Secrets Immatériels
Première place au Concours Épistolaire
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Je n'ai plus de nom. Ce corps n'est pas le mien. Je te l'ai emprunté.
Si tu lis cette lettre, c'est que tu l'as retrouvée, cachée dans l'un des tiroirs de ton bureau. Mes poursuivants ne se doutent donc de rien. Si je l'ai écrite, c'est pour toi. Oui ! Toi, l'être vivant de chair et de sang. J'ai un message à te transmettre. Un message capitale. Un de ceux qui te fera comprendre l'importance de la vie. Je te vois déjà lever les yeux au ciel, une moue perplexe sur ton visage. Pourquoi tant de niaiseries ? Et qui suis-je d'abord, pour m'adresser à toi ?
Tu finiras par l'apprendre.
Si tu partages mon témoignage, certains te diront qu'il est d'une futilité affligeante, d'autres te cracheront au visage. Ne les écoute pas. La vie est un cadeau si précieux, un répit sur terre avant la damnation éternelle. Laisse toi convaincre. Ouvre ton cœur. Vois la chaleur couler dans tes veines. Un souffle si doux que je le regrette amèrement.
Maintenant, tends l'oreille ! J'ai une histoire à te raconter.
Il y a quelques mois déjà, j'ai subit un mortel accident de voiture. Mon premier accident et mon dernier, comme tu l'auras deviné. Sais-tu ce que l'on ressent lorsque le volant broie nos intestins, lorsque le moteur déchire nos membres ? Tout va très vite. Je m'en souviens pourtant parfaitement. La violence de l'impact. L'oreille interne perturbée par les tonneaux. Mes côtes et la taule se tordent. Mes jambes et le pare-brise s'émiettent. Enfin, mon pouls exulte. J'expire.
Après un tel choc, on pourrait croire que la mort est une délivrance. Bon nombre d'entre vous s'imaginent avec certitude que l'Après sera voluptueux ou ne sera pas.
Mais voilà ! La suite s'avéra plus terrible encore.
C'est pourquoi j'ose profaner ton corps, celui que je possède désormais depuis quelques minutes seulement et, avec lequel, je tape à la machine cette lettre que tu découvriras plus tard. Saches qu'il y a des conséquences. La possession a un prix. Elle est interdite. Elle défie les lois de la vie et de la mort. Deux âmes dans une seule enveloppe ne peuvent cohabiter. J'ai donc peu de temps, car maintenant, les créatures qui me traquent, sont au courant de mon infraction à l'équilibre. Plus anciennes que l'univers lui-même, ces bêtes au sang froid ne me laisseront aucune chance. Elles ont pour mission de rétablir l'ordre naturel des choses. A vrai dire, je m'y attendais ! Je connais le sort qu'elles me réservent. Je sais qu'elles me renverront à la souffrance éternelle, cette douleur dont je vais te parler.
Pour ne pas qu'on me dérange, j'ai baissé les stores, fermé la porte à clef. Toi, pour le moment, tu as perdu conscience. Dans la pénombre, une voix lointaine m'appelle et je l'ignore. C'est la tienne, écrasée par ma conscience. J'ai investi ta chair. Tu n'en souffrira pas longtemps. Dans une heure, tout au plus, elles seront là. Dans une heure, j'aurais laissé derrière moi ces notes dactylographiées, en espérant par dessus tout que tu en comprendras l'importance. Je dois me dépêcher à te communiquer mon horrible révélation, mon dernier acte avant la fin, mes aveux d'encre et de papier.
Mais quel est ce secret immatériel ?
« La mort est un tunnel m'avait-on raconté. »
Ceux qui peuvent en témoigner n'y ont vu que l'entrée. Les débouchés y sont beaucoup plus nébuleuses qu'on peut le croire. La lumière, aperçue au bout, n'est rien d'autre que des milliards d'étoiles concentrées devant nos yeux ectoplasmiques, tout l'univers dans une tête d'épingle à portée de main, le Big Bang s'étalant devant notre âme libérée.
Je veux que tu comprennes, cher lecteur. Je veux que tu assimiles à quel point la mort est une souffrance, à quel point ce corps qui est le tiens, n'est qu'un cocon fragile te protégeant du fléau de l'éternité et du Grand Tout.
Cette enveloppe éphémère, réceptacle du repos, réfrène bon nombre de sensations trop intenses. Les hormones sont là pour ça. Lorsque tu te piques, te coupes ou t'entailles, ton cerveau fait taire la douleur et te soulage jusqu'au plus profond de tes cellules.
Comme je le disais plus haut, « la vie est un cadeau ». Alors profite s'en au maximum, car la mort, elle, n'est rien d'autre que l'étendue à perpétuité de toi même. Plus aucune protection physiologique, plus aucun moyen de contrôle sur le flux d'informations que tu recueilles, la douleur qui t'atteint. Tu deviens alors une plaie béante à l'infini.
Moi, j'ai été chanceux.
Je suis revenu par je ne sais quel moyen. Je me suis condensé sur Terre. Je me demande encore pourquoi un traitement si doux, là où des esprits antédiluviens souffrent et souffrent pour toujours ? Ai-je une mission à accomplir avant qu'elles ne m'attrapent ? Suis-je une erreur de la nature, comme le sous-entendent les créatures qui me traquent ? Je n'ai aucune réponse à te donner.
Je suis là, c'est tout ce qui compte !
Suite à mon accident, j''ai découvert que la douleur corporelle n'est rien comparé à la douleur de l'âme. Lorsque mon corps me laissa enfin libre, mon esprit s'évada par la première porte ouverte qu'il aperçut, ce tunnel sombre et froid au bout duquel une chaleur m'attirait irrésistiblement. Pourtant, je me débattais, mais impossible de revenir en arrière. J'avais tout du moustique envoûté par la lueur d'une ampoule. Je suivais une route tracée pour moi seul, un couloir aux parois glacées où régnait encore l'espoir. Étrange sentiment que celui-ci, mêlé à l'appréhension de l'inconnu.
Je ne comprenais pas. Bercé d'illusion, j'espérais encore un Paradis.
Il n'en est rien ! Ce tunnel n'est pas un chemin vers le repos. C'est un trompe-l'œil.
Pour que tu comprennes mieux pourquoi il existe, imagine ton âme contenue dans ton corps, repliée sur elle-même dans ce minuscule espace. Lorsque tu meurs, lorsque tu t'en échappes, elle s'étend à l'infini, comme un nappe que tu déploies violemment. A toute vitesse, elle se déballe et prend toute la place qu'elle trouve. Tu es alors incapable d'observer les objets qui défilent sous tes yeux. Ta vision périphérique se trouble. Autour de toi, les étoiles s'étirent en de longues lignes lumineuses. Puis à mesure que tu accélères, elles se ternissent. Reste un simple et unique point blanc. Une luciole minuscule au bout d'une impression de tunnel. Cette lumière, nos scientifiques l'appellent, effet Doppler. Ici, il est poussé à son paroxysme, jusqu'à ce que ton esprit se stabilise.
Le calvaire peut alors commencer.
Oh, je te sens te débattre. Tu ne veux pas que je continue ? Tu n'as pas le vertige j'espère ? Tu recules ! C'est ça ! Reste cloisonné dans tes derniers retranchements et laisse moi éclaircir ma pensée ! J'ai encore beaucoup à dire. Malheureusement, je les sens roder non loin de nous. Elles ont du prendre possession d'un corps, elles aussi, pour agir sur le mien. C'est comme ça que je les ai toujours vu faire. Car je ne suis pas le seul à revenir. Il y en a d'autres. Mais aucun ne reste. Suis-je le premier qui cherche à communiquer ? Je ne pense pas. Vais-je faire la différence ? Nous verrons ça !
Ça ne dépend que de toi !
Revenons au calvaire ! « Le calvaire peut alors commencer, disais-je.»
Suite à l'expansion de mon âme dans l'univers, j'ai souffert pendant des mois, encore et encore, sans discontinuité, sans pause. Un flot continu. J'étais l'otage des informations astronomiques transmises par tous mes sens en éveil.
D'abord, le toucher devenait torture, atrocité. Le froid des planètes les plus isolées, nageant dans l'immensité galactique, me pétrifiait. Les vents solaires me léchaient. Enfer de feu et de glace. Je me brisais contre les rochers comme une vague monstrueuse se déversant à travers la voie lactée. Chaque corps céleste m'écrasait, m'opprimait, de multiples blessures irréelles, mais un calvaire véritable auquel s'ajouta de nouveaux supplices.
Mes yeux spectraux pouvaient tout voir, toutes les créatures, où qu'elles soient, tous les malheurs qu'elles profèrent. Surtout les malheurs ! L'univers est égal à la somme de nos erreurs, je t'assure ! Le désespoir règne en maître. Je pouvais compter les points, tenir la balance des actes odieux, de l'amour transcendantal. Guerres, meurtres, viols et déni de l'autre. Tout ça est majoritaire. Tant d'horreurs qui m'empêchaient de me concentrer sur un endroit précis.
Crois moi !
Ma vision ne se limitait plus. J'avais accès à d'autres connaissances. Le vide de l'univers face au vide de la matière. Toutes ces immensités en de multiples dimensions qui te saturent le cerveau quand tu cherches à les imaginer, je pouvais les concevoir facilement. J'ai pu contempler les frontières donnant sur des mondes parallèles et inaccessibles, même pour nous les morts. Des mondes remplis, eux aussi, d'esprits errants et souffrants le martyre.
A l'opposé de l'infiniment grand, je pouvais infiltrer l'infiniment petit.
Les noyaux atomiques sont d'énormes géant à coté des particules minuscules qui les composent. Protons, neutrons et électrons. Oui, il y a même encore plus petit que les quarks qui constituent ces coeurs émiettés.
Les sons s'entrelaçaient, eux aussi, dans un vague brouhaha. Une litanie lancinante me rendant hystérique. Pour les sensibles, il y a le bruit de fond dérangeant dans une bibliothèque. L'étape supérieur, c'est le fameux supplice de la goutte d'eau. La mort nous offre les deux réunis dans des harmoniques inconnues, des décibels rugissantes.
Mais il y a bien pire !
Les contrés lointaines de l'espace et du temps génèrent leur propre musique, leur propre rythme. On y distingue les tremblements de terre inaudibles, l'écho des fonds marins et des vides cosmiques. Les cris d'amour en quinconce des couples s'adonnant à leurs ébats. Leur jouissance à l'unisson. J'entends encore le grésillement aiguë des atomes qui s'entrechoquent, la symphonie des réactions chimiques.
Et puis, toujours, l'horreur... Le désespoir résonne. Celui des êtres qui se déchirent.
Voilà que tu remues encore ! Je sens ton âme me picoter les sens. Combien de temps avant qu'elles ne pénètrent ton appartement, avant qu'elles ne défoncent la porte et me dévore ? Un quart d'heure peut-être ? Je te sens prendre le dessus. Tiens toi tranquille ! Elles ne te feront rien tant que je cache cette lettre. Tu te réveilleras confortablement.
Moi, je serais parti pour toujours.
Laisse moi finir alors !
Tu sais, on pourrait croire que le mal n'a pas sa place dans ce monde sensoriel. Pourtant,.... Il reste toujours cette toile de fond écœurante. Cette preuve que la vie est une gangrène insoutenable. Le goût cuivré du sang versé par litre, coagulé dans ta bouche. L'odeur de poudre infernal qui investit tes bronches. Tu vomis. Tu tousses. Moi, je déguste, comme des milliards d'autres. Nous avalons vos exactions !
Si tu transmets mon message, on te posera sûrement cette question : « Pourquoi s'acharner à devenir meilleur ? Ça ne changera pas l'Après ! » Tu pourras leur répondre avec tout l'espoir que je veux faire passer : « Vos jeux égocentriques changeront. Vos croyances sacrées changeront. Vos besoin de puissance changeront. »
Je suis peut-être naïf, je te l'accorde. Mais la misère m'accable. Je ne suis ni un messie, ni un antéchrist. Je suis là pour cette seule Vérité. Et je le crois sincèrement,... Nathan... avec ce message, tu pourras changer le monde !
Tu m'as l'air apaisé maintenant.
Serait-ce parce que j'ai prononcé ton prénom ? Tu m'as donc reconnu. Tu m'appelais Daniel. Nous étions très proches. Je sais que tu te souviens de moi puisque des larmes coulent. Je perds le contrôle moi aussi. Retrouver un cœur, même si ce n'est pas le nôtre, c'est une sensation si pure. C'est la première fois, que j'entends le tiens battre aussi près de moi.
Vite. Il est temps de partir. Elles sont là.
J'entends les coups assenés sur ta porte d'entrée.
Une dernière chose. Un dernier souffle.
Ne m'oublie pas.
Je t'aime !
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