis des années. C'est sûrement le cas. Te dire je t'aime de cette manière me manquait presque autant que toi...
- C'est ok, murmures-tu à ton tour.
Tu m'adresses un dernier sourire, tu tournes le dos, commence à avancer pour rejoindre ton taxi qui se trouve plus loin, et je me retrouve seule. Quand tu n'es plus dans mon champ de vision, je sens toute l'énergie me quitter, je me sens lessivée. Je passe une main dans mes cheveux pratiquement secs maintenant et je constate qu'elle tremble, autant que l'autre. Tu es reparti. Et je me retrouve là, avec Nolan un peu plus loin qui n'a rien demandé de tout ça. Je me suis mise dans un sacré pétrin... Je suis sur le point de commencer à paniquer lorsque mon portable vibre dans ma poche pour m'annoncer l'arrivée d'un message.
"Je crois qu'on en a pas fini de nous deux... A bientôt Rawena."
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