Journal d'Éléonore
-5 janvier 1874-
5h06
Cher Journal,
Je tiens à reprendre cette écriture dans ce journal en commençant par y souhaiter beaucoup de bonheur. C'est le cinquième jour de 1874 et j'ai toujours eu du mal à m'accoutumer à changer d'année. Cela me déconcerte de me dire que 1873 est bel et bien terminé.
Enfin bon, cela fait belle lurette que je n'ai pas écris n'est-ce pas ? Je me disais bien, aussi, que je reprendrais forcément un jour l'écriture de ce Journal. J'écris ces mots devant la fenêtre. Le froid est glacial, du givre recouvre les vitres : voilà une bonne semaine que la température a radicalement chuté sur Bordeaux ; cet hiver s'annonce bien plus rude que les précédents et l'été me manque tant.
Emmitouflée dans plusieurs plaids, je sens d'ici la chaleur réconfortante des flammes crépitant dans la cheminée. Elles donnent un aspect chaleureux et rassurant dans cette vieille et grande bâtisse à l'allure grisâtre et austère. Elle me donne cette impression depuis que j'ai emménagé ici, cela ne s'est que très peu atténué malheureusement. Bien que la richesse des Levesque ait permis de répondre à tous nos besoins sans qu'on ait à manquer de rien, la grandeur de leur domaine m'a toujours impressionné et quelques peu intimidé. Les Levesque ont toujours été une famille symbolique de notre ville ; elle fait partie des quinze familles les plus fortunées de Bordeaux. Je m'en suis toujours sentie honorée depuis que je suis mariée à leur unique fils mais cela m'effraie également. Ils ont un air tellement nobles, solennels, graves, j'appréhende sans cesse de ne pas me montrer suffisamment à la hauteur.
Edmond n'est pas quelqu'un de très chaleureux. Bien qu'il s'agisse d'un homme intelligent, extrêmement poli et d'une courtoisie rare, il se montre plutôt distant. J'ai l'impression qu'il n'est pas très à l'aise avec les sentiments et il me rappelle Alfred sur ce côté là. Il est réservé et cordial et nous parlons peu. J'aimerai échanger davantage avec lui, car parfois j'en oublie presque que nous sommes mariés et il m'a l'air d'être de quelqu'un d'une grande bonté. Il a l'air de s'impliquer énormément dans les affaires avec son père et l'autre jour il est intervenu dans une querelle qui avait éclaté en ville. Je suis convaincue qu'il a beaucoup de sensibilité derrière son masque d'indifférence qu'il affiche la plupart du temps. J'aimerai énormément qu'il ne se comporte pas simplement comme un gentleman avec moi mais aussi comme un réel époux. Il est attentionné et veille à ce que je ne manque de rien et pourtant notre relation semble être si distante et peu comparable à celle qu'avait mes deux parents qui était elle si complice...
Malgré ce mariage arrangé, j'apprécie Edmond ; je me dis que j'ai beaucoup de chance d'être tombé sur quelqu'un de bien et que j'aurai pu être mariée à quelqu'un de bien pire. Peut-être bien qu'au final, cette idée de me marier aux Levesque n'était pas une si mauvaise idée... Certes, je n'ai pas de sentiments amoureux pour Edmond. C'est un mari sur qui je peux compter, même si je n'aurai jamais une liaison aimante avec lui, je le sais. Mon cœur est déjà pris, bien qu'il soit meurtri par la douleur que lui a infligé l'amour, lui si cruel et parfois si douloureux...
Il y a un an, je n'aurai jamais envisagé que je me marierai quelques mois plus tard. Aujourd'hui, cette perspective ne me semble plus aussi insensée. Certes parfois, il m'arrive de me rappeler soudainement que je suis l'épouse d'un homme et cela me fait tout drôle de me dire cela. S'ajoute à cette pensée que Père n'est plus de ce monde et alors que je secoue la tête pour chasser les larmes et réfléchir à une pensée plus joyeuse. Au final, je suis heureuse d'avoir exaucé le dernier vœu de Père ; je ne pense pas le regretter. Les Levesque sont une famille bien, et je me rappelle souvent que c'est mon géniteur qui a voulu que j'en devienne la belle-fille. Père, j'espère tant que tu me regardes depuis le ciel, et ce avec un regard rempli de fierté et de bonheur. Cette simple pensée suffit à me faire sourire et à gonfler tout mon cœur de joie, et alors le peu de remord qu'il me reste sur cette décision s'évapore d'un coup.
Nous sommes tôt le matin. Le jour n'a même pas encore daigné montré le bout de son nez, il fait encore nuit noire sur Bordeaux. Il doit être aux alentours de cinq heures. Le sommeil refuse de s'emparer de moi. Je n'ai pas parlé à Edmond de mon insomnie. Peut-être le devrais-je ? Après tout, je me dis qu'il n'aurait aucune solution à m'offrir. Il me proposerait peut-être de venir dormir avec lui et cela il n'en est hors de question. Garder mon intimité, surtout durant de la nuit, fait parti d'une des promesses que je me suis faite la première fois que j'ai contacté les Levesque et je compte coûte que coûte la tenir. Et puis je sais que même s'il me faisait cette proposition, il en serait gêné ; je suis certaine que lui aussi aime avoir son intimité dans sa chambre personnelle.
Hier soir, Edmond m'a dit que nous partons trois jours quelque part. Il ne m'a pas dis où. Il doit s'y rendre pour des affaires et souhaite que je l'accompagne. Je ne peux décliner, bien entendu, et j'espère que ce lieu ne sera pas des plus monotones. J'emmènerai mon journal, de toute façon, pour pouvoir écrire en cas de nécessité. Edmond n'est pas du genre à fouiller dans mes affaires, il ne découvrira probablement pas que je me confie dans un carnet. Dans tous les cas, il est bien trop poli pour avoir l'idée de le lire sans ma permission.
10h22
Je suis dans la diligence en direction d'un endroit dont j'ignore encore le nom. Je suis seulement partie avec Edmond et des domestiques. L'intérieur est confortable et embaume une douce odeur. Mon cher mari est en face de moi mais il s'est assoupi. Aussi, j'en profite donc pour écrire quelques mots. J'ai tenté de le faire cracher le morceau sur ce lieu mystère mais il a fait la sourde oreille. Étrange, je me demande pourquoi il refuse de me l'avouer alors que ce sont seulement pour des affaires qu'il m'a assuré sans importance de m'en faire part. Y aurait-il une autre raison pour laquelle il s'entêterait à garder bouche cousue aussi longtemps ?
12h43
Journal, je crois que je vais défaillir. J'ai failli m'évanouir quand Edmond m'a enfin annoncé le lieu auquel nous venons d'arriver. Mes jambes ont lâché et mon mari m'a rattrapé de justesse, rempli d'une inquiétude palpable, lui qui est pourtant si impassible d'habitude. Il se sentait tant coupable de m'avoir dit ce mot, bien qu'il en ignore la cause. Il voulait simplement me faire la surprise sur un séjour qu'il avait organisé spécialement pour moi. Voilà pourquoi il refusait de me dévoiler le nom du lieu avant d'être arrivé à destination : il voulait simplement bien faire et tenir le silence sur le lieu de notre week-end de trois jours jusqu'au bout. Partir pour des affaires anodines n'était qu'un prétexte pour que je ne pose pas plus de questions ! Il s'est montré si attentionné, je lui en suis reconnaissante. L'idée qu'il ait voulu nous organiser ce petit séjour rien qu'à nous deux m'a sincèrement touché. Seulement, Journal, rien que de me repasser la scène me fait trembler de tous mes membres. Morcato, Journal. Nous sommes à Morcato.
Je m'interdisais de songer à lui depuis que j'ai reçu sa dernière lettre, datant du 17 décembre. Je l'ai lu tant de fois que chaque mot s'est gravé dans mon esprit. Je m'étais promis de l'oublier, malgré sa déclaration au plus haut point inoubliable dans mon cœur et malgré tout mon acharnement à ne plus penser à lui, son nom a dû refaire surface dans mon esprit quand j'ai su où nous allions. Chez lui. Dans sa ville de campagne. Comment étais-ce possible ? Combien existaient-ils de chances pour que cela tombe sur la seule destination que je voulais éviter ?
J'ai pleuré et piqué une crise, implorant Edmond de me ramener à Bordeaux. Le pauvre, il ne comprit en rien ce qu'il m'arrivait et prit pour causes l'angoisse et la fatigue du trajet. Il refusa cependant de me ramener directement chez nous. Me dire que je me trouve si proche de chez lui... Je suis à nouveau secouée de tremblements, je ne peux poursuivre...
-6 janvier 1874-
11h04
Journal, Edmond m'a fait reparlé de ma crise de hier et je lui ai servi une piètre excuse. J'ai dis que je ne me souvenais presque plus et que ce devait probablement être simplement dû à la fatigue. Je m'en veux de lui mentir comme tel, lui qui est si bon avec moi... Mais je ne peux lui expliquer la vraie raison, malheureusement. Cela serait bien trop hasardeux et ma correspondance avec lui est mon secret. Je me suis promis que ce devait rester enterré à l'intérieur de moi jusqu'à ma tombe. Ce secret, cette correspondance avec un homme peu fortuné ne verra jamais le jour. Cela ne se saura jamais. Cela pourrait fortement nuire à ma personne et même aux Levesque, qui devraient assumer d'avoir une Bourmont dans leur famille ayant correspondu avec un homme de la campagne. Cela ferait un scandale, je le sais. Cela ne doit pas se savoir. Jamais.
23h51
Je suis dans mon lit, dans le domaine des Levesque qu'ils ont à Morcato. Je l'ignorais jusqu'à là, m'aperçus que cette famille a en fait bien plus de territoires que je ne le pensais. Cela est fort impressionnant, même si leur demeure à Morcato est certes peu convoitée et enviée. Aujourd'hui était une belle journée, malgré l'angoisse permanente que j'avais de le croiser. Edmond s'est montré très attentif et était aux petits oignons avec moi, bien plus que d'habitude. Il craint une nouvelle crise de ma part et a insisté pour me tenir compagnie toute la journée. En temps normal j'aurai probablement peu apprécié qu'il se montre aussi collant, mais j'étais presque soulagée de ne pas à être seule en ce lieu, qui se révèle être en fin de compte fort joli. Le paysage est très vert, très calme et reposant. Edmond me proposa de monter à cheval. J'ai accepté sans hésiter car cela faisait bien longtemps que je n'avais pas pu monter ces magnifiques équidés, et nous fîmes une balade très agréable. J'ai alors eu un souvenir d'une de mes lettres me confiant sur ce sujet et ma passion pour les chevaux et alors ma tête se mit à tourner. J'ai prétexté un mal de ventre et nous sommes aussitôt rentrés.
Il se fait tard. A demain.
-7 janvier 1874-
12h06
Oh, Journal...
Comment vais-je pouvoir te raconter ce qu'il m'est arrivé ce matin ? J'en suis tant retournée ! Mon cœur bat la chamade depuis que... oh mon dieu... Comment vais-je pouvoir raconter pareille chose ?
***
Hey tout le monde !
Voici le chapitre 14 de notre histoire 😊 et ce dernier n'est pas une lettre ! Non, là Éléonore écrit dans son journal ! 🙂
Bref, je ne vais pas m'attarder. Juste pour vous dire que le chapitre 15 sera publié sur mon compte 😉, et ce normalement d'ici quelques jours ^^ Voili voilouuuu 😇!
A très vite, donc 😋
~Ludivine
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