▬ 34 ▬ Des bras maternels ▬▬▬
Ce que nous vîmes fut d'abord une sorte de navire qui volait, balayant les airs par le biais de gigantesques filets de cordes qui rappelaient les ailes d'un oiseau. Je regardai, ébahi, ce bateau incroyable de bois qui défiait la gravité. J'en oublierais presque que j'allais revoir ma mère après ces années de séparation, ma mère que je croyais morte, et qui était présentement en train de revenir vers moi par le ciel, comme un ange venu me secourir.
J'étais enfin en train de réaliser que tout cela n'était pas une mascarade, que tout ce voyage allait aboutir vers quelque chose de prometteur. Enfin je l'espérais.
J'avais bien reconnu sa longue chevelure charbonneuse, aussi belle que dans mes souvenirs, et son visage ovale arrondi doux. Je me souvenais de sa peau pâle qui rivalisait avec la mienne avant que je ne commence cette aventure, et avec celle de Père. Mes membres tremblaient d'émotion quand je vis qu'elle souriait dans ma direction, un sourire si sincère que je me demandais comment Père avait pu tenir sans elle toutes ces années. Car s'il y avait bien un trait de caractère connu chez Kim Sowon, c'était bel et bien sa grande douceur et sa patience avec ses proches.
Je sentis alors un bras s'enrouler autour de mon épaule, ce qui me fit sursauter. J'avais oublié ma méfiance envers mes camarades, pourtant quand je vis le sourire de Siwon, je ne pouvais m'empêcher de me demander s'il était sincère. C'était dur, très dur de voir toute cette joie et se demander si c'était une feinte.
« Nous y sommes arrivés, mon Seigneur. »
Même son ton était chaleureux, je m'en voulais de sourire faussement et d'analyser tous ces traits au lieu de profiter de cette victoire.
Il sembla s'être aperçu de mon trouble puisqu'il fronça légèrement les sourcils avant d'enlever son bras et de déclarer :
« Excusez-moi c'était déplacé, vous devez être encore en colère contre moi.
- Je ne suis pas en colère contre vous », je répliquai avant de me consacrer pleinement au navire qui était en train d'arriver jusqu'à nous, sans donner davantage d'informations.
Les voiles en cordage s'agrippèrent à la roche de la crevasse, puis furent tirés par un jeune homme aux cheveux blancs dont j'ignorais l'identité, alors que le navire progressait. Je n'eus à peine le temps de prendre conscience de l'énorme vaisseau filant dans la crevasse que celui-ci s'arrêta dans un bruit sourd, se posant au sol en laissant échapper un nuage de fumée blanche.
Ces voiles clairs m'aveuglèrent pendant quelques instants où je m'approchai sans voir vers la présence de la mère qui me réclamait, m'aimantant vers elle sans que je ne cherche à contrôler cette sensation.
Je toussai mais n'entendais pas ces bruits, en fait j'avais arrêté d'entendre les sons, même ceux de mon organe vital qui frappait pourtant ma poitrine brutalement, me donnant le tournis. Parmi ce tumulte intérieur, je pus cependant distinguer une chevelure sombre, ainsi qu'un visage que j'adorais, se détacher de ces crachas blanchâtres.
Et, enfin, je me plongeai dans son regard noir, chaud.
Aucun mot ne fut prononcé, tant nos yeux se hurlaient leur émotion, tant nos regards se redécouvraient, détaillaient une imperceptible ride sur le coin d'œil de l'un et une étincelle plus adulte dans le regard de l'autre, le tout dans un silence des plus bruyants, si bruyant qu'aucun mot n'y avait sa place.
Après un temps qu'il m'était impossible de quantifier, cette femme devant moi ouvrit ses bras, simplement, sans artifice.
Mais au lieu de me laisser aller vers elle, un sentiment de malaise me prit et arrêta mes jambes. Était-ce vraiment elle ? Ce moment était-il vraiment en train de se passer ?
Son sourire aérien sembla se faner quand elle vit que je restais figé, alors qu'un éclat étrange dans ses yeux lui donna un air larmoyant. Cette tristesse sincère donna finalement la force nécessaire à mes jambes.
Son parfum envahit mes narines avant même que je ne réalise que j'avais foncé dans ses bras maternels, fermes et chaleureux en dépit de leur aspect fragiles.
Je sentis son corps trembler, tout comme le mien, alors que nous finîmes par nous agenouiller progressivement, front contre front. Une de ses mains attrapa une mèche de mes cheveux sûrement bien plus courts que dans ses souvenirs. J'avais honte de paraître ainsi démuni face à elle.
« Taehyung... »
Je ne répondis pas la gorge nouée, mais finit par placer ma tête contre son épaule.
« Si tu savais comme je suis fière de toi, mon fils. »
Sa voix n'avait pas changé, et il en rayonna une palette de souvenirs dans mon être, des moments chaleureux et emplis de douceur.
J'ignorais combien de temps nous étions restés ainsi dans cette position, mais je perçus un goût salé sur mes lèvres ainsi qu'une forme de sécheresse qui tiraillait la peau de mes joues.
Je ne fis pas attention aux silhouettes de mes compagnons se dresser face à deux hommes qui s'emparèrent de nos sacs de voyage, je ne fis qu'à peine attention au regard perçant du jeune homme qui tirait les filets tout à l'heure. Je concentrais mon attention sur la douceur de notre étreinte, douceur venue petit à petit après la frénésie de se retrouver.
« Relevons-nous mon ange, nous devons partir. », me chuchota-t-elle.
Reprenant petit à petit conscience de la réalité, je m'exécutai et l'aidai de ma main pour qu'elle fasse de même. Elle épousseta sa robe claire avant de porter un regard sur mes compagnons qui venaient d'embarquer, puis derrière moi.
« Qui est-ce ? »
Je me retournai et ne vis personne, puis baissai le regard et aperçus Mïro qui nous regardait sagement de loin, comme s'il ne voulait pas briser le moment que je partageai avec ma mère. J'eus un sourire attendri et répondit à ma mère :
« C'est Mïro, je lui dois beaucoup. »
Ma mère ne répondit pas mais s'approcha de lui doucement, avant de se pencher pour lui caresser le haut de sa tête.
« Elle sent bon ta maman. »
Je ne pouvais que lui donner raison, mais sa réaction m'amusa.
« Nous devrions y aller, Madame. »
Je me retournai alors et vit le jeune homme à la chevelure blanche de tout à l'heure, et sans surprise son regard finit par croiser le mien. Je faillis avoir un mouvement de recul face à ses yeux d'un bleu rare, glacial mais magnifique. Il s'inclina légèrement vers moi avant de tendre la main vers ma mère pour l'aider à monter dans ce vaisseau des plus étranges.
Avant de les suivre, j'eus un drôle de sentiment, regardant mes pieds sur la terre ferme de la montagne. Alors cette fois-ci j'allais vraiment partir loin de tout ça ? J'allais vraiment quitter ses terres pour devenir ce que je devais devenir ?
Un courant d'air frais me donna la chair de poule et je ne pus m'empêcher de serrer davantage le poncho coloré d'Hoseok contre moi.
« Allez, viens mon chéri. »
Cette voix douce me sortit de mes réflexions qui tendaient à être houleuses, et je lui souris avant de suivre Mïro qui semblait être rassuré à propos de ce vaisseau, ce qui me soulagea indirectement.
La main blanche de ma mère s'empara de la mienne et elle me fit découvrir ce vaisseau des plus étranges. Tout ressemblait était semblable à un bateau, mais il était bien moins modeste de celui de Yugyeom, et paraissait aussi bien plus entretenu. Le pont en bois clair était jonché cependant par les filets qui avaient permis au navire de s'accrocher au sol pour accoster. Je percevais aussi un canon inhabituel, énorme, que je me promis d'approcher plus tard.
Nous rentrâmes assez vite dans la cabine, juste derrière la barre derrière laquelle se tenait un homme que j'avais vu tout à l'heure, et qui était maintenant en train de discuter avec Siwon. Cette salle rassemblait une longue table de bois riche où étaient rangée une dizaine de sièges. Je vis aussi ce qui semblait être une grande souris blanche mais qui possédait une plume coincée derrière son oreille.
« C'est la souris de Taemin, qui est à la barre. Ils sont inséparables, un peu comme Mïro et toi d'après ce que j'ai cru comprendre. »
J'hochai la tête, intrigué, mais suivit les pas de ma mère alors qu'elle descendait par un escalier en colimaçon ouvragé. Je découvris alors une grande salle octogonale autour de laquelle il y avait plusieurs portes. Je restai bouche bée en voyant les tapis épais bleus pâles, qui me faisaient oublier que nous étions dans une espèce de bateau volant.
« Viens, je vais te montrer ta chambre. »
Je m'arrêtai, en me rendant compte encore une fois que tout semblait être prévu pour moi. Il y avait tellement de questions qui se bousculaient dans ma tête, un nombre incalculable de choses que je voulais demander à ma mère.
Celle-ci sembla s'en rendre compte puisqu'elle se tourna, balayant sa chevelure noir brillante d'une façon presque hypnotique avant de revenir vers moi, sans un mot. Elle se hissa cependant sur la pointe de ses pieds et vint poser ses lèvres sur mon front, un geste qu'elle me faisait auparavant quand elle savait que quelque chose n'allait pas, quand elle voulait me dire que tout irait bien.
Elle repartit alors de son pas léger mais prit ma main dans la sienne, qui me paraissait dorénavant toute petite et fragile par rapport à la dernière fois où je l'avais tenu.
Nous entrâmes ainsi dans une chambre assez ornementée, des voiles blancs se tissant au dessus d'un grand lit aux dimensions confortables. Il y avait un grand hublot par laquelle je pouvais voir la roche de la crevasse que nous occupions toujours.
« J'espère que tu t'y sentiras bien. J'ai essayé de l'ag...
- Maman... »
J'avais enfin ouvert la bouche depuis que nous nous étions revu. Elle s'interrompit en entendant ma voix rauque, faible mais suffisante pour lui arracher son attention pleine et entière.
Je m'arrêtai alors sur son regard, réfléchissant à quoi lui dire. Il y avait tellement de choses qui voulaient franchir mes lèvres mais en même temps aucune ne me semblait assez juste pour exprimer mon émotion du moment.
« Taehyung... »
Elle s'approcha et me prit dans ses bras une nouvelle fois, mais plus brièvement, avant de prendre mon visage en coupe, caressant de son pouce ma joue salie par la poussière.
« Je t'expliquerai tout ce que tu voudras savoir mon chéri, mais pour l'instant je dois rejoindre mes hommes pour que nous décollions. Reste là, il y a une salle de bain à côté », ajouta-t-elle en faisant un signe de tête vers une porte.
Elle m'embrassa encore le front avant de s'éclipser par la porte, où Mïro me regardait depuis l'embrasure.
« Dis-moi, Mïro, est-ce que tu crois que tout cela est réel ? Je ne rêve pas n'est-ce pas ? »
La boule de poils blanche remua la queue avant de se relever et de venir sauter sur mon lit, puis m'observa de grands yeux allant petit à petit vers le doré et me répondit :
« Je crois que ça l'est, elle avait une odeur similaire à la tienne. »
Je m'affalais alors sur le lit faiblement éclairé par la lumière de la crevasse et prit ma tête entre mes deux mains. Je sentis mon corps trembler sans que je ne cherche à le contrôler, alors que le tissu du poncho d'Hoseok, paraissant plus terne par la faible lumière, se vit être recouvert de gouttes d'eau.
Je laissais enfin toute cette pression accumulée depuis des semaines être relâchée d'un coup, profitant d'être seul.
«Je suis là moi. »
Je ris étrangement à cause de mes sanglots et tendis mes bras vers Mïro.
« Je sais, et si tu savais comme je suis content que ce soit le cas. »
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J'avais obéi à ma mère, restant sagement dans ma chambre après m'être lavé dans la baignoire qui me paraissait démesurée pour moi seul, et m'étais changé dans les vêtements fluides et doux qui avaient été posés à mon attention. Tout avait été décidément préparé.
Je me permis cependant de garder précieusement le poncho d'Hoseok dans mon propre sac de voyage, voulant le garder auprès de moi d'une manière authentique. Je ne souhaitais curieusement pas qu'on me le prenne par des serviteurs pour le laver, ou le jeter, car je sentais que cela briserait quelque chose dans ce bout de tissu. Quelque chose d'invisible mais qui m'était pourtant précieux.
« Il sent le soleil », commenta Mïro à côté de moi sur mon lit.
Nous nous étions allongés, la fatigue du voyage prenant le dessus. Je voulais dormir un peu avant de retrouver ma mère, pour que nous puissions enfin avoir notre conversation. Mais cela m'était difficile à imaginer.
C'était la même personne, avec les mêmes expressions que dans mes souvenirs. Malgré tout, je ne pouvais m'empêcher de mettre une certaine distance entre nous, distance causée par des années de séparation. Je savais que plus rien n'allait être comme avant. J'aurais beau feindre un sentiment qu'un fils aurait naturellement envers sa mère, le malaise reviendrait tout de même au galop, me rappelant que bien des choses avaient changé.
« Tu réfléchis trop, je n'arrive pas à dormir ».
Je me rappelais alors de quelque chose de vital. Qu'en était-il de la menace ? Étions-nous toujours dans la cible de cette présence ?
« Elle est toujours avec nous mais quelque chose l'affaiblit, du coup elle est très faible, comme si elle était malade.
J'assimilais ces informations, incertain de la voie vers laquelle elles me conduisaient. Mais mon esprit était un peu plus apaisé pour me permettre de m'endormir sur mes deux oreilles, aux côtés de mon dévoué compagnon blotti contre mon flanc.
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Un frappement retend à ma porte, sourd et résonnant comme si c'était l'heure. Mais il était l'heure de quoi ?
Je me lève, posant mes pieds nus sur de la roche. Ce pyjama était vraiment léger, pour autant le vent qui faisait bouger les arbres dans le lointain n'atteignait pas la peau de mes jambes.
Je tourne ma tête vers les cognements et je vois Jungkook.
Jungkook ?
C'était bien lui, grand, sa chevelure brune, ses yeux noisettes captivants, avec un sourire en coin, et vêtu de blanc.
Comment pouvait-il être là ?
Je crie son prénom silencieusement en courant vers lui. Il m'avait tellement manqué.
Mes bras encerclent avec force sa silhouette vaporeuse, étreinte qu'il ne me rend pas.
Pourquoi restait-il là, figé ?
Je me recule pour observer son visage et est choqué de le voir en larmes, des larmes de sang.
« C'est ta faute. »
De quoi voulait-il parler ?
« TU M'AS ABANDONNÉ ! », s'époumone-t-il en me pointant du doigt dangereusement.
Avec une pure terreur, je vois ses blessures au torse saigner de nouveau, rougissant ses vêtements si blancs.
« Tu es en train de m'oublier »
Ce n'est pas vrai.
« Tu préfères ta mère à moi. »
Ses yeux deviennent rouges à force de pleurer, alors qu'il continue de déblatérer ses accusations.
« Tu me laisses crever ici tout seul. »
Son regard noisette croise durement le mien.
Et c'est ainsi que je me réveillai en sursaut, mes joues ravagées par les larmes et le louveteau semblant perturbé aussi dans son sommeil. Je tousse en me rendant compte que je respirais difficilement à cause de mes larmes et de mon rythme cardiaque effréné.
Son regard avait été si réel, tellement réel que je voulais revivre ce cauchemar juste pour pouvoir le revoir encore et encore.
Ses accusations me revinrent et je les tournai en boucle dans ma tête sans parvenir à les arrêter. Baekhyun m'avait dit un matin que les rêves étaient des projections de notre subconscient, parfois de notre journée, parfois de nos sentiments enfouis. Quand bien même il avait peut-être raison, je ne réussis pas à me rendormir, n'arrivant pas à m'ôter le poids de la culpabilité.
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