Chapitre 25
Son sommeil se faisait beaucoup moins désirer ces derniers jours. Peut-être à cause de la fatigue qu'il avait accumulée, ou bien des deux hommes désormais armés qui dormaient au rez-de-chaussée. Pourtant ce soir-là, la sœur de la Grande Faucheuse ne montra pas le bout de sa faux. Et pour cause, Richard savait ce qui l'attendait une fois ses yeux fermés. Pour l'enfoncer dans son malheur, tous les livres qui, bien qu'à la qualité parfois discutable, accompagnaient ses insomnies depuis des semaines avaient été ruinés par la tempête. Ses pensées n'ayant aucune bonne raison de se taire, elles s'agitaient et tapaient contre les murs dans l'espoir d'être remarquées, créant un brouhaha insoutenable avec tout de même un sujet en commun : l'angoisse du lendemain.
Il finit par se lever dans l'optique d'aller à la cuisine mais se souvint que les deux Russes dormaient dans le salon. Alors il voulut se rendre à son bureau puis se rappela que Charly et Louis s'y reposaient. Par manque d'options, Richard s'approcha de la salle de bains sur la pointe des pieds avant d'apercevoir une sorte d'ombre qui se glissait sous la porte du bureau. Elle s'avança vers lui, avalant les murs et le parquet dans un néant sans fond. Il s'en éloigna le plus silencieusement possible avant de s'enfermer dans l'ancienne cellule avec l'espoir que l'hallucination le laisse tranquille. L'ampoule grésilla un instant puis disparut, révélant son bureau noir comme l'encre perdu au milieu du vide infini. Ce ne fut pas Louis qui l'accueillit cette fois-ci mais son propre reflet dont la chaire avait été remplacée par un trou noir tordant les faibles lueurs qui émanaient de la carcasse de son âme.
« Fais chier.
— C'est la dernière, promis.
— Ça ne me rassure pas.
— T'as pas envie de savoir ?
— J'en suis pas sûr.
— Dans le meilleur des cas, ça va te donner la motivation de te battre.
— Et dans la pire, de m'abattre.
— Une situation gagnant-gagnant. »
La trace blanche sur le bureau.
« J'suis pas sûr d'en avoir la force.
— Tu rigoles ? Après tout ça ? Arrête de mentir. T'as juste peur.
— ...
— Allez, finissons-en. »
Un flash. Le canapé. Sa fille. Les photos. Les pleurs. Ce n'était plus un souvenir brumeux, ni même une vision floue. Non, cette fois-ci, il y était réellement. Dans ce corps bien plus jeune et fonctionnel. Dans ce deuil qui n'en finissait pas. Dans cette envie de voir le monde brûler. Il emmena Elza dans son lit avant de redescendre au rez-de-chaussée pour constater que les affreux clichés s'étaient volatilisés. Fou de rage, il retourna à l'étage avant d'ouvrir la salle de bain. La scène se reproduisit à l'identique avec une clarté nouvelle, lui offrant des détails pourtant insignifiants avec une précision irréelle. Il aperçut la tâche de dentifrice en bas à gauche du miroir, la boite de pansement aux coins abimés ou encore un cheveu de sa femme allongé sur le sol tel un serpent. Ce souvenir qui pendant tant d'années s'était cachée dans le brouillard se révélait enfin à la lumière du jour.
Puis vint le moment de gober ces fichues pilules. Une fois rassasié, il rangea la boite tout en haut du meuble, là où se fille ne pouvait les atteindre même avec un escabeau ou un tabouret. Exactement comme la dernière fois. Un demi-tour, des pas lents puis l'étreinte du canapé, non sans avoir vérifié une seconde fois que les clichés avaient bel et bien disparus. Il éteignit la télé, cherchant un îlot de paix dans cet ouragan. Dieu qu'il la détestait. Elle et ses manies, son manque de politesse, ses réflexions désagréables, sa nourriture sans goût, ses tenues vulgaires, son visage toujours lassé, ses yeux qui ne pétillaient plus. Plus pour lui tout du moins. Et que dire d'Erick ? Comment est-ce que lui, parmi toutes les personnes sur cette foutue planète, pouvait le trahir avec une telle violence, un tel sadisme, un tel panache ?!
Il ne fallut que quelques instants à toutes ces pensées pour disparaitre, emportés dans un tourbillon multicolore tandis que les murs commencèrent à onduler et que le sol se mit à tanguer tel le pont d'un navire. Les couleurs si ternes quelques instants plus tôt sursaturèrent, offrant une vision bien plus agréable de cette pièce aux trop nombreux silences. La réalité s'évapora petit à petit et sa conscience atteignit alors un état entre la mort et l'immortalité. Sa conscience passé tout du moins. Le spectateur présent, lui, pouvait voir et entendre le monde qui l'entourait sans aucun problème. Et il comptait bien découvrir tout ce qu'il avait raté lors de son voyage interdimensionnel.
Entre un instant et une éternité plus tard, sa femme apparut dans la pièce. Judas passa plusieurs fois sa main devant le visage de son mari avant de sourire, satisfait. Elle sortit les fameuses photos de sa poche avant de lui lancer son poignard :
« C'est ça que tu cherchais ? Pauvre con. »
Elle sortit du cadre. Richard put la suivre grâce au bruit de ses talons dans l'escalier. Des portes s'ouvrirent à l'étage puis elle redescendit.
« C'est toi qui m'y as obligé. » soupira-t-elle avant de prendre le téléphone pour y composer un numéro en trois chiffres. Richard voulut se concentrer sur l'appel mais se tourna finalement vers un autre son, celui de petits pieds –en chaussettes, il le savait– descendant les marches.
« Maman...
— Deux secondes Elza, maman est au téléphone.
— Maman ils sont bizarres les bonbons que tu as... »
Un grand BAM suivi de plusieurs plus petits le foudroya, à tel point qu'il aperçut son corps d'emprunt frémir malgré la distance séparant son enveloppe de sa psyché. La mère quant à elle hurla d'effroi. Richard l'aperçut courir du coin de l'œil avant d'entendre une phrase. La phrase qui allait confirmer un soupçon depuis bien longtemps enfouis car trop affreux, trop abjecte, trop immoral pour être ne serait-ce qu'envisager.
« Elza ! Il fallait pas manger ça ! T'en as avalé combien ?! Recrache ! »
Le tout suivi de toussotements et de cris de panique. Dolores fonça une nouvelle fois vers le téléphone et se mit à hurler son adresse, expliquant que sa fille avait avalé des médicaments et était inconsciente.
Le corps de Richard se raidit. Il sentit l'entièreté de ses muscles se tendre jusqu'à leur paroxysme, comme pris d'une crampe généralisée. Son corps, allongé dans son lit, suait à grosse goutte et se débattait pour venir en aide à l'amour de sa vie. Malgré les larmes et les cris, il resta parfaitement immobile, enfoncé dans son canapé. Il ne put qu'attendre en frappant son matelas, terrorisé à l'idée de perdre sa fille. Pourtant il le savait, au fond de lui, qu'elle s'en était sorti. Qu'elle n'était pas morte. Mais tout semblait si réel. Son cœur, n'arrivant à faire la différence entre le présent et le passé, battait la chamade. Comme si sa vie était encore en jeu. Comme si l'histoire qu'il avait tout fait pour oublier se répétait.
Comme un film dont il aurait oublié la fin, Richard fut presque surpris de voir débarquer une ambulance accompagnée de policiers. Les hommes en uniforme eurent à peine le temps de passer la porte que Dolores hurla ces mots affreux hachés par ses sanglots.
« Tout est de sa faute ! Foutez-le en tôle ! Laissez-le crever ! »
Un ambulancier disparut derrière le canapé tandis qu'un autre s'approcha de lui. Ils appelèrent une seconde unité avant d'apporter une civière ainsi qu'un matelas immobilisateur dans lequel ils installèrent sa fille pour l'évacuer. Ensuite, ce fut son tour. S'en suivit les néons blancs et les murs désinfectés. Le retour à la conscience. La venue des policiers. Les chefs d'accusations qu'il savait désormais inventés de toute pièce.
La descente en enfer.
***
Richard eut droit à un luxe qui lui pensait interdit : une grasse matinée. Il dormit jusqu'à dix heures avant d'être réveillé par Charly qui, morte d'inquiétude –et de faim–, miaulait contre la porte. Elle fut tout d'abord soulagée de le voir en vie puis désarçonnée en apercevant son visage. L'homme qui avait vieilli de dix ans depuis son arrivée sur l'île souriait. Est-ce que ça lui était déjà arrivé ? Elle n'en avait pas le souvenir. Mieux encore, il la couvrit de caresses avant de finir au sol pour l'enlacer. Louis approcha avec ses petites pattes puis se fit attraper par son gardien qui le remercia une bonne vingtaine de fois, mêlant ses mots à des embrassades. Les deux amis s'étaient fait un sang d'encre pour leur gardien qui avait hurlé toute la nuit et voilà qu'il se réveillait plus heureux que jamais. Les deux russes ne mirent pas longtemps à arriver, déjà habillés et prêts à partir avant de s'arrêter net devant cette drôle de vision. Ils demandèrent à l'américain qu'ils soupçonnaient d'avoir perdu la boule s'il allait bien. Et il leur répondit alors :
« J'ai connu pire ! »
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