Chapitre 7 - Ciel et terre
Il la trouva. Devant le stand d'un marchand de légumes. Poires, bananes, fraises, tomates, courgettes, aubergines : Eliabel semblait acheter son stock de la semaine. Elle se débrouillait en cuisine, et c'est pourquoi elle planifiait ses recettes avant de se laisser emporter par l'ambiance du marché. Elle servirait ce midi une ratatouille et une salade de fruits, complétées par une viande choisie par Reiner.
Reiner était impatient : de partager le repas avec Eliabel, de découvrir son foyer et notamment de sortir de ces allées.... Bien qu'il était conscient de sa chance, car en ce matin de semaine, elles n'étaient pas aussi fréquentées que le samedi ou le dimanche.
Il avait acheté un petit poulet rôti avec des pommes de terres et de la sauce assaisonnée, et Reiner attendait qu'Eliabel se tourne vers lui pour s'installer à l'une des grandes tables en bois. Il découvrirait ainsi le programme de la journée, qu'il attendait avec empressement. Parce qu'elle était devenue son quotidien. Reiner savait qu'il était chanceux depuis des semaines à partager des moments intemporels en sa compagnie.
- Eliabel ! Il prononça son prénom doucement, et leva sa main en sa direction. Eliabel se tourna délicatement, et son sourire sincère illumina son visage. Elle traversa prudemment la rue et s'arrêta à la hauteur de Reiner.
- Reiner ! Je suis contente de te voir. Es-tu prêt pour les activités du jour ?, lui demanda-t-elle en ouvrant la marche et en cherchant les clés de son appartement, qu'elle avait fait briller le matin même. Cependant, Eliabel tendit une petite feuille à Reiner, qui ne put s'empêcher de la déplier. Flâner dans un marché / Faire une balade à cheval. Il redressa sa nuque brutalement, et celle-ci craqua sous ce geste brusque. Deux angoisses s'étaient réveillées en moins d'une seconde et son cœur avait virevolté : hypervigilance, reviviscence... Il se sentit soudainement défaillir, jusqu'à ce que la voix d'Eliabel l'arrache des enfers. Fais comme chez toi, je t'en prie. Ces paroles étaient familières pour Reiner, bien qu'il ne s'était même pas rendu compte que ses jambes l'avaient porté jusqu'au logement d'Eliabel. L'environnement lui plut instantanément, et une odeur agréable lui sauta immédiatement au nez. De l'encens... À la rose. Elle était décidément une femme surprenante. Reiner se déchaussa, devant le calme, le luxe et la volupté que représentaient ces petits espaces aménagés, confortables et réconfortants. Que penses-tu de cette ambiance champêtre ?, l'interrogea-t-elle en garnissant déjà la corbeille à fruits.
- J'aime beaucoup, s'exprima-t-il d'une voix douce, en scrutant les horizons. Eliabel avait bon goût dans l'aménagement, la décoration et l'art de vivre. Son chez-soi était simplement à son image : apaisant, chaleureux et lumineux. Le bois était la matière dominante, mais Reiner se sentit comme chez Hanna : protégé de la brutalité du monde extérieur... Jusqu'à ce qu'il remarque un bocal rempli de billes bleues, roses et blanches.
Eliabel dévisagea Reiner comme s'il avait déverrouillé la boîte de Pandore, mais s'approcha de lui. Une démarche lourde, un poids qui semblait peser sur les épaules et pour la première fois un regard triste chez la pédiatre. Reiner assembla les pièces du puzzle malgré lui. Du rose pour les filles, le bleu des garçons et le blanc...
- Elles représentent les naissances auxquelles j'ai pu assister. Ma vie est consacrée à mon métier, que je juge formidable... Excepté sur un point : le décès des enfants. Néonatalogie, maternité, service pédiatrique : je ne serai jamais habituée à la mort dans les couloirs.
Elle était lucide Eliabel. Les yeux perdus dans le vide, la réalité la rattrapa lorsqu'elle ressentit subitement un bouleversement chez Reiner : le jeune homme fragilisé s'était mystérieusement transformé en un homme attentionné, protecteur et rassurant.
Parce que Reiner lui tendait la main, par bienveillance, compassion, respect et soutien. Eliabel la serra aussitôt du bout des doigts, et ce rapprochement provoqua en eux une vague d'une chaleur incontrôlable, incommensurable et indescriptible.
- Assieds-toi, tu as besoin de reprendre des forces., lui ordonna-t-il en l'accompagnant jusqu'à la table du salon. Si tu veux m'aider, occupe-toi de la tarte aux pommes car je ne sais pas les couper en lamelles, lui précisa-t-il tandis que Reiner découvrait le contenu du frigidaire. Une pâte brisée et de la compote maison, du sucre roux, un couteau et une planche à pain. Eliabel semblait chamboulée, et cette vision déstabilisa Reiner. Tu sais monter à cheval ?, la questionna-t-il en s'asseyant en face d'elle, pour désosser le poulet. La question de Reiner permit à Eliabel de revenir au moment présent.
- Hanna est la seule cavalière de la famille, parce qu'en vérité... J'ai plutôt peur des chevaux. Ils m'impressionnent par leur aura, leur force et leur grandeur, expliqua-t-elle en épluchant gracieusement les fruits. Eliabel et Reiner s'admiraient mutuellement. Elle pour la dextérité dont il faisait preuve, et lui pour le raffinement qu'Eliabel portait en elle.
- Je parie que les écuries auxquelles tu veux m'emmener sont à l'extrémité de la ville, et pour les atteindre, nous devrons traverser la foule qui s'agglutinera contre les étales, devina-t-il en respirant si bruyamment qu'Eliabel comprit de suite qu'une crise d'angoisse paralysait progressivement Reiner.
- Je serai à tes côtés Reiner. Aucun mouvement brusque ne se produira. Eliabel et Reiner aimaient particulièrement ce détail chez l'être aimé : leur assurance d'un sujet qu'ils maîtrisaient, la confiance aveugle qu'ils s'accordaient et l'admiration qu'ils se portaient.
Eliabel plongea son regard profond dans celui de Reiner, qui ne trouva même pas l'intérêt de répliquer. Parce que leur relation naissait de solides bases. Ils continuèrent alors leurs activités, jusqu'à mettre le couvert sur la petite terrasse ensoleillée, passer à table et profiter du couvert. Reiner fut surpris de sa prise de parole (où il dévoila tout ce qu'il savait sur les équidés) mais davantage de la réaction d'Eliabel : elle l'écoutait attentivement.
Ils se préparèrent donc en début d'après-midi, pour profiter des rayons chauds de l'astre qui s'était fait désirer durant d'interminables semaines, et posèrent les pieds dans les rues pavées... Bondées de monde. Eliabel sentit Reiner se crisper. Si seulement elle pouvait deviner par son mutisme qu'il voulait qu'elle lui prenne la main...
Eliabel osa. Elle feint un mouvement compulsif de ses doigts pour effleurer ceux de Reiner. Qui tressaillit... Dont le visage ne laissa paradoxalement rien transparaître, mais dont le corps fut parcouru d'un éclair de courage. Il fit le premier pas, entraînant Eliabel dans ses déambulations.
Eliabel et Reiner furent happés par les délices de plusieurs stands, pour que leurs papilles s'arrêtent finalement sur des confiseries. Pommes d'amour, pop corn : ils ne purent arriver à une décision, exceptée une seule... Ils paieraient la totalité de la somme. Il tendit un billet en premier, accompagné d'Eliabel qui fouilla dans ses poches pour trouver l'appoint en pièces.
Le rire d'Eliabel lézardait les murs. Reiner pouvait la contempler pendant des heures, jusqu'à s'en brûler les rétines...
Eliabel et Reiner arrivèrent logiquement devant les écuries, mais l'expression du pédiatre changea instantanément. Il connaissait le propriétaire, et Reiner lui confia les craintes et les doutes d'Eliabel.
- Je pense que monter pour votre première fois avec Reiner serait une décision judicieuse, leur indiqua-t-il en se dirigeant vers le box d'un cheval aussi magnifique que doux. Sa robe était noire, ses oreilles pointées en avant et il mâchait du foin.
Eliabel acquiesça avec soulagement, pendant que le cœur de Reiner reprenait ses esprits. Il était heureux. De se rapprocher d'elle en douceur, de l'entourer de ses bras, de sentir sa chaleur... Or, il resta de marbre face à l'animal, surtout pour ne pas lui transmettre son excitation. Reiner apprit le nom, l'utilité et le mouvement des brosses à Eliabel, à poser le tapis et le protège-dos, à sangler la selle et à installer le filet.
Reiner se surprit de ses gestes assurés... Juste un instant, car il aimait en réalité le caractère empathique, la personnalité timide et le tempérament méfiant de cette bête. Il la caressa, s'accrocha à la crinière, plaça son pied gauche dans l'étrier et se hissa sans difficulté. De nombreux souvenirs remontèrent brusquement à la surface, balayés en une seconde par les yeux admiratifs d'Eliabel, qui grimpa avec un tabouret et se cala contre Reiner.
- Si tu as quoi que ce soit qui te déplaît...
- Serre-moi juste fort pour pas que je tombe.
Eliabel et Reiner étaient l'un contre l'autre... Le temps s'était arrêté. Il l'enveloppa de ses bras, et elle rapprocha ses cuisses des jambes chaudes de Reiner, qui n'eut qu'à desserrer ses doigts des rênes pour que le cheval avance. Au pas. Ils restèrent dans la carrière une heure, le temps de s'habituer aux réactions et aux mouvements de chacun et partirent enfin vers la forêt.
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