Chapitre VII
La basilique silencieuse constituait un lieu des plus agréables pour penser tranquillement, loin de la cohue des gens ordinaires. C'était un endroit très apprécié par Guerrino, en fervant croyant qu'il se targuait d'être. L'angélus n'avait pas encore sonné, il s'en fallait de loin encore, et pourtant le vieil homme se tenait déjà sur les bancs de prière, un chapelet en main. Ses yeux clos démontraient sa profonde concentration, aussi Santo ne souhaita t-il pas le déranger. Il prit place du côté opposé, non sans avoir salué le prêtre, et ferma lui aussi les paupières, ses mains s'acharnant sur les coutures de son justaucorps. Il craignait de ne pas être tout à fait aussi pieux que son géniteur, cependant c'était sans doute un effet de son jeune âge, ou de son peu d'expérience, selon ses précépteurs. Il n'en appréciait pas moins la quiétude de ces instants de prière, court échappatoire quotidien au perpétuel mouvement qu'on maintenait autour de lui. Et il devait aussi avouer trouver rassurante la compagnie des vieilles gargouilles de pierre, muettes mais solides, peut être parce qu'elles l'avaient toujours observé depuis les carreaux de sa chambre, d'aussi loin qu'il pouvait s'en souvenir. Une sorte de figure familière, il leur avait peut être même parlé plus longuement qu'il ne l'avait jamais fait avec son propre père.
Santo, en cette heure, ne savait pas vraiment pour quoi prier. Il connaissait des textes en latin, des chants, et avait d'autres connaissances encore, apportées par son éducation Florentine, mais rien ne résonnait en son cœur. Alors il décida de prier pour sa sœur, et pour la vie de son futur enfant, leur vie à tous les deux. Il pria pour que Natale revienne vite dans la demeure familiale, car son absence lui paraissait désormais insoutenable, au bout de longues années de séparation. Il pria pour lui même, enfin, sans y mettre trop de conviction puisque ça lui laissait une désagréable impression d'égoïsme, mais il se devait d'être honnête sur ses desseins au moins envers sa propre personne, et adressa donc une requête à tout ce qu'il y avait de divin dans cette basilique pour lui donner le courage de porter un jour la charge de patriarche.
Puis il ouvrit de nouveau les paupières, vit que Guerrino n'avait pas bougé, et se résigna à le laisser seul avec un soupir. Les salutations du prêtre ne lui parvinent pas vraiment distinctement, et il y répondit plus par automatisme que par réelle civilité, encore hésitant. Depuis toujours, sa mère lui vantait les bienfaits d'un moment de prière pour éclaircir l'esprit et chasser tous sentiments négatifs du cœur, mais Santo n'avait jamais bien compris la méthode, puisqu'il en ressortait toujours plus troublé et confus qu'auparavant. Ce n'était pas faute, pourtant, d'essayer par tous les moyens d'alléger tout ce qui pesait lourd sur ses épaules, mais son esprit, maudit soit-il, demeurait surchargé de futilités.
Le chaos de la rue le frappa presque violemment quand il mit un pied en dehors de l'édifice, et il prit bien soin de rester le plus à l'écart possible pour ne pas se faire renverser. Des gens couraient de partout, ainsi que des chevaux et des chiens. Une poule s'était échappée et un gamin la poursuivait en courant, chose idiote puisque ça ne fit qu'effrayer encore plus le pauvre animal. Les rues de Gênes à cette heure où la journée touchait à sa fin paraissaient plus vivantes encore qu'auparavant, et le jeune noble ne savait plus trop ou poser les yeux. Il aimait cette sensation qui le prenait quand il était dehors, au milieu de toute la population, quand personne ne faisait trop attention à lui. Il aimait observer les visages, les tenues, juste la vie ordinaire qui courait devant lui à un rythme bien trop soutenu.
Il s'écarta brusquement pour laisser un commerçant visiblement hors de lui, mais ne s'attarda pas plus que ça à suivre cette histoire, et amorça la remontée de la grande rue. C'était toujours chose dificile, et il fallait beaucoup d'attention pour ne pas se retrouver avec un costume ruiné ou même parfois quelques blessures tant les bousculades étaient violentes.
Santo, par la force de l'habitude, s'en tira sans trop de dommages. Il épousseta son sombre pourpoint vert brodé de fils d'or, songeant quelques instants à la réprimande qu'il subirait peut être au repas du soir. Cornelia De Lucchi attachait une très grande importance à l'allure des gens de sa maison, arguant qu'une belle tenue aiderait toujours à avoir une belle image en société, et que la société faisait un homme. Elle n'avait pas tord, à vrai dire elle était même dans le vrai, mais Santo ne pouvait s'empêcher de trouver tout cela un peu exagéré. L'art du paraître n'en restait pas moins une ressource des plus importantes à savoir manier si il voulait un jour endosser l'habit de chef de clan.
Il passa donc par sa chambre, et ordonna qu'on lui trouve de quoi se vêtir plus décemment. Le jeune homme attendit que ses vêtements soient posés sur ses draps, prêts à enfiler, pour délacer son pourpoint et laisser glisser le tissu contre sa peau. Son pourpoint tomba au sol, et il le laissa dans un coin, sachant pertinemment qu'un domestique viendrait en prendre soin. Moins riches, de tissu peut être plus rude, et sans trop d'ornements, ses habits, sûrement promptement arrachés aux lingères, avaient au moins le mérite d'être propres. A fonction plus militaire qu'autre chose, sûrement peu au goût de sa mère, mais Santo s'y sentait mieux. Cet accoutrement ridicule du parfait noble avait toujours eu pour lui des allures farfelues de déguisement.
Il serra les liens de sa chemise, la rapprochant de son torse et l'ajustant plus près de son corps, avant d'enfiler ses hauts-de-chausse. Il se retint de ceindre son baudrier, habitué qu'il était pourtant par ses années à l'Académie à avoir à toute heure une arme sous la main. Cornélia De Lucchi n'appréciait que peu les épées, et encore moins à sa table. Son fils se garda donc d'engendrer une querelle, et jeta sur ses épaules une veste longue pour tenter de s'épargner la maladie qu'apportait trop souvent les vicieux courants d'air qui traînaient dans la demeure familiale. Santo marcha d'un pas décidé vers la salle de réception, alors que sonnait l'angélus.
Le souper était servi, et il brûlait de s'entretenir avec son père à propos de sa future place au sein du clan. Il était temps de parler franchement, et de se confronter à la réalité : nul doute que Guerrino ne le voyait pas près à se tenir à sa place. Sûrement avait il raison, pour le moment le jeune homme demeurait plutôt lucide sur ses capacités. Mais la question n'était pas de décider de la nomination du prochain patriarche, elle était de savoir en quoi il pouvait devancer Natale et se garantir la place.
Parce que peu importait à quel point Santo chérissait son cousin, peu importait à quel point il se languissait de sa présence. Une fois que l'aîné serait de retour, une véritable guerre débuterait, douce et sans morts. Mais il y aurait tout de même, comme dans tous les conflits, un vainqueur et un vaincu.
Santo savait déjà dans quelle case il voulait se situer.
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