« Il est temps, mon seigneur. »

Le carillon que je voulais éviter venait de sonner. Un gong résonna dans mes entrailles, assourdissant et implacable, si différent de la douce respiration à mes côtés.

Le roux me fit un sourire désolé avant de me presser l'épaule.

« Je vous laisse dix minutes pour vous habiller et faire vos adieux, chuchota le roux. Nous avons fini de tout charger. Retrouvez-moi devant l'auberge. »

J'hochai la tête, et il me laissa la petite boule de lumière bleutée avant de glisser par l'embrasure de la porte et de refermer doucement le battant. Je restais quelques instants ainsi, n'osant pas bouger, surtout que la tête de mon protégé reposait dans le creux de mon cou.

J'étais tiraillé.

Devais-je le réveiller ou non ?

Si je le faisais, je savais que nous n'allions jamais réussir à nous séparer, mais si je ne le faisais pas, j'avais peur qu'il m'en veuille.

Mais peut-être qu'il s'attendait finalement à ce que je parte ainsi, nous avions fait nos adieux la veille après tout, pas vrai ?

Millimètre par millimètre, je me décalais et réussit à placer sa tête sur l'oreiller. Il soupira mais ne se réveilla pas, ce qui me rassura quelque peu. J'allais me redresser, quand je me rendis compte que son bras reposait sur mon torse, bien que mollement, tout près de mon collier. Je rougis en me disant qu'Hoseok pouvait penser que nous étions amants dans pareille position.

Secouant doucement la tête, je me retournai pour observer le visage endormi de Jungkook.

Grave erreur de ma part.

Mon cœur se serra devant ses traits si détendus, inconscients de ce qui était en train de se produire à quelques centimètres de lui.

De moi en train de le quitter.

Je refusais de verser encore une larme, me disant que je le retrouverai, et je me penchai pour poser mes lèvres imperceptiblement sur son front, avant de dégager doucement son bras et de rouler en boule la chemise que j'avais ôtée la veille pour la placer à la place de mon corps.

L'endormi bougea dans son sommeil, mais finit par serrer la chemise contre lui alors que j'arrivais à me lever du lit. Je fis le tour de la chambre du regard, vérifiant que je n'avais rien oublié, et tombai sur la fleur dont la tige était noircie par l'encre. Je m'en emparai, appréciant les reflets bleutés qui s'en dégageaient une dernière fois, avant de la poser à la place de ma tête, sur l'oreiller.

Finalement, une larme roula sans mon autorisation sur ma joue alors que je fixai une dernière fois ce corps rassurant, puis je reculai lentement jusqu'à la porte, et me glissai dans l'embrasure avant que mon protégé n'entende les sanglots qui commençaient à se former dans ma gorge.

Refermer la porte fut un déchirement, si bien que mes mains tremblaient sur le pan de bois, mais j'y parvins en me rappelant que j'étais attendu.

Je m'essuyai les yeux de mes mains alors que je rentrai dans ma chambre pour prendre une nouvelle chemise et une veste assez chaude, pour résister à la fraîcheur de la nuit. Enfin, je coinçais la dague de mon père dans la ceinture de mon pantalon.

En sortant, je pris soin de ne pas regarder la porte en face pour ne pas être tenté d'y rentrer de nouveau et descendis rapidement les marches. L'aubergiste était en bas et me tendit de ses bras potelés un petit panier avec un sourire entendu.

« Assurez-vous de bien manger mon petit. »

Je la remerciai en m'inclinant, le cœur toujours lourd, puis filai hors de ce bâtiment.

L'air froid nocturne me fit un bien fou, et assécha le reste de mes larmes sur mes joues. En regardant autour de moi, je vis qu'Hoseok m'attendait, un air indéchiffrable sur le visage.

« Les autres sont installés, déclara-t-il.

- Je vous suis », je murmurai.

Nous nous engageâmes alors vers l'entrée du village, et je dus lutter pour ne pas me retourner vers l'auberge, craignant croiser un regard noisette derrière le verre d'une fenêtre.

« Vous pourrez continuer de dormir une fois installé en haut, il m'assura.

- Quand est-il de vous ?

- Je me suis bien reposé, je dormirai plus tard. »

J'acquiesçai, et soupirai de soulagement lorsque je m'aperçus que nous n'avions pas besoin de nous arrêter au niveau de l'entrée pour passer les barrières qui étaient déjà ouvertes. Je n'aurais pas pu continuer si j'avais dû le faire.

Les abords du village étaient silencieux, contrairement à ce qui se préparait. Nous marchâmes pendant près de dix minutes avant que je puisse apercevoir les membres gigantesques des oliphants, ainsi que des bouts de leurs défenses visibles de par les rayons lunaires à travers le feuillage des arbres. Hoseok avait privilégié la discrétion, et avait donc décidé de ne pas utiliser de boule de lumière avant que nous ne gagnions la forêt profonde.

Le chargement était impressionnant, le mâle alpha, légèrement plus grand que les trois autres, avait comme prévu une immense construction de bois qui reposait sur son dos, mais la taille de l'animal m'empêchait d'en voir les détails. J'arrivais cependant à discerner une sorte d'échelle en corde qui permettait d'accéder au sommet.

« Vous n'avez pas le vertige j'espère. »

Je déglutis, me rappelant la sensation de vide qui m'avait pris alors que je regardais Tafëndel depuis son sommet, et une sueur froide me parcourut.

« Ne regardez pas en bas alors. », me conseilla le roux qui n'avait pas manqué mon expression.

C'est alors qu'un couinement retentit à nos pieds, nous faisant tous les deux sursauter.

Le petit loup.

« Hey, qu'est-ce que tu fais là ? », je m'abaissai pour observer ses yeux vifs et si expressifs.

Je n'avais pas pensé à son cas en toute honnêteté, bien trop occupé à passer du temps avec mon gardien.

« Ne laisse pas encore un être derrière toi. »

C'est voix était donc de retour, me faisant secouer la tête d'agacement.

« Il peut venir, nous avions anticipé sa participation », m'assura Hoseok.

J'hésitai. Je me disais que la compagnie du louveteau pourrait faire du bien au brun, et en même temps je me rappellai que la louve me l'avait confié. J'avais promis m'occuper de ce petit être, et je l'avais déjà en quelque sorte abandonné quand j'avais voulu partir à la ville souterraine seul.

Une image de Jungkook me parvint alors, en train de me faire les gros yeux et m'ordonner de prendre mes responsabilités.

Je souris tristement, puis dis finalement à Hoseok :

« Merci, il vient avec nous. »

Comme s'il avait compris, la boule de poils blanche remua la queue et frotta sa tête contre mon mollet. Je gloussai avant d'emboîter le pas d'Hoseok qui avait repris la marche.

Être au pied d'un oliphant était effrayant, j'avais l'impression qu'il pouvait me piétiner à chaque instant. Le roux m'intima cependant rapidement de monter, et qu'il se chargerait de faire grimper notre petit compagnon, alors qu'il se dirigeait lui-même vers l'avant de l'oliphant.

J'avisais l'échelle, et, évitant de me poser trop de questions pour ne pas faire demi-tour, j'empoignais la première latte de bois et grimpai, ne regardant qu'une ou deux lattes au dessus de moi pour ne pas me donner le vertige. Cette ascension ne fut pas sans difficulté, car la bête était tellement monumentale que sa seule respiration provoquait des vibrations sur la corde, allant même jusqu'à faire légèrement trembler mes mains. Une goutte de sueur coula désagréablement le long de mon cou alors que la peur te tomber s'emparait de mon cœur, mais je tins bon jusqu'au bout.

Je soupirai de soulagement lorsque je vis le visage avenant de Shin Dong qui accueillit mon arrivée, et qui m'aida à me relever sur la plateforme de bois de notre bâtiment.

« Tout le monde est là ?! », lança une voix dans les airs.

Je me retournai avec stupéfaction et vit Hoseok en train de s'envoler dans les airs, le bébé loup dans ses bras, grâce à la trompe de l'oliphant qui le porta jusqu'au sommet de son cou. Je clignai des yeux plusieurs fois, n'étant pas sûr d'avoir bien vu cette scène, mais je dus me laisser convaincre quand je vis Shin Dong me sourire face à mon air ahuri :

« C'est un dresseur jeune maître, ils ont une agilité certaine.

- C'est remarquable..., je soufflai impressionné.

- Nous pouvons y aller ! », l'avertit Siwon que je venais de remarquer dans la pénombre.

Je pris le temps d'observer la plateforme, étrangement chaleureuse pour une construction de fortune. Le bois latté de la plateforme était recouvert par des coussins et des duvets cloués sur la surface du sol, Les parois verticales étaient aussi en bois et parées partiellement de rideaux colorés, respectant un camaïeu orangé, et permettant une certaine intimité entre chaque couchette. Le toit quant à lui était en toile épaisse, et je devinais qu'elle devait résister aux intempéries. Malgré l'obscurité, j'arrivais à percevoir parmi des ouvertures les autres oliphants, chacun monté par un dresseur et portant nos sacs de voyage.

« Si haut... »

La voix dans ma tête retentit encore, et je fronçai les sourcils, c'était la première fois que j'avais l'impression qu'elle véhiculait une émotion, cette fois-ci la peur. Peut-être était-ce ma propre voix qui reflétait ma propre crainte ?

« Venez, je vais vous montrer votre couchette », me dit Shin Dong en se déplaçant vers l'avant de l'animal.

Je le suivais en titubant à moitié, n'étant pas à l'aise avec cette surface qui bougeait légèrement sur le dos de l'animal. Mon duvet était face à un deuxième, et une ouverture me permettait de voir le haut de la tête de l'animal, avec Hoseok qui avait installé un tapis et était installé avec le louveteau qui tremblait dans ses bras.

En me voyant, ce dernier chercha à se dégager de l'étreinte du dresseur, qui se retourna et me sourit.

« Je vous le rends, il aura du mal pendant les premiers jours du voyage je le crains. »

Je le vis alors caresser de sa main le haut du crâne du pachyderme et se relever avec une grâce qui me stupéfia, et marcher sur le début de la colonne vertébrale avec mon protégé dans les bras, pour rejoindre l'ouverture par laquelle je l'observais avec hébétement.

« Je dormirai juste en face de vous, mettez-vous à votre aise », m'indiqua-t-il en me passant la boule de poils tremblante dans mes bras.

Il repartit ensuite avec la même facilité et s'assit avant de sortir un petit sifflet de sa chemise et de souffler dedans.

Un son grave en sortit, comme un cor de chasse.

La bête commença à bouger.

Je m'assis par réflexe sur le duvet alors que le sol commençait à tanguer légèrement, avec mon petit loup contre moi, le caressant par réflexe alors que mon rythme cardiaque s'accélérait.

Notre voyage continuait.

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Jungkook ouvrit les yeux quelques heures après le départ de Taehyung, quittant un sommeil des plus sinistres. Il avait vu son père disparaître encore et encore derrière une mer noire, qu'il n'avait pas pu rattraper malgré la fougue qu'il avait eu à essayer de le toucher de son bras, mais ses jambes étaient bloquées dans une roche qui ressemblait curieusement à de la cendre.

Il eut du mal à se rappeler d'où il était, mais quand il le fit son cœur ne fut que guère plus joyeux.

La chaleur du corps de Taehyung avait disparu, son étreinte remplacée par du tissu fin.

Un souvenir surgit alors qu'il vit la fleur déposée à côté de lui, le narguant de sa couleur saturée qui contrastait avec le brouillard qui envahissait son esprit.

Il détesta la froideur de son matelas, beaucoup trop similaire à celle qui était en train de s'infiltrer dans son cœur.

« Non... »

Il aurait aimé le voir une dernière fois, revoir encore les traits de son visage avant qu'il en oublie les petites spécificités, comme son grain de beauté sur le bout de son nez, ou la façon dont ses lèvres se retroussaient quand il lui souriait.

En se redressant, il soupira en se demandant ce qu'il aurait pu lui dire, mais ne trouva aucune réponse.

Peut-être était-ce alors mieux ainsi ?

Plongeant son visage crispé par le chagrin dans ses mains, la fleur lui réapparut dans son champ de vision et il s'en empara finalement, puis l'éleva alors que les premiers rayons de soleil perçaient les vitres de sa chambre.

Un étrange sourire se forma alors sur son visage.

Il allait faire monter Taehyung sur le trône.

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