Chapitre 16
Les semaines qui suivirent furent plutôt calmes à quelques exceptions près. Des mésaventures qui ramenèrent Richard à ses jeunes années en tant que soigneur animalier fraichement sorti de l'université. Des problèmes très classiques auxquels il était préparé mais qui n'en restaient pas moins angoissants. L'un des éléphants –ceux qui ne clignaient jamais des yeux– était tout d'abord tombé malade, nécessitant une surveillance accrue. En temps normal une équipe serait restée avec lui vingt-quatre heure sur vingt-quatre mais Richard ne pouvait se le permettre. L'animal mit une bonne semaine à s'en remettre complètement aidé de quelques médicaments, tous administrés dans des quantités farfelues pour être efficaces sur un organisme de cette taille. Si ce scénario se répétait trop souvent, nul doute que le vétérinaire finirait rapidement à court.
L'autre soucis n'en était pas vraiment un. La femelle gorille était enceinte. La gestation devait encore durer quatre bons mois, ce qui lui sembla être une éternité face à la possibilité de mourir à tout bout de champ. Cependant ce couple avait une spécificité qui, selon Richard, pouvait affecter le bon développement du fœtus. Des pratiques sexuelles surprenantes qui se révélaient souvent aussi extrêmes que violentes. Un tel comportement n'était pas si rare mais les degrés atteints faisaient passer n'importe quel sado-masochistes pour un couple de mormons. Les blessures, souvent superficielles, n'étaient pas rares et le fait que le ventre de la femelle commence à grossir ne semblait pas calmer leur libido infernale, comportement ô combien étrange. Malheureusement Richard ne pouvait faire quoi que ce soit seul si ce n'était surveiller, véritable torture qui avait même fini par pénétrer ses cauchemars.
L'autre interrogation vis-à-vis de cet heureux évènement à venir était la rapidité avec laquelle le ventre de la mère grossissait. Au vu du niveau déjà avancé, Richard aurait dû s'en rendre compte bien plus tôt. Cela pouvait venir de différents scénarios, des triplés à la prééclampsie en passant par le déni de grossesse, le spécialiste était certains d'une chose, l'accouchement ne serait pas de tout repos aussi bien pour la femelle que pour lui.
Quant à Freddy, il ne s'était pas envolé. Un matin comme les autres, Richard était tombé sur un toucan en liberté pour la première fois depuis son arrivée, suivi d'un cacaotès blanc, deux espèces présentes dans la volière et qu'il nourrissait tous les jours. Sans réfléchir davantage il bondit dans son 4x4 et fonça vérifier l'état de l'installation avant de constater que le cadenas avait été sectionné et la porte laissée ouverte. Par chance tous les résidents ne s'étaient pas enfuis mais une bonne moitié se baladait désormais librement sur l'île et découvraient au passage le concept de chaine alimentaire. Il y avait bel et bien des marques de griffures aux alentours mais le cadenas avait été coupée de manière bien trop nette. Richard avait toujours du mal à croire qu'un animal soit capable de trancher des os, alors du métal, cela relevait de la science-fiction. Ce Freddy était-il capable de se servir d'outil ? Après tout s'il était doté d'intelligence et de pouces opposables, rien ne contredisait cette théorie.
Le chasseur en herbe était parvenu à en récupérer quelques-uns grâce à la ruse mais avait dû accepter sa défaite. Est-ce que toute la faune sauvage de cette si petite île était apparue de cette façon ? Des décennies, des siècles peut être d'animaux exotiques enfuis de leurs enclos ou bien rescapés de bateaux échoués en mer ? Une sorte de paradis, de terre promise où les opprimés pouvaient vivre librement et développer des comportements extraordinaires sans être dévorés par leurs prédateurs naturels ? Une planète Terre version miniature où l'évolution s'observait en années et non en millénaires ? Lors de quelques instants fugaces où son cerveau fonctionnait convenablement, Richard aimait se perdre dans ces théories, dans cette brume qui ne laissaient seulement quelques contours visibles et sujets à imagination. Ils ne duraient jamais bien longtemps, hélas.
Une toute nouvelle panoplie d'ennuis débarqua par le ciel en la présence de Mère Nature et de son tempérament chaotique. L'hiver approchait et les températures baissaient mais avant de devoir affronter le froid, Richard dû survivre à la pluie. Ces dernières semaines s'étaient montrées bien moins ensoleillées, déchirant les clichés de carte postal au profit d'une angoisse perpétuelle planant au milieu des nuages, celle d'une tempête. De simples menaces qui avaient d'ores et déjà transformée les chemins en mélasse dans laquelle le Land Cruiser fanfaronnait, heureux tel un soldat déployé dans une zone de guerre.
Charly, n'appréciant guère la pluie, passait ses journées en haut du phare avec Louis. Les deux comparses guettaient l'horizon par les interstices crées au ras du sol grâce à un fond de dissolvant. Plusieurs fois Richard s'était interrogé quant au fait de laisser son sort et celui de toute l'île entre les griffes de deux animaux et finissait toujours avec le même constat : « J'ai pas le choix. » Alors il continuait de préparer des repas chaque jour en observant les stocks de nourriture descendre petit à petit puis allait les distribuer aux résidents sous cette pluie battante qui de temps à autre, dans un élan de bonté ou de fainéantise, s'arrêtait pour laisser passer un rayon de soleil. Les plantes en profitaient pour recharger leurs batteries, tout comme Richard dont le manque de vitamine D aggravait ses psychoses et ses malaises.
Alors bénie par l'un de ces rares moments de grâce, l'île fut réveillée par une petite détonation. Une lueur rougeâtre s'envola alors dans le ciel pour enflammer les nuages avant de retomber lentement, honteuse de n'avoir pu sourire à Icare. Richard, au beau milieu de sa tournée, sursauta comme extirpé d'un rêve. Ni une ni deux il grimpa dans son bolide bon pour la casse et fonça à toute vitesse en direction du phare pour retrouver ses deux acolytes qui le rejoignirent à mi-chemin. Le conducteur n'aperçut Charly qu'au dernier moment et manqua de peu de la percuter dans la précipitation. L'échange fût très bref et une fois les trois survivants à bord, leur chef mit les gaz dans la direction donnée par Louis, celle de l'antenne. Il repéra les traces de pneus de son premier passage et s'inséra dans la végétation aussi luxuriante qu'humide, broyant dans son sillage un grand nombre de plantes dont certaines absolument uniques.
Un fois au niveau de l'antenne, Louis s'envola avant de redescendre et d'indiquer une direction avec un en train inégalé. Charly partagea sa joie : le bateau était proche. Richard fut le seul à manquer d'enthousiasme, les dents serrées et le regard affuté. S'il y avait bien un moment où il ne fallait pas se relâcher, c'était celui-là. Le 4x4 rentra alors en territoire inconnus et fut obliger de faire demi-tour à plusieurs reprises, bloqués par des arbres un peu trop rapprochés. Quelques secondes plus tard un grand bruit semblable à un éclair sans flash vint surprendre le trio. Les chances pour que Zeus leur vienne soudainement en aide étant faibles, Richard fonça de plus belle et arriva une bonne minute plus tard au bord de l'île. Le spectacle qui se jouait devant eux avait tout d'une tragédie. Une punition divine.
Quelques mètres en contrebas s'étendait une plage de sable fin immaculée stoppée par une eau turquoise, paysage ayant inspiré tant de poètes aux fils des siècles et recouverts bien plus de fonds d'écran d'ordinateur. Les vagues d'habitudes si tranquilles étaient perturbés par une houle régulière annonçant l'arrivée d'une embarcation. Le bateau était bien là, à une trentaine de mètres de l'île, stoppé net dans son élan. Un yacht d'entrée de gamme visiblement flambant neuf à un détail près : l'avant de la cabine et une bonne partie de la proue du côté gauche avait explosée. Une fumée noire et épaisse s'en dégageait tandis que des morceaux de plastique et de fer voguaient au grès des vents, agrémentés de membres et d'autres bouts de chairs qui tintait l'eau comme du sirop de grenadine. Malgré sa vision défaillante, Richard reconnut un semblant de corps en partie calciné. Il le jugea bien trop petit pour être celui d'un adulte.
Un mouvement traversa la fumée et atterrit sur ce qu'il restait du pont. Un homme ensanglanté apparut dans un polo probablement blanc quelques instants plus tôt et regarda autour de lui l'air désemparé. La peine qui le traversait atteignit le cœur de Richard qui aperçut le corps de sa fille éviscéré à la dérive dans cette mer de débris. L'étranger glissa et tomba tête la première sur le plancher dans un couinement aussi déchirant que pitoyable. Le choc raisonna quelques secondes puis fut de nouveau écrasé par ce silence terrifiant qui dévorait jusqu'au bruit des vagues. Ce fut cet instant que choisit une vieille connaissance à Richard pour rentrer en scène. Un tentacule titanesque digne des contes de marins jaillit hors de l'eau et entoura le pauvre homme qui fut emporter dans les abysses. Ce qu'il restait de sa famille disparut petit à petit jusqu'à ce que la scène ne soit plus qu'une nature morte.
Après quelques longues minutes de contemplation, les trois compères s'assirent sur les rochers sans dire un mot. Ce silence qui pouvait passer pour une marque de respect se rapprochait d'avantage d'un deuil, celui d'un espoir qui avait implosé aussi vite qu'il était né. Ils n'honoraient pas tant ces vies injustement fauchées mais pensaient plutôt à eux-mêmes et à ce qu'ils étaient : des morts en sursis. Malgré leurs différences de quotient intellectuel, tous se rejoignirent sur un même sentiment d'abandon face à ce qui s'apparentait à une force leur étant bien supérieure. Les questions les plus terres à terres n'osèrent se manifester, terrorisées par le point d'interrogation géant qui précédaient la plus vieille énigme de l'humanité : « Pourquoi ? ». Toute l'horreur de ce problème résidait dans l'incertitude d'y trouver une réponse. Dans l'incapacité de le décortiquer, terrorisé à l'idée que l'écho soit incapable de nous donner une solution, ou pire, que la solution soit encore plus difficile à accepter.
Porté par les vagues, la proue du bateau vient s'enfoncer gentiment dans le sable en poussant sur son chemin les bouts de ferrailles encore fumants. Nul besoin de connaissances approfondies en navigation pour constater qu'il était inutilisable. La coque était tout bonnement éventré et cette blessure atteignait même la ligne de flottaison. Richard se leva et descendit sur la plage. La connexion s'était faite très rapidement. Yacht = riches = drogues dures. L'appel du vide, à cet instant plus que jamais, tambourinait son crâne. Il parvint à se hisser dans la brèche et atterrit dans une chambre dévastée dont il commença machinalement à ouvrir les tiroirs sans ressasser le massacre et sans penser à l'éventuel danger. S'il avait explosé une première fois, pourquoi pas une deuxième après tout. Probablement l'espérait-il secrètement.
Ce fut après avoir vidé tous les habits et tous les sous-vêtements de leurs rangements qu'un reflet attira son regard. Un cadre photo. Sa main l'empoigna pour le rapprocher de ses yeux d'ores et déjà humides. Il aperçut son ex-femme avec son ex-meilleur-ami, l'un contre l'autre sur le pont d'un yacht en tout point similaire à celui-ci. Un sourire qui sortit toutes ses dents se dessina sur son visage mêlé à un petit rire, jusqu'à ce qu'apparaisse sa fille en bas de la photo. Le cadre partit à toute vitesse mais ne dépassa pas le mur qui l'arrêta net dans un fracas. S'en suivit un enchainement de coups de pieds et de poings qui ravagea le mobilier ayant survécu à la déflagration, le tout sous un déchainement d'insultes et de cris de rages qui s'envolèrent avant d'être arrêtés par les nuages.
Groupe religieux issu du christianisme restaurationniste très traditionnel.
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