Chapitre 2 : Le Rêve
Je me retrouve devant une table, je suis assis sur, probablement, une chaise, le tout dans un espèce d'entrepôt. Des dizaines de caisses entassées à ma gauche et à ma droite me le confirme. L'endroit se trouve dans la pénombre. Seul une bougie éclaire ce qui faut pour voir la table, et ceux qui y sont autour. Devant moi, attend impatiemment une personne : un espèce de gros molosse, un gros chien, sur ses deux pattes. Il est entièrement rose, mais d'un rose délavé, comme la couleur d'un chewing-gum qui aurait séché pendant des heures. Il a deux grandes dents d'une vingtaine de centimètre qui se trouve de part et d'autre de la mâchoire inférieur, et de grandes oreilles dressées à l'horizontale. Il est vêtu d'une longue robe noir, brodé de fil d'or, comme les vêtements du moyen-âge d'un noble. Il se penche, rapprochant sa tête d'un air dramatique vers la bougie qui vacille à son approche. Le jeu d'ombre et de lumière accentue son côté méchant, car c'est la première chose qui me vient à l'esprit en le voyant.
«Alors, tu ne veux plus m'acheter de poudre ? »
Mon interlocuteur vient de me parler, d'un air assuré et féroce. Il me fait penser à un chef de gang qui dit les quatre vérités à son dealeur le moins rentable.
«Monsieur Granbull, je ne peux vous l'acheter à ce prix là, je ne ferais plus de marge dessus sinon »
Je viens de parler avec une certaine peur dans la voix. Je ne sais pas pourquoi, mais je ressens la même peur que la personne que j'incarne. Cette personne, je l'appelle "l'Autre", car je ne connais pas son nom.
« Je m'en fous mon garçon, tu te débrouille, mais moi, je te vend 10 bronzes les 100 grammes, à toi de le vendre au prix que tu veux.
- Monsieur Granbull, je ne pourrais pas vous l'acheter à plus de 8 pièces.
- Tu crois que tu me fais peur, morveux»
Et après avoir tapé deux fois des pattes qui lui servent de mains, deux autres personnes s'avancent d'un pas, derrière le molosse. Je n'arrive pas à distinguer, mais j'ai l'impression que c'est deux énormes tortues bleues, elles aussi bipèdes, d'une taille de 2 mètres au minimum. Je ne sais pas ce que c'est, mais l'angoisse monte en flèche pour moi et l'Autre, comme s'ils me rappèlent une phobie, ou un très mauvais souvenir.
« Très bien, j'en prend 10 kg, lâche alors l'Autre d'un ton résigné.
- Tu vois quand tu veux. Tu l'auras demain, comme toujours. »
L'Autres prend alors sa bourse en cuir et commence à compter. Je remarque ainsi qu'il a des mains/pattes fines et jaune. Il donne 9 pièces d'or et 10 piécettes d'argent. J'en déduis rapidement que 10 bronzes valent 1 argent et 10 argents valent 1 or. Granbull recompte, au cas où, et se lève, un large sourire entre ses crocs :
« Tu vois, quand tu n'as pas de jeu à abattre, tu ne peux rien faire. Et la prochaine fois, ne me fait plus perdre mon temps, je déteste ça »
Il tourne le dos, faisant flotter sa cape dans les airs et je remarque un œil dessiné en rouge et jaune dessus. Il quitte le champs d'éclairage de la bougie, accompagné de ses sbires. L'Autre reste debout, à attendre que Granbull sorte complètement de l'entrepôt, puis d'un accès de rage, bascule la table, qui tombe dans un grand fracas. La bougie ne résiste pas, s'éteint, et roule par terre en envoyant une fine fumée par sa mèche encore rougeoyante. Il sort lui aussi de l'entrepôt. Dehors, la nuit est tombée depuis longtemps, et la lune éclaire ce qu'elle peut le paysage. L'entrepôt se trouve dans un environnement urbain, une ville, une bourgade peut-être. L'Autre marche une dizaine de minutes, zigzagant entre les ruelles embouées et scrutant le moindre mouvement suspect. C'est une petite frappe, qui extorque, qui trafique et qui intimide par la violence les plus faible, d'où cette suspicions : tout ce que j'aimerai être. La nuit est belle, il fait frais dehors, et une petite bruine commence à tomber. Cette atmosphère me rend mal à l'aise car l'Autre est mal à l'aise. J'arrive à ressentir tout cela, c'est une expérience inédite et magnifique, mais inexplicable et troublante à la fois. Pendant que je profite pleinement de ce rêve, l'Autre continu son chemin jusqu'à arriver chez lui. C'est une maison comme une autre, à côté d'autres maisons en pierres comme les autres, avec des poutres en bois apparentes. Une porte en bois massif marque l'entrée de son antre, et des fenêtres avec carreaux en forme de losange ornent les autres ouvertures. L'Autres cherche dans sa besace une clé, qu'il insère dans son trou de serrure, puis ouvre la porte délicatement. La maison comporte deux étages. Le rez-de-chaussée compte un salon, une cuisine, et une réserve secrète, où il mets toutes les chose importante pour son "métier" dans un coffre en bois massif. Le premier étage est réservé à sa chambre, une chambre d'ami et les "commodités", qui débouche au dessus d'une ruelle voisine. Il monte directement à l'étage, et va dans sa chambre. Le décors est assez riche : bureau en chêne, commode où se trouve tout ses habits, table de chevet avec une bougie entamée, et lit confortable composé d'un matelas et de draps en soie. Il s'écroule directement sur son lit et ferme les yeux.....
La sonnerie du réveil de mon téléphone me lève difficilement, comme tous les matins. Je l'arrête et je reste quelques minutes, pour me remémorer le rêve. Je déteste me lever, car je sais que je passe d'un magnifique rêve au cauchemar de ma vie routinière. Je me résigne enfin à me lever, et j'embarque avec moi mon smartphone. J'allume ma télé sur les infos : ça me fait de la compagnie. Je me dirige vers la cafetière et je l'allume aussi pour avoir ma dose matinale de caféine. L'appareil fait un bruit d'enfer pour me faire du nectar noir dans son récipient en verre, et elle me fait comprendre par la même occasion qu'elle aimerai être détartrée. Pendant ce temps, je sors des briochettes au lait, rien de tel pour le petit déjeuner, trempées dans le café. La télé discute dans son coin, reparlant des migrants, de la guerre, et d'un tennisman français qui a perdu pendant la nuit en quart d'un grand chelem face à un autre mieux classé que lui. Je me verse une bonne tasse de café, et le reste va dans un thermo. Je profite encore de ces quelques minutes de solitude, avant le grand rush du fast-food. Après avoir profité de la collation, je me douche pour me réveiller, et je m'habille en circonstance.
7h45. Le soleil arrive à peine à se lever, que je pars sur mon vélo. Il y a beaucoup de monde qui vont au travail en même temps, et je dois m'imposer sur ces monstres de métal et de chevaux moteur. Après quelques feux rouge, j'arrive au parking. Je range le vélo, et je me prépare pour travailler. Je salue sommairement tout le monde, et je n'ai pas de réponse en retour : comme d'habitude. La matinée est consacrée à la prise de commande. Sourire aux clients, prendre leurs commandes et rester calme quand ils viennent se plaindre que leurs sandwichs sont mal préparés. Mais putain, ils sont au Mac do, pas au Fouquet's ! S'ils veulent de la nourriture convenable pour leurs palets délicats, qu'ils mangent ailleurs, mais pas ici, qu'ils ne me fassent pas chier ! En tout cas, c'est ce que je veux leurs crier, mais je me contente de sourire bêtement, parce que je ne suis pas autorisé à faire autre chose. Midi arrive, et je passe en cuisine pour la préparation de sandwich. Martin est toujours là, dans son beau costume, en faisant le tour des tables pour savoir si tout se passe bien, en contrôlant ce que nous faisons, un sourire mesquin au coins de ses lèvres gercées. Si j'avais assez de couille pour foutre sa jolie gueule dans la friteuse, ça ferais un moment qu'il y aurait un surplus de nuggets....
13h00. Nous avons qu'une demi-heure pour manger, et tout naturellement, nous mangeons la plupart du temps du "made by Mc Donald". Pour ma part, je limite la casse en alternant salade/burger. Une partie de l'équipe mange à une table, ou avec d'autres clients, pendant que l'autre partie continue de servir lesdits clients. Cela permet au moins à ceux qui mangent de prêter mains forte quand ceux qui bossent sont submergés par une vague inhabituelle de gens. Quand je déjeune, je ne parle pratiquement pas avec mes collègues, et eux non plus ne m'adressent pratiquement pas la parole. Et si par un grand hasard je dois répondre, c'est pour dire oui, non, ou une onomatopée. Déjeuné passé, je reprend le boulot aux fourneaux jusqu'a 18h00, et ensuite, je devrais faire quelques courses avant de rentrer à la maison. L'après-midi passe tranquillement, c'est rare : Pas de réprimande du "Chef", pas trop de clients exigeants, et une météo plutôt clémente. J'aimerai que tous les jours soient comme cela...
19h21. Je sors enfin du supermarché. Après l'enfer du fast-food, j'ai retrouvé l'enfer de faire les courses en heure de pointe : trouver son chemin face à une cohue de personnes toujours pressées, jouer des coudes pour prendre les produits que l'on veux, attendre des plombes à la caisse avec au moins sept personnes derrières et devant moi qui n'attendent que de sortir au plus vite.... Je DÉTESTE faire les courses. Avec mes deux lourds sacs remplis, je me dépêche de les mettre au guidon et d'enfourcher mon cycle. Je réussi donc, pas sans mal, à rallier mon immeuble, les deux sacs encore vivant, accrochés au guidon. Ils ont morflé, mais ont tenu. Je sais qu'un jour, je ferais un accident quand l'un des sacs se coincera entre la fourche et les rayons de la roue, et que je ferais une embardée, en me cognant sur un camion qui m'écrasera à coup sûr. Mais j'ai pas le choix, sinon, ça ferais longtemps que j'aurais pris ma voiture, si j'en avais une.
Je rentre chez moi, range mes affaires dans le frigo et le placard, et je me sers un café. Je m'allonge sur le canapé, en balançant mes chaussures à travers la pièce : je profite pleinement de ce moment de détente, en m'allumant une cigarette. Je bois la tasse, tiède, car le thermo n'arrive pas à conserver un café à température convenable plus de huit heures. Quelques gorgés plus tard, j'allume la télé sur les infos. J'en profite pour tirer les dernières bouffées que peux m'offrir la clope. Toujours les mêmes infos qui tournent en boucle, mais au bout d'un moment, je n'en fais plus gaffe, et je fais le tri des informations utiles, inutiles ou déjà connues. Il est déjà 20h30 quand je mange un steak avec une ratatouille "fait conserve". Je n'aime pas manger aussi tard, mais parfois je n'ai pas le choix, parfois, je ne peux pas décaler au week-end mes courses. Dans ces cas-là, je m'oblige instinctivement à manger plus vite, et je n'aime pas non plus manger vite : putain d'instinct. Je me couche assez tôt ce soir, il n'y a rien à la télé comme souvent. Cela me permettra de retrouver mon "hôte", c'est pas plus mal...
Extérieur nuit. L'Autres attend, et ça doit faire un bon moment qu'il attend, il est agacé. Il regarde au alentour, pour voir si quelqu'un arrive. Le paysage est peut-être bucolique, si ce dernier n'est pas plongé dans un noir profonds, à peine éclairé par une lune décroisante. Une rivière coule tranquillement à quelques dizaines de mètres, légèrement en contrebas. L'Autre reste debout, et ce que je peux sentir en lui est une légère brise caressant son être, l'herbe léchant ses pieds (ou ses pattes), et une frustration et une impatience qui vont croissantes. Sa seul compagnie pour le moment sont les arbres parsemés un peu partout, qui dansent au tempo du vent. Enfin, il entend un bruit de cheval qui arrive. Il se cache derrière un arbre, en attendant un signe de cet inconnu qui s'est arrêté. Le seul signe est une lanterne, que le cavalier allume. La bougie émis une lumière jaune, habituelle. Puis, il mets quelques chose dans l'ouverture de la lanterne, et pendant quelques secondes, le jaune laisse sa place à un rouge vif. C'est sans doute ce signal qu'attendait l'Autre, puisque il sort de sa cachette pour venir à la rencontre de son messager :
« Tu es en retard, Braségali, commence l'Autre, froidement.
- Désolé, lui répond le cavalier, en descendant de sa monture, j'ai été suivi par la Police. »
Le cavalier en question est une espèce d'oiseau, un croisement d'un aigle et d'un faucon. Sa couleur dominante est rouge flamboyant, avec du jaune clair aux pattes. Il a de grosses griffes de rapace grises à ses membres supérieurs et des yeux jaunes avec des pupilles bleues. Une masse de plumes blanc-cassé lui sort de la tête et se divise en "V", comme des sortes d'antenne qui lui sortent vers le haut à partir du nez. Il porte une cape noir qui enveloppe tout son corps et qu'il lui permet de se dissimuler entièrement dans la nuit profonde. Il extirpe de son cheval deux sacoches, reliées par deux lanières de cuir de même couleur, et qui permettent à son utilisateur de les poser sur son destrier. Dans les sacoches se trouvent dix pots de verres identiques, remplis de poudres brunes, correspondant sans doute aux dix kilos de drogues, et bouchonnés par de la cire jaune. L'Autre force l'ouverture de l'un des bocaux, prend une première dose pour la goûter. Il fait la grimace, je le sais, la poudre a un goût immonde.
« Dégueulasse »
Apparement, c'est un goût normal, puisqu'il prend une deuxième dose pour cette fois la respirer, une toute petite dose : Il vérifie ainsi la cargaison. Après avoir sniffé sa dose, l'effet est immédiat. La dose n'est pas très forte, mais elle est suffisante pour le (et me) rendre euphorique pendant quelques minutes. Il remet le bocal utilisé dans la sacoche où elle se trouvait, puis prend le tout.
« Alors, la récolte est bonne, lui demande l'Autre.
- Oui, lui répond Braségali. Les Paras ont donné de la quantité la semaine dernière. C'est moins sûr pour les prochains jours, une dizaine sont tombés malade.
- Merde, lance l'Autre. Je comprend pourquoi l'autre vieux veux me le vendre à 10 pièces maintenant.
- Les affaires, c'est les affaires, conclut Braségali en chevauchant sa monture et en éteignant sa bougie. Portes-toi bien, et fait gaffe à ne pas te faire choper. »
Il s'en va, comme il est venu. Comme l'Autre n'a plus rien à faire ici, il tourne les talons et rejoint le bourg où il habite, à quelques centaines de mètres. Avec l'euphorie du shoot et ce paysage bucolique baigné dans le noir, je suis le plus heureux des hommes. Chaque gouttelette de brume, chaque légère brise, chaque pas dans l'herbe grasse me remplit de joie. Il arrive chez lui sans que je m'en aperçoive vraiment. Il pose son sac dans le gros coffre de bois avec ses autres choses illégales, et se couche de suite dans son lit....
Je me réveille heureux. C'est rare de me réveiller de si bonne humeur, et pourtant, il n'est que mercredi. Et le faite de me rappeler qu'il me reste encore trois jours avant le week-end me fait perdre mon bon-train. Je me souviens encore de ce rêve, et je me dit que l'Autre a bien de la chance, il ne respecte rien, et ne travaille pratiquement pas. En refermant la porte de la chambre, une conclusion arrive à moi : que j'aimerai être cette Autre
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