Le Savant et la Plume 

Un jour de brume à l'aube, une plume irisée aux couleurs d'une aurore étincelante de lumières se sentit la liberté de quitter le nid douillet, qui l'avait jusque-là accueillie, pour aller explorer la terre des marche-debout.

Un jour un savant juste assez fou mais avant tout Misanthrope de son nom, à la barbe un peu blanche mais surtout bien grise, aux cheveux hirsutes jouissant des mêmes coloris, croisa le chemin de cette plume si jolie.

Il s'arrêta net, imaginant le rouge et le noir d'un canular du cortège des savants qui ne savaient plus quoi inventer pour se moquer du sachant-tout qu'il était. Il s'arrêta net et se mit à observer la plume qui allait droit sur son calamus partagé en deux membres extrêmes d'une couleur beige-orangée qu'on aurait dit dessinée aux pastels. Il s'arrêta net et contempla la plume oubliant de même tout risque de gag inventé par ses pairs.

Il s'arrêta net et interpella la belle. Il s'arrêta net et lui conta fleurette. Il s'arrêta net et s'éprit de cet être incroyable de majesté. Un être à part qu'il n'avait encore jamais rencontré.

La plume s'arrêta aussi, intriguée par ce marche-debout à la chevelure grisonnante. La plume s'arrêta et le dévisagea de ses yeux aux couleurs de couchers de soleil en savane africaine. La plume s'arrêta et se laissa attendrir par cet homme qui pour la première fois lui fit comprendre qu'elle était unique au point de faire battre son cœur.

La plume donna une de ses douces lames au savant qui la prit dans une de ses douces mains et la conduisit dans une pièce où régnaient paix et élégance dans des couleurs d'ébène et de leurs variances. 

Il y installa la plume en majesté et lui procura tout ce que son cœur pouvait désirer, avant même d'y avoir pensé.

La plume se sentit bénie des dieux de l'antiquité. Elle était bien lotie dans ce palais qui lui ressemblait. 

Le savant passait son temps à chercher tous les possibles pour que la belle restât séduite. Et elle l'était… mais elle savait aussi que sa place n'était pas dans un palais mais dans un nid douillet.

La plume aimait son savant aimable et ne voulait pas briser les ponts colorés qu'ils avaient su aménager entre leurs pensées… mais la plume dépérissait dans ce monde où son amant de ses trop nombreux soins l'étouffait.

Le savant se perdait dans une mélancolie jalouse où il imaginait sa bien-aimée mieux lotie dans des bras étrangers.

Pourtant ces deux-là continuaient à s'aimer sans oser dire à l'autre le fond de leurs pensées, jusqu'à ce jour où la plume perdit une part de ses barbulles et que le savant vit se lisser les cheveux qui lui couvraient le chef.

Les deux avaient compris : ils avaient besoin d'air. 

La plume repartit vers le nid de son enfance où majestueuse elle devint un être de lumière qui avait tant à donner et à partager. Elle fit grandir la joie dans des cœurs par milliers.

Le savant resta dans son palais et inventa la patience qui lui permit d'attendre le retour de l'être tant aimée. 

La plume ne revint pas mais elle fit une place de choix à cet amant coloré. Ils apprirent la vie en commun et en authenticité. 

Ils étaient amoureux fous l'un de l'autre mais avaient surtout compris le prix de la liberté, qu'ils se jurèrent de choyer. 

© WafaBabin 

17/08/22