Les Tombes Métalliques - Partie 2
« Bienvenue chez LiFE-Corporation, monsieur Debra. Nous vous attendions ! »
A peine avait-il traversé le portillon, qu'un pop-up de discussion criait déjà son nom. Les mots s'affichaient en même temps qu'ils filtraient à travers l'oreillette. Une prophétie emprunte de marketing écœurant, usant de la plus vile et ancestrale méthode d'approche : élever le client au rang de consommateur privilégié. A l'intérieur du cadre virtuel qui occupait tout l'espace, se jouait la retransmission vidéo en direct d'une pimbêche peroxydée dans sa tenue élégamment moulante. La futilité dans toute sa splendeur. L'hôtesse s'adressait à lui dans des mimiques exagérées, des sourires coquelicot peints à l'encre artificielle. Gaël se sentait mal à l'aise. Depuis combien de temps n'avait-il pas plongé son regard dans celui de quelqu'un d'autre ?
Il baissa les yeux, troublé par cette féminité charnelle.
« Asseyez-vous confortablement ! Asylia va s'occuper de vous dans un instant ! »
La fenêtre disparut, révélant de grandes baies vitrées sans teint qui charpentaient un hall aseptisé. Quelques fauteuils confortables au design épuré y reposaient. Gaël s'assit sur le plus loin d'entre eux, un large pavé rembourré, sans dossier. Il se recroquevilla. La salle d'attente était vide. Les miroirs reflétaient à l'infini les lettrines de la société, en des jeux vertigineux. Une lueur dansa sur sa rétine. Une publicité. La fameuse. La terrible. Celle qu'il fuyait.
C'était inévitable.
« Message dictécrit par : LiFE Corporation - France ! La vie est précieuse ! Chérissez là ! Choisissez LiFE, la seule et unique. Choisissez LiFE. Looking For...
— Fuck ! hurla Gaël. »
Il arracha son oreillette et l'écrasa du pied sur le sol. Il n'y avait plus de retour possible. La pression montait. Il serra le poing et se perdit dans des pensées complexes et paranoïaques.
Pourquoi,... Pourquoi cette réclame s'attachait à lui comme la peste ? Pourquoi l'entreprise Nord-Américaine, connu pour ses technologies de pointes dans le domaine de la médecine, l'avait-elle épinglé comme client potentiel ? Depuis que la souveraineté des états se voyaient compromises par des multinationales comme Google ou Amazon, les données publiques et privées se revendaient comme des petits pains.
La vie privée n'existait plus.
Le libéralisme envenimait les organismes scolaires, hospitaliers et religieux. Ainsi, il atteignait le rêve de toute dictature sans même se mouiller, celui du contrôle totale de sa population. Docile, elle prenait part à sa propre soumission en sombrant dans un flux d'informations abrutissantes. Elle livrait ses propres secrets, ses propres envies en naviguant. Les requins s'en délectaient. Big Brother n'était plus une chimère unique, issue d'une histoire centenaire. Il était multiple. Chacun s'observait, se taguait, partageait des vies disséquées par l'oeil omniscient du profit. Il vous suffisait de souffrir d'une molaire, d'en parler malencontreusement dans un statut, de discuter de vos problèmes d'argent avec vos connaissances, pour que, instantanément, les publicités de dentistes et de téléphonie vous agressent pour vous proposer des soins ou un nouveau forfait à prix cassé.
Courbes, données chiffrées, prédictibilité de l'achat compulsif. L'individu n'était plus qu'une ligne dans une base de données qu'on injectait dans des calculs savants, moulinés dans les serveurs informatiques qui pondéraient chacun de vos comportements présents et futurs. LiFE Corporation les exploitait pour en tirer les informations les plus intimes qui soient.
Votre destin se lisait en temps réel dans votre ligne téléphonique.
« Veuillez me suivre, Monsieur Debra ! » , synthétisa une voie robotique.
Gael sursauta. Asylia, ou plus exactement, la version N-560, du constructeur Honda, lui tendait la main pour l'inviter à se lever. C'était une superbe gynoïde à la silhouette de rêve, traînant dans son dos une chevelure dorée si réaliste qu'il y aurait bien glissé les doigts. La corporation connaissait parfaitement ses faiblesses. Comme toute bonne société cherchant à chouchouter ses clients, elle avait croisé les recherches qui pointaient sur leurs sites pornographiques préférés, y couplait vidéos et photos référencées à des statistiques et, en conséquence, commandait des robots qui touchaient à leurs fantasmes les plus enfouis, les plus inassouvis.
Gaël en avait bien conscience, pourtant, ses hormones empiétaient sur son cerveau. Il se leva, hésita, puis subjugué, se laissa guider à travers les couloirs, les yeux fixés sur le déhanché ravageur de la séduisante créature mécanique. Ce modèle, il l'avait déjà rencontré dans les maisons closes qui offraient une nouvelle vague de services. On y appréciait les gynoïdes aux formes les plus diverses. Elles apportaient un large panel de choix aux consommateurs, sans déshonorer les femmes.
Ses pensées s'emportaient.
Depuis quand n'avait-il pas pris un peu de plaisir avec autre chose que ces peaux synthétiques qui se pliaient à vos moindres envies ? C'était à s'en demander si les femmes n'avaient pas elles-mêmes désertés ces hommes trop peu performant, trop peu endurant, inattentif à leur bien être. A vrai dire, à l'instar des gynoïdes, il existait une série d'androïdes capables de les combler chaque soir, sans craindre la maternité, l'empoisonnement aux cachets et les maladies vénériennes. Alors, pourquoi se priver ? Pourquoi rencontrer d'autres êtres vivants, quand on atteignait l'orgasme à coups sûr ? Heureusement, le rôle des droïdes ne se limitait pas à des fonctions sexuelles. Ils offraient majoritairement leurs charmes dans le monde de la Réception, de l'Hôtellerie, de l'Aviation et dans bien d'autres domaines.
« Après vous ! », synthétisa Asylia, en pointant les portes de l'ascenseur.
Sa voix était bien la seule chose qui la différenciait d'une humaine.
La Commission Éthique et Robotique se réunissait chaque année pour débattre des barrières à imposer entre l'homme et la machine. Celle de l'élocution restait la plus communément acceptée. Les droïdes n'avaient aucun rang social, aucun droit, aucune manière d'exister sans les commandes vocales d'un humain. Il fallait qu'on puisse les différencier. Seule une technologie nouvelle acceptait des exceptions, une technologie dont Gaël, suivant un destin tout tracé, pourrait fort bien devenir l'un des premiers clients.
L'homme, envoûté, se cramponna, direction le cent-vingt et unième étage.
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