Chapitre 27
Ses pas grondèrent à nouveau, signant le départ d'une course poursuite perdue d'avance. Richard chercha un brin de réconfort vers l'ombre de son collègue bipède qui resta parfaitement immobile. Avait-il abandonné ? Non. Le gardien décela une étincelle dans l'obscurité. Une idée bordée de détermination et d'un peu de folie. Il partit devant puis comprit ce qui était sur le point de se produire.
Freddy approcha avec, il l'imagina, un sourire confiant. Richard le copia, allant jusqu'à imiter son sadisme lorsque Prokopy dégaina le lance-roquette caché dans son dos. Il y eut un court flash suivit d'une explosion qui passa leurs tympans à la broyeuse. Ils prirent leurs jambes à leurs cous tandis que la grotte s'effondra sur elle-même dans un rugissement animal. Richard dont les articulations hurlaient de douleur trébucha avant d'être rapidement relevé par son ami russe. Juste derrière eux, des tonnes de terre s'écroulaient, écrasant tout sur leur passage et entrainant des arbres centenaires dans leur chute. La lumière au bout du tunnel approchait et avec elle, le grondement des éclairs et le bruit de la pluie sur les feuilles. Encore une fois Zeus avait fait le déplacement pour assister au spectacle aux premières loges.
C'est couvert de boue et de sueur qu'ils sortirent du sous-terrain qui avait cessé de s'effondrer, maintenu par des racines particulièrement robustes. Prokopy dont le visage alternait entre un sourire et une profonde angoisse fixa Richard. Ce dernier se tourna vers Louis qui s'envola un court instant avant de hurler dans une direction.
« Ruuuun ! »
Quelques enjambées leur suffit à atteindre le camion de pompier. Sans réfléchir Prokopy grimpa au volant et tourna la clé dans le contact avant d'écraser l'accélérateur une fois que tout le monde l'avait rejoint. Avait-il été enseveli ? Un hurlement démoniaque accompagné de deux éclairs vint répondre à la question. Le Russe tapa sur la crosse du gardien pour le faire revenir à lui. Il allait falloir le ralentir, sans quoi il les rattraperait rapidement. Heureusement pour eux, Richard avait prévu un plan de secours on ne peut plus simple : foncer jusqu'à la maison et s'enfermer dans l'espèce de bunker du jardin. S'ils avaient de la chance –et s'ils arrivaient à l'atteindre sans mourir surtout–, Freddy n'arriverait pas à les retrouver. Richard passa ses deux bras puis sa tête par la fenêtre avant d'être fouetté par les branches. Le conducteur se rapprocha de l'autre côté du chemin et lorsqu'enfin Ricahard put sortir son buste, il aperçut la bête qui les poursuivait.
« Стреляй, давай стреляй! »
L'ordre fut haché par les éclairs qui terrassaient les arbres par dizaines, éclairant par intermittence l'ombre qui courait à pleine vitesse tout en beuglant à s'en égosiller la voix. Richard tenta tant bien que mal de le viser mais face aux secousses, ne put se résigner à tirer.
« Tu peux pas conduire droit putain d'merde ?! »
Charly et Louis observaient la scène entre les deux primates, prêts à se carapater dès qu'on leur en donnerait l'ordre. La guéparde eut alors une idée et passa ses pattes arrière ainsi que son bassin par la fenêtre. Richard manqua de l'engueuler avant de comprendre et de poser le fusil sur sa croupe pour le stabiliser. Les tirs partirent comme autant de coups de tonnerre et firent mouche à plusieurs reprises, rajoutant des grognements aux cris incessants. Il voulut alors viser ce qu'il espérait être la tête mais manqua toutes ses balles. Un clic clic le ramena lui et la guéparde à l'intérieur.
Lorsqu'il voulut changer de chargeur, Prokopy fit glisser le lance-roquette vers ses pieds ainsi que son sac à dos avant d'en extirper un projectile. Il hurla des ordres tout en fixant son rétroviseur qui fut fracassé par une branche rebelle. La bête se rapprochait et avec elle ses hurlements foudroyants. Dans la panique et les secousses, la roquette trempée glissa entre les mains du gardien et heurta le sol. Il ferma les yeux au moment de l'impact puis l'attrapa à nouveau, presque déçu qu'elle n'ait pas explosée avant de l'enfoncer dans le tube. Il la tourna dans tous les sens puis finit par entendre un clac qu'il devina être bon signe avant de retirer la goupille de sûreté.
Quelque chose heurta le camion. En passant sa tête par la fenêtre il aperçut l'ombre qui attrapait des rochers tout en courant et les lançait sur eux, faisant mouche à chaque coup avec une puissance démentielle.
« К черту это! »
Le camion roulait de moins en moins droit, Prokopy devant donner de violents coups de volant pour éviter une embardée mortelle. La grande rue n'était plus très loin mais il leur serait impossible de descendre avec la bête à leur trousse. Il fallait agir et vite. Leur poursuivant sembla du même avis.
Le hurlement bondit puis vola au-dessus du camion avant de quitter l'obscurité pour réapparaître devant les phares, laissant aux quatre proies l'occasion d'admirer leur bourreau une dernière fois avant qu'il n'exécute leur sentence. Ils crièrent à l'unisson en apercevant le démon de poils et de plumes qui leur faisait barrage. Même dans leurs pires cauchemars n'avaient-ils pu imaginer une apparence aussi hideuse et épouvantable. Et avec cette révélation vint une certitude, celle de ne pouvoir rivaliser avec ces forces archaïques qui, tapis dans l'ombre, œuvraient pour engloutir le monde dans leurs ténèbres.
Malgré cette fatalité qui avait frappé bien des héros au cours des siècles, l'égo impétueux des hommes les avait toujours poussés à une insolente bravoure. Mourir, certes, mais accepter sans broncher, jamais. Prokopy pressa l'accélérateur jusqu'à la dernière goutte et comme pour se donner du courage, transforma son cri de terreur en un hurlement vengeur. Le camion heurta la bête de plein fouet dans un fracas avant de percuter un arbre et de se coucher sur le côté dans un mélange de tôle froissée, de verre brisé et de peau lacérée.
***
« Toujours pas. »
Ce fut la première pensée qui heurta Richard lorsqu'il rouvrit ses yeux. Avait-il plus mal qu'avant ? Difficile à dire.
Charly était en train de miauler pour le réveiller. Son corps était allongé contre la portière et sa tête plongée dans la boue au travers de la fenêtre. L'airbag lui avait sauvé la vie, cela ne l'empêchait pas pour autant d'être dans un sale état. Un goût métallique ô combien familier se répandait dans sa bouche. Il passa sa langue sur ses dents et nota deux absentes ainsi qu'une cassée. La drague, c'est fini se dit-il avant de rire timidement.
Un grincement. Prokopy était parvenu à vaincre la gravité et à ouvrir la porte du côté conducteur. La pluie qui s'engouffra à l'intérieur fit un bien fou au gardien qui n'avait aucune envie de bouger, malgré les encouragements de ses deux compagnons. Quelque chose clochait avec l'ombre du Russe. Son bras n'était pas dans le bon sens. Il se hissa hors du véhicule et tourna la tête tel un phare à la recherche d'un navire échoué. Les éclairs continuaient de s'abattre sans trêve, éclairant la silhouette ensanglantée du survivant dont la respiration sifflante parvenait à percer le vacarme de la pluie.
Toute cette lumière. Le tonnerre avait beau martyriser ses tympans toutes les deux secondes, Richard comprit qu'autre chose prenait place. Même lorsqu'il fermait les yeux, ces derniers en étaient inondés. Il avait chaud. Était-ce l'adrénaline ? Le sang ? Le corps de la guéparde essayant de le réveiller ? Non, rien de tout ça. L'eau cessa de l'atteindre au même titre que son bruit incessant. Enveloppé par un calme qu'il n'avait jamais expérimenté auparavant, il se laissa porter par ce doux courant d'eau chaude puis–
« Гісчдгь !
— ...
— Гісчдгь !
— Ta gueule.
— Посланник РПГ! Быстро ! »
Un profond soupir. Il rouvrit les yeux, bien décidé à briser sa malédiction lorsque l'appel de la bête fit trembler la cabine. Une motivation de désespoir l'envahit, le forçant à se tordre dans l'habitacle pour trouver ce foutu lance-roquette. Prokopy lui pointa une direction et il aperçut un bout de métal au niveau du pare-brise explosé. Le temps de tendre le bras pour l'attraper, des coups de feu retentirent au-dessus de lui. Richard ramena l'arme dans ses mains juste avant que son ami disparaisse avec la portière dans un hurlement.
Non. Ce n'était pas encore fini.
Il se mit à grimper en prenant appui sur les sièges, le sang glacé par les hurlements de douleur. Pas besoin de parler russe pour comprendre de telles supplications. Quelque chose craquait. Le gardien pensa tout d'abord à ses articulations avant de réaliser que les cris s'étaient tus. Il était le prochain et n'avait plus aucune échappatoire. Soit il mourrait, soit cette chose mourrait. Seul l'un d'entre eux survivrait à cet affrontement. Ses bras aussi tremblants que faibles n'arrivaient pas à le hisser jusqu'en haut. Il dû prendre appuie sur le volant et enclencha par mégarde le commodo. Lorsqu'enfin il parvint à faire passer son corps par l'encadrure de la portière, il put apercevoir la bête se repentir du corps de son ami, éclairée par la lumière jaune du clignotant. Elle plongeait ses longs doigts dans la chair puis arrachait les tripes pour les porter à sa gueule aux rangées de dents infinies.
Richard leva le lance-roquette comme il put avant de mettre la monstruosité en joue. Il n'eut pas le temps de prier, encore moins de respirer et enfonça la gâchette.
Clic.
Clic clic clic.
Il continua d'appuyer bêtement, comme si le résultat allait magiquement changer. Freddy finit par tourner sa tête difforme. Ils échangèrent un regard particulièrement intense, celui de deux soldats face à face dans une tranchée. Tous les deux comprenaient l'enjeu de ce duel. Que d'ici quelques instants, l'un d'eux allait perdre le combat. Mais aussi la vie.
Ils restèrent comme ça, en apnée. Le temps se suspendit, même les éclairs cessèrent leur fracas incessant pour observer cette scène mythique. Les deux adversaires en profitèrent pour sonder leurs âmes à la recherche d'éventuelles réponses, d'une lampe torche qui ferrait la lumière sur ce beau bordel. Mais, d'un côté comme de l'autre, ils ne trouvèrent qu'une montagne de cendre. Des ruines déformées. Une obscurité abyssale.
Les dieux, peu patient, lancèrent un éclair titanesque qui annonça la fin du temps-mort. Il permit à Richard d'apercevoir un petit levier juste derrière la gâchette qu'il leva immédiatement avec son pouce. Freddy bondit sur lui en même temps que son doigt sur la queue de détente. Cela déchaîna un second éclair surpuissant et dévastateur qui cloua la créature au sol avant d'exploser dans un souffle surpuissant qui propulsa Richard dans les airs.
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