Chapitre 15
Était-ce à cause de son instinct de survie, de la guéparde ou de son estomac qu'il était rentré ? La question ne lui avait pas traversé l'esprit. Après un énième repas au goût artificiel, Richard s'allongea dans son lit. Ses pensées, trop nombreuses pour être retenues, s'échappèrent par sa bouche et remplirent la chambre aux vitres opaques. Charly et Louis cessèrent immédiatement leur conversation pour écouter ce monologue destiné au plafond.
« Ça y est. J'ai plus d'idées pour sortir de cette merde.
Qu'est-ce que j'donnerai pas pour une dose bordel. J'suis sûr que ça m'permettrait d'avoir les idées claires. C'est logique non, si c'est le manque qui me fait dérailler, une dose me remettrait d'aplomb. J'suis tellement con de l'avoir balancé.
Au fond c'est bien fait pour ma gueule. C'est un juste retour des choses. Y'a jamais eu de rédemption pour les types comme moi, seulement du déni. Faut être réaliste, le monde sera bien mieux sans moi. Elle sera bien mieux sans moi. »
Le pessimisme dans lequel il s'enveloppa lui tint chaud un long moment. L'idée selon laquelle tout était finit chassa la pression monstrueuse qui avait planté ses griffes sur ses épaules. Puisque la situation était désespérée, nul besoin de combattre. L'accepter, c'était ça la seule manière de gagner. Le soulagement de l'abandon lui décrocha même un sourire. Son onanisme fut cependant dérangé par quelqu'un dont il avait oublié la présence. Charly bondit sur le lit et se mit à lui poser tout un tas de questions. Est-ce qu'il allait arrêter de les nourrir ? Est-ce qu'il allait laisser Freddy les dévorer ? Allait-il se suicider ? Face à cette avalanche de responsabilité des plus désagréable, Richard se demanda simplement comment une guéparde pouvait connaître ce qu'était le suicide, un concept ô combien humain.
« J'ai jamais dis tout ça. Et puis je te parlais pas de toute manière !
— Oui bah t'avais qu'à pas parler à voix haute devant moi !
— Oh tu vas parler sur un autre tont jeune fille ! »
La guéparde se tut et s'assise alors sur le lit, l'air boudeur. Son gardien soupira. Cette courte extase face au vide ne fut que de courte durée. Le stress, la peur, le danger, tous ces prédateurs retournèrent jouer avec leur proie maintenant que celle-ci avait cessé de faire le mort.
« La seule chose qu'on peut faire, à part attendre, serait de tirer une fusée de détresse si un bateau passe dans le coin. On ne va pas se mentir, c'est peu probable que cela arrive. On est perdus au milieu de nulle part à des milliers de kilomètres de la route maritime la plus proche. Si on veut être sûr de ne pas le louper, il faudrait qu'on soit en hauteur et–... »
Un phare. C'était un phare qu'il lui fallait ! Mais un problème de taille compliquait leur entreprise. Si la théorie de Richard était correcte, ce monstre s'amusait avec eux tel un chat enfermé avec des souris. Autant dire que si ses jouets essayaient de s'échapper, il mettrait fin au jeu aussitôt. Allumer le phare était donc hors de question. Quant à la peinture, non seulement il n'était pas sûr de pouvoir la retirer, mais surtout elle empêchait Freddy de savoir où ils se trouvaient dans la maison, un avantage tactique des plus capital.
« Bon écoutez j'en sais rien ! J'ai mal au crâne, j'ai mal mal au ventre, j'ai envie de vomir et je dois aller chier, vous avez qu'à réfléchir à des solutions vous aussi merde ! »
Il se leva en trombe et resta une bonne demi-heure dans son jardin secret à contempler le vide, méditation involontaire où son cerveau parvint à se vider du flot gigantesque qui le fouettait sans arrêt. Ce qui pouvait sembler comme une libération n'avait rien d'une bonne nouvelle. Il saturait complètement. Le doute perpétuel entre réalité et imaginaire, les situations toutes plus abracadabrantes les unes que les autres, le danger permanent, le manque qui se manifestait par tout un tas de problèmes aussi bien physiques que mentales, la responsabilité titanesque qui l'incombait, le manque de sommeil... C'est sans prendre la peine de s'essuyer qu'il s'endormit assis, la bave aux lèvres et le pantalon aux mollets.
***
Dieu seul sait quand il émergea de son état végétatif. Ses yeux se rouvrirent dans son lit vêtu du pyjama d'Adam. Ses pieds trouvèrent le sol puis une sorte d'équilibre précaire lui permettant de se lever. L'idée de se rendormir ne lui traversa pas l'esprit. La seule chose dont il était sûr, c'était sa destination : le bureau. Cette réalisation suffit à l'y amener. L'ampoule était bien allumée, pourtant la pièce lui parut bien plus sombre que d'accoutumée. Seuls les contours apparaissaient clairement, le reste se confondait dans une seule et grande ombre qui avait englouti aussi bien le mobilier que les murs.
Sur le bureau, Louis faisait les cent pas. Tout comme les murs ou le plafond, ses couleurs avaient laissé place à un néant qui lui conférait un air de corbeau particulièrement macabre.
« T'en as mis du temps. »
Un petit sachet se tenait à ses côtés.
« Non.
— Aller on n'a pas que ça à faire.
— Je l'ai lancé à la mer bordel !
— Rectification, tu l'as lancé par la fenêtre. »
Le bureau se retrouva à portée de main. Et avec lui ce fantôme.
« On va crever. On peut bien s'faire un peu plaisir non ? T'en avais tellement envie tout à l'heure. »
Sa réponse resta muette. Le sachet était déjà ouvert et son contenu disposé sur le sous-main en cuir.
« On peut courir autant qu'on veut mais ça nous rattrapera toujours. Ça nous poursuivra encore et encore. Donc on a deux choix. Soit on la bute. Soit elle nous bute.
— Parce que tu m'aides à la buter là peut-être ?
— Plus que tu ne le crois. »
Richard fut foudroyé par cette poudre. Il reconnut immédiatement la pièce dans laquelle il se trouvait.
« Non... Tout mais pas ça.
— Comment comptes-tu les sauver si tu n'es même pas capable de te sauver toi-même ? »
Ses fesses rentraient parfaitement dans la forme du canapé. L'odeur de mac and cheese ne faisait plus qu'un avec l'air de la pièce, la rendant quasiment imperceptible pour ses occupants. La rayure sur la table n'avait pas bougé depuis le Noël précédent, pas plus que les quelques pixels morts sur la télé. Les Cubs affrontaient les Yankees qui venaient de réussir un coup de circuit avec leur nouveau batteur juste après un retrait sur prises. Dolores s'occupait d'un vase dans lequel elle semblait préparer un pot-pourri, assise à l'autre bout du canapé. Juste à côté d'eux jouait Elza. Richard avait suivi le début du scénario mais avait décroché lorsque Ken avait avoué avoir peur des chevaux à Barbie.
Le père de famille essayait tant bien que mal de concentrer son esprit sur quelque chose. Le jeu de sa fille n'avait pas fonctionné, pas plus que le match que ses yeux observaient sans vraiment le regarder. Son âme n'était pas d'humeur. Comment aurait-elle pu l'être ? Quatre ans auparavant, lors d'une chaude soirée d'été semblable à celle-ci, sa mère quittait ce monde à la suite d'une rupture d'anévrisme foudroyante, emportant avec elle une part de son fils. Son plan pour la soirée était tout tracé : doubler sa dose médicamenteuse et aller au lit le plus tôt possible pour chasser ce jour marqué d'une pierre noire. Sa femme en avait cependant décidé autrement en lui annonçant qu'elle sortait avec ses amies ce soir, l'obligeant à rester lucide.
Une fois sa tenue changée –une robe jaune de créateur au dos nu plongeant–, Dolores quitta la maison après avoir embrassé sa fille sur le front, le laissant seul avec ses pensées. La scène qui se joua sous ses yeux n'avait rien perdu de son tragique et cela même après son visionnage intensif. Tout lui revint en mémoire avec une précision et un sens du détail dont seul les moments clés d'une vie avaient le secret, ceux qui, sans nous prévenir, tranchaient toutes les branches de notre destin pour n'en garder qu'une seule. Un rameau pourri dans ce cas précis.
Le vase posé sur la table. Sa curiosité qui le pousse à regarder. Les photos. Le déni. Le choc de la réalisation accompagné d'un rire tapit au fond des ténèbres qui l'avalèrent. Le vide. La lumière. Dolores tenant leur fille dans ses bras. Les policiers. L'hôpital. Le tribunal. La chute sans fond.
Louis. Le bureau. La honte.
« Ressaisis-toi. »
Son lit. La lumière.
Son premier réflex fut de prendre une douche. Une très longue douche contemplative qui vida l'intégralité du petit chauffe-eau. Vaine tentative de laver ses erreurs passées.
« Promis. »
***
Une fois les préparatifs terminés, Richard résuma le plan à Louis :
« Ton objectif c'est de trouver un bateau à l'horizon. Une fois que tu es sûr et certains d'en avoir aperçu un, tu rentres dans le phare par là et tu appuies ici de toutes tes forces, d'accord ? »
Il pointa alors une lucarne entre-ouverte sous laquelle trônait le pistolet de détresse fermement attaché avec l'entièreté d'un rouleau de scotch dont le canon pointait vers l'ouverture.
« Nous on rapplique aussi vite que possible pour que tu nous retrouves plus facilement puis tu nous indiques où tu as vu le bateau.
— Futur ?
— On prie pour qu'ils voient la fusée puis pour que Freddy ne vienne pas nous tuer.
— Et moi ?!
— Soit tu m'accompagnes, soit tu tiens compagnie à Louis. Tant que tu ne l'empêches pas de se concentrer et tant que tu ne sors pas de la maison sans moi, j'n'y vois pas d'inconvénient. »
Les deux potentielles hallucinations attendirent une suite à ce plan. Il n'y en avait pas.
Attendre et prier.
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