De la crise de Brum et de la création du Comité
Les lourdes portes de la salle des ministres s'ouvrirent lentement, laissant apparaître derrière elles trois étonnant personnages. Une jeune fille aux petits yeux noirs effrayants, un petit homme en uniforme d'étudiant et un grand type à la voix rauque, affublé d'un masque d'oiseau. Après avoir pris le soin de refermer derrière eux, ils s'avancèrent dans la salle, une vingtaine d'yeux braqué sur eux. L'homme au masque parla.
"Nous apportons, Mesdames et Messieurs, de mauvaises nouvelles. Les barrières électriques et magnétiques de la ville, ainsi que la puissance de feu de la milice, ont été désactivés il y a environ une demi-heure. D'ici quelques minutes, la foule que vous avez vue au loin frapper contre votre grand dôme de verre sera ici même. Et ils vous détestent. Alors ne perdons pas notre temps, lesquels d'entre vous connaissent-ils en détails la crise de Brum ?"
Personne ne répondit. Il était très probable que parmi cette élite, on ait déjà entendu parler de ces événements qui avait donné naissance au Comité, cependant il semblait bien qu'au fil du temps l'ignorance avait gagné même le cœur du Monde. Pas un seul des ministres n'en savait plus que le commun des mortels, et cela était désespérant. Derrière le haut fauteuil de Hooplin se leva alors un silhouette penchée. C'était une dame d'un grand charisme qui adressa la parole aux trois intrus, avant de donner l'ordre aux ministres de quitter la salle. Elle leur annonça fièrement :
"Vous ne trouverez rien sur la crise de Brum nulle part sur cette planète, pas même dans les archives, mais si vous êtes bien ceux qu'il me semble, alors c'est à vous que je dois transmettre ces informations, afin qu'elles ne soient pas perdues dans les méandres de l'Histoire. Je suis l'Intendante, c'est moi qui ai fondé le Comité."
Elle eu alors l'attention totale des trois jeunes gens.
L'intendante était une très vieille femme, au visage fatigué mais brûlant de colère. Malgré l'âge elle avait gardé sa dignité et ses idées et, les mains enfoncées dans les accoudoirs du grand fauteuil, conta son histoire, sa seule histoire peut-être, au Hibou debout devant elle, qui l'écoutait en silence. Elle lui expliqua la ville de Brum, l'une des premières que l'on avait affublée d'un grand dôme au vingt-deuxième siècle, et où se déroulaient les plus importants sommets du monde alors. En cent cinquante ans, personne n'était parvenu à endiguer la catastrophe écologique qui avait réduit la Terre à cet océan de poussière, et c'était désormais des guerres atroces dont le spectre faisait trembler le monde. Désespérés, les gouvernements réunis avaient donné, au cours d'une grave crise humanitaire qui atteignit et détruisit presque la ville la plus puissante sur Terre, sa chance au projet fou d'une utopiste : créer un état-monde unique et paisible. On rendit les villes autonomes, on les enferma, fondant pas à pas leur culture commune et la léthargie de leurs citoyens. Suite à la destruction de Brum par une première révolte contre l'Intendante, on déplaça la capitale à Caocorra, plus sûrement protégée par les montagnes alentours, et on supprima toute mention de ce personnage à l'aspect trop monarchique. Ainsi Kaoda Waolanof était restée cachée une grande partie de sa vie, et dès lors qu'elle vit approcher sa fin elle sembla presque supplier pour que son nom soit finalement remis à sa place dans le cours de l'Histoire. Les détails de sa conversation idéologique dans les entrailles du palais ne furent connu par personne d'autre que le Hibou, cependant on écrivit en grosse lettres son nom dans plusieurs des tomes des Nouvelles Archives, et on lui fit un procès historique durant lequel elle ne se défendit pas.
Ce furent toutefois des pensées bien moins lointaines qui animaient le Hibou dans cette grande salle vide. L'Intendante était après tout une humaine comme les autres, et hormis son histoire elle n'était en rien intéressante. Les trois intrus la laissèrent donc là, seule dans son grand fauteuil à attendre, et la légende veut qu'elle eu ces derniers mots grandioses :
"Je suis la mère de la paix, soyez des pères plus grands encore !"
Le Hibou se précipita vers les principales salles des archives, espérant emporter et protéger les documents historiques les plus précieux qui lui donneraient la légitimité d'abolir enfin le Comité. Zdeg était encore entrain de sécuriser toutes les portes de cette immense bibliothèque lorsque la foule entra par les portes ouvertes du palais. Son grondement résonnait entre toutes les étagères parcourues par les mains des deux compagnons, les faisant trembler comme si elles devaient s'écrouler dans l'instant. Lorsque l'étudiant et la jeune femme eurent finalement trouvé les quelques ouvrages qui seraient vraiment utiles, le vacarme extérieur s'était un peu tu, et le Hibou parvint presque sans encombre à s'extraire du palais en ruine, portant aux bras les derniers fragments de l'Histoire du monde.
Une fois dans les rues de Caocorra, irreconnaissables, ils portèrent leur précieux fardeau sur l'estrade d'une place publique où quelques curieux pas encore fatigués purent voir Zdeg enlever son grand masque d'oiseau et le rendre en main propre à la jeune femme. Lorsqu'elle le reçu, elle voulu d'abord refuser mais se ravisa.
"Ce n'est pas vraiment mon masque, murmura-t-elle, c'est le masque du Hibou tout entier.
_Vous en aurez tout de même besoin si vous voulez continuer votre révolution, car je doute...
_Oh, mais je ne veux pas !"
Et, avec son petit sourire amusé, elle lança le masque au maigre public qui assistait tranquillement à la scène. Elle déclara ensuite qu'il y avait partout dans le monde des milliers d'esprits plus pointus que le sien qui n'attendaient que de pouvoir exposer leurs idées et que c'était à eux de prendre la relève. Sa citation candide fut filmée, applaudie, et quelques semaines plus tard lorsque l'on rebrancha les principaux serveurs d'Internet, fut la première à faire le tour de la Terre en quelques secondes à peine. Après cela le Hibou descendit de l'estrade et s'éloigna. Au bout de quelques virages Zdeg fit ses adieux à ses camarades, et retourna rapidement à la recherche de sa citoyenneté qu'il avait perdue lors de son passage à Toemin. Ce ne fut que plus tard, au plus près des crocs de verre brisé qui jaillissaient encore par endroit du sol poussiéreux de la montagne, que l'auteure et le hackeur se quittèrent. Leur conversation se finit lorsque l'étudiant pointa du doigt le seul livre que son ancienne compagne avait emporté.
" L'Histoire factuelle d'Internet avant le vingt-deuxième siècle, c'est un ouvrage qui a été rendu public, remarqua-t-il, et il l'est toujours. Pourquoi l'avoir sorti des Archives ?
_Là d'où je viens, les gens n'ont pas trop accès aux livres qui ont été rendus publics, expliqua la jeune femme, or celui-ci n'a jamais été touché par aucune forme de censure, puisque ce n'était pas très utile, et il décrit tout un tas d'événements et de mécanismes dont le conte a une grande valeur à mes yeux. Et puis c'est bien plus simple pour moi de travailler sur de vrais livres.
_Je vois... C'est donc pour ça que tu avais des gens à retrouver ?
_Oui. Et qui sait, j'aurais peut-être un jour l'esprit très aiguisé à force de me pencher là-dessus."
Ils se saluèrent comme de vieux frères, et la jeune femme s'enfonça sans se retourner dans le désert, tel un fantôme disparaissant une fois sa mission accomplie. L'étudiant resta seul, plus seul qu'avant peut-être mais fier, et pas du tout étonné du comportement antisocial de son acolyte d'un instant. Avec un groupe de volontaires plus ou moins formés qu'il trouva en chemin, il rassembla les débris des serveurs qui se trouvaient dans le palais, et entrepris leur reconstruction minutieuse. La suite des événements le concernant, et concernant le petit oiseau du désert, sont devenus légendes, seules restèrent dans l'Histoire leurs victoires.
FIN
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