𝙲𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 (𝟷𝟾)
Bonne lecture !
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Peter n'aime pas le bureau de son père.
Il y fait toujours froid. La chaise est trop haute pour lui, et même avec ça ses coudes lui font mal quand il écrit trop longtemps. Rien n'est à sa taille, et la seule fois où il a essayé de ramener un coussin, il s'est fait gronder.
Peter n'aime pas aller dans le bureau de son père.
— Montre-moi.
Ses doigts lui font mal, à force. Alors quand Richard lui arrache le papier des mains, il sait déjà que ce n'est pas bon.
— Ça fait au moins dix minutes que tu écris, Peter. Pourquoi y'a que ça ?
Ils ont fait ça la veille. Et encore la veille. Il écrit plus lentement, et en grimaçant : ça fait mal. Même à l'école, la maîtresse a regardé ses mains avec des sourcils froncés.
— Recommence. Le début n'est même pas bon. Merde, Peter. Tu le connaissais hier, alors tu me fais quoi, là ?
Son père est rentré du travail une heure plus tôt. Peter croit se souvenir qu'avant, il retirait sa blouse en arrivant à la maison. Il venait dans le salon avec lui pour voir ce qu'il dessinait, ou regardait à la TV. Ou même pour voir ce que préparait sa mère pour le dîner.
— Pardon, murmure-t-il tout bas.
Reprendre le crayon lui donne envie de pleurer. Au départ, il avait été content de pouvoir enfin entrer dans le bureau. D'en avoir le droit. Son père lui faisait lire des choses, le prenait sur ses genoux, semblait vraiment être content de l'avoir ici.
Puis il a commencé à lui faire recopier ce qu'il voyait. À lui faire apprendre. Par cœur, jusqu'à ce Peter puisse le réécrire encore et encore sans hésiter.
— C'est faux, là.
Richard se penche sur son épaule, pose le doigt sur une ligne de chiffres.
— Tu peux pas te tromper comme ça. Tout le reste est faux, après. Les calculs, c'est précis.
Il se passe une main sur le visage, lasse. La gomme tombe à côté de sa feuille, et Peter efface ce qu'il a marqué. Il tente de prendre le crayon autrement, de se concentrer, mais il est tard. Il est fatigué.
(La maîtresse lui dit toujours qu'il ne se concentre pas assez. Il lit mal. Il recopie mal ce qu'il y a au tableau. Il est plus lent que les autres. Mais Peter a l'impression qu'il n'y peut rien, quand sa tête refuse de penser à autre chose, quand il a vu un chien en descendant du bus et qu'il y pense, quand quelqu'un dit un mot qui tourne, quand il fait chaud dans la classe, quand son t-shirt est trop serré).
Il est fatigué. Sa tête lui fait tout le temps mal, en ce moment. Il sait pour les piqûres. Il ne sait pas toujours, car pendant un moment il oublie. Mais plus le temps passe, plus il se souvient. Et ensuite son père le pique à nouveau, et Peter oublie.
Mais plus il se fait piquer, et plus il a du mal à se concentrer. Plus la maîtresse perd patience. Plus son père est mécontent car il fait des erreurs.
Quand il termine enfin les premières formules avec les schémas, son père reprend la feuille.
— Peter, applique-toi un peu pour écrire. C'est pratiquement illisible, alors que c'est moi qui aie inventé...
Il soupire.
— Au moins le début est bon. Mais les dernières formules... tu peux les lire, au moins. Celles que je t'ai donné ? Parce qu'on dirait que tu inventes. Il faut sérieusement que tu te concentres, on a plus beaucoup de temps et tu...
— Richard ?
Peter n'a même pas entendu la porte s'ouvrir. Sa mère les observe dans l'embrasure, et son regard croise celui de Peter, humide. Ses sourcils se froncent, sa bouche se tord.
Elle tend la main et lui fait signe de venir.
— Viens-là.
Pendant une seconde, il s'apprête à sauter de sa chaise et à aller la rejoindre, mais son estomac se tord. Son regard se tourne vers son père. Richard finit par soupirer et faire un geste désinvolte.
Quand la main de sa mère se pose dans ses cheveux, elle le pousse doucement derrière elle.
— Ne sois pas aussi dur, dit-elle.
— Il ne retient rien.
— C'est faux, Richard. Il fait ce qu'il peut. Il avance, et c'est pas en lui criant dessus qu'il ira plus vite.
— Je lui criais pas dessus.
Sa mère pince les lèvres.
— Il est jeune. C'est presque encore un bébé.
— C'est débile, Mary. Il peut apprendre. Tu le sais.
Débile. Débile. Des filles à l'école ont dit ça. La maîtresse l'a murmuré à une autre.
— Quand tu fais ça, chuchote-t-elle. Quand tu te conduis comme ça, c'est comme si tu oubliais que c'est ton fils. Que si on fait tout ça, c'est pour lui.
Elle baisse le regard sur lui, et en voyant sa lèvre inférieure tremblante et ses yeux brillants, elle tente de lui faire un sourire.
— Allez chéri, viens. Le dîner est prêt, on va manger.
Mais, alors même qu'ils se dirigent vers la table du salon, Peter entend la porte du bureau de son père se refermer. Ils ne mangent que tous les deux, ce soir-là.
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