« Jungkook est tombé. »

Je ne pouvais y croire, il ne pouvait pas mourir. Jungkook était un roc, aussi résistant qu'une mauvaise herbe, ce n'était en aucun cas imaginable.

« Jungkook est tombé. »

La voix insupportablement trop calme de Siwon ne me laissait aucun répit, s'implantant et empoisonnant mon esprit tant et si bien que je n'avais de la place pour aucune pensée si ce n'est pour une peur, une peur née par un profond sentiment de solitude. Jungkook était parti et ne reviendrait pas, son père ne le retrouverait pas. Comment allais-je pouvoir le regarder en face ? Les larmes montèrent sans que je ne cherche à les arrêter, brûlantes et pourtant si insignifiantes comparées à la douleur qui me torturait le cœur.

« Vous devriez manger », me dit gentiment Shin Dong.

Je le fusillais du regard méchamment. Comment pourrais-je avoir un quelconque appétit ?

Nous étions dans une forêt, qui bordait le territoire des oliphants. La nuit était tombée et nous avions bâti un campement de fortune, enfin les trois hommes qui étaient avec moi s'en étaient occupés car j'étais incapable de me lever. Ma tête bouillonnait de pensées. Et s'ils avaient mal vu ? Et s'il y avait encore un infime espoir qu'il ait survécu ?

La fatigue accumulée par nos précédents périples eut finalement raison de moi et je m'endormis d'un sommeil lourd, presque étouffant cette nuit-là.

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Jungkook ouvrit les yeux alors que quelque chose d'humide le dérangeait sur sa joue. Il toussa alors qu'il se rendit compte que la poussière avait pris place sur son visage, allant jusqu'à envahir ses narines. Il voulut se redresser mais une douleur électrisa son corps tant et si bien qu'il n'arriva pas à hurler, sa souffrance étant ainsi coincée dans le fond de sa gorge.

Alors qu'il allait retomber dans l'inconscience, il ressentit de nouveau cette sensation humide mais cette fois-ci sur une de ses mains.

Il se rallongea, pensant être victime d'hallucinations à cause de la douleur, et voyant que sa vision n'était toujours pas stable il préféra fermer de nouveau fermer les yeux.

Quelque chose sembla protester puisqu'il sentit un poids sur son ventre, ainsi qu'un couinement qui lui parut familier, curieusement familier.

« Qu'est-ce que... »

Parler lui paru irréel, lui qui croyait être mort. Pourtant, il arrivait à ressentir le supplice de ses blessures, elles bien réelles.

C'est alors que la sensation humide se répéta sur son visage, ce qui le fit gémir d'inconfort, lui qui voulait s'endormir. Il rouvrit les yeux alors, voyant dans un instant fou, mais distinguant une forme blanche face à lui.

S'il avait pu, il aurait sourit. Il était tombé face à un démon noir et voilà qu'un ange de lumière venait le voir. Peut-être allait-il finalement mourir ? Il allait rejoindre sa mère, la retrouver après des années de séparation, cela n'était pas si mal.

Il sentit de nouveau cette sensation humide qui l'empêcha de continuer ses prédictions, mais arriva à comprendre qu'il y avait quelque chose de légèrement râpeux dans ce contact. Il papillonna des yeux jusqu'à ce que les contours de cette forme se précisent, et la surprise eut raison de son envie de dormir.

Qu'est-ce que le louveteau faisait ici ? Est-ce que son père était venu le chercher ?

C'était impossible, ils étaient déjà loin quand il l'avait aperçu sur le navire de Yugyeom. Yugyeom, celui qui était aussi tombé, mais bel et bien mort.

Il essaya de se redresser de nouveau mais en fut incapable. Il put cependant observer l'endroit où il se trouvait. Il était à l'intérieur de ce qui semblait être un amas de débris tombant pèle-mêle autour de lui. La seule source de lumière fut une ouverture située à un bon mètre et demie de hauteur juste à côté de lui. Le louveteau avait dû sans doute escalader puis creuser parmi les débris.

Les détails de sa chute lui revinrent en tête, et un doute lui empoigna le cœur. Est-ce que le dragon avait réussi à retrouver la trace de Taehyung ?

La boule de poils se glissa hors de l'orifice sans qu'il ne puisse la retenir.

Ce n'est qu'après de longues minutes, durant lesquelles il crut qu'il l'avait laissé, que le petit loup revint. Il lui jeta un coup d'œil curieux quand il entendit un couinement de sa part, alors qu'il avait pris appui sur son corps et que sa tête était encore hors du trou.

Il finit par comprendre lorsque le canidé réussit enfin à tirer à l'intérieur son butin, un sac de toile épaisse qu'il déposa à côté de la tête du blessé. Il tenta une énième fois de se relever, sans succès, ce qui le fit grogner de douleur. Le louveteau couina, montrant sa tristesse quant à la situation de Jungkook.

« Tu n'as pas à t'en faire pour moi bonhomme, souffla tendrement le brun à la petite boule de poils blanches. Va chercher Taehyung, il a besoin de toi. Moi, je ne peux pas prendre soin de toi dans cet état, ni prendre soin de lui. »

L'animal monta sur son torse et s'y allongea, réveillant au passage une douleur dans le dos de Jungkook, et se mit à le fixer de ses grands yeux expressifs.

« Non, va le chercher. J'irais bien, promis. »

Le louveteau couina encore, faisant glisser sa truffe humide sur son cou. Le brun réussit à esquisser un sourire avant de lui souffler une dernière fois.

« Allez, va. N'aie pas peur, tout ira bien. »

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Le lendemain matin, nous nous levâmes à l'aube et nous avions pris la route, pour ma part à contrecœur et nous nous rendîmes à un village au cœur de la forêt, qui appartenait à des dresseurs d'oliphants d'après les dires de Siwon.

Les fortifications de ce village étaient impressionnantes au vu de la petitesse du village en lui-même. Nous dûmes franchir par plusieurs fois des barrières mesurant à chacune une bonne dizaine de mètres de hauteur, et au moins cinq de larges de par des immenses pics horizontaux de métal, brillant sous le soleil dangereusement.

Je suivais mécaniquement mes compagnons, mais je fus contraint de lever les yeux quand ce qui semblait être un représentant du village parla avec Siwon, nous regardant tous les quatre avec attention.

« Hoseok doit nous conduire à notre navette », m'indiqua celui-ci.

Je hochai la tête faiblement, alors que le concerné me sourit chaleureusement, ce qui me parut étrange. Depuis combien de temps n'avais-je pas reçu de marque de sympathie aussi gratuite ? Hoseok était un homme plutôt fin, ce qui lui donnait une silhouette longiligne que l'on devinait derrière son armure, tout comme son visage était relativement allongé. Mais ce qui m'étonna fut la couleur de ses cheveux, coupés courts mais d'une couleur rouge sombre qui était peu familière, rappelant un coucher de soleil.

« C'est un honneur pour moi de vous rencontrer, continua à me sourire Hoseok après s'être incliné discrètement.

- Taehyung, Hoseok fait partie des dresseurs d'oliphants les plus remarquables du royaume, m'indiqua Siwon en lui prenant l'épaule avec affection.

- Vous me flattez, gloussa le roux.

- C'est aussi celui qui a été à la tête de l'offensive d'hier, il a conduit avec ses hommes une dizaine d'oliphants pour chasser le dragon. »

J'écarquillais les yeux, impressionné. Je fis aussi rapidement le lien avec les violentes secousses qui nous avaient fait déloger du tunnel. Ce souvenir me conduit à repenser au tumulte de l'instant, à Jungkook. Si nous avions attendu quelques heures au lieu de les faire tout de suite remonter à la surface, il n'aurait pas eu besoin de s'être sacrifié ainsi. Un sentiment d'amertume m'envahit et je fus incapable de répondre au sourire d'Hoseok. A la place, j'inclinai la tête en guise de remerciement. Il parut légèrement surpris de mon manque de réaction, ce que remarqua Siwon.

« Ah pardonnez-le. Nous venons de perdre un compagnon. »

Si mes yeux pouvaient blesser, il aurait sûrement été à terre. Comment pouvait-il minimiser ainsi la chose ?

Le roux me fixa alors intensément, cherchant mon regard, mais je me contentais de fixer un point derrière lui. Il se racla alors la gorge, et finit par déclarer.

« Je vous ai préparé un endroit où vous reposer. Nous partons dans trois jours, cette saleté de dragon a brûlé des membres de nombreux de mes soldats et ce combat nous a pas mal affaiblis. Nous devons prendre du repos avant le trajet qui nous attend. »

C'est ainsi que nous fûmes logés à l'étage de ce qui semblait être la taverne du village. Nous nous étions vite installés et lavés puis changés, Hoseok ayant joué son rôle d'hôte jusqu'au bout. Nous voilà donc au rez-de-chaussée, mes camarades buvant avec entrain parmi une atmosphère festive. Pour ma part, je n'arrivais pas à me joindre à eux.

Je ne pouvais me résoudre à boire, alors que je regardais le fond de ma choppe, les yeux noisettes de Jungkook me revinrent en tête. La musique qui résonnait dans le bâtiment me paraissait insupportable, ridiculement enjouée alors qu'une ville venait d'être détruite et une majorité des Tafendëlois éteints. La fuite d'un dragon paraissait être une source de contentement infime à côté de cette tragédie.

Incapable de rester assis dans cette ambiance, je finis par me lever. C'était la première fois de ma vie que j'allais dans une taverne et pourtant je ne pouvais me sentir satisfait de cette découverte. Jungkook aurait sans doute eu sa place ici, lui et son caractère railleur aurait égayé une table, ou la vexer, dans tous les cas elle aurait été sans doute bien plus vivante que ces hommes qui enfilaient pinte sur pinte de la bière en chantant grassement.

Je finis par sortir un peu, voulant avaler une goulée d'air, malgré la fraîcheur, qui me ferait du bien après ces effluves d'alcool qui étourdissaient mes sens.

J'aperçus un petit banc sur le parvis et m'y assis, contemplant la voûte céleste, appréciant ce calme qui correspondait bien plus à mon état actuel. En observant les astres, je finis cependant inévitablement à me morfondre dans mes idées noires. Est-ce que Père m'observait de là-haut ? Il devait avoir un piètre reflet de moi, brisé, les cheveux mal coupés, des vêtements d'une simplicité improbable pour qu'elle corresponde à notre lignée. J'eus un rire amer à cette pensée. Pourquoi pensais-je à ma lignée ? Cela n'avait plus d'importance, j'étais un enfant perdu.

Les larmes me montèrent alors que des sanglots prirent place dans ma gorge sans que je ne puisse les contrôler. Je m'excusais pitoyablement auprès de ces astres inatteignables, je me mettais à genoux en dessous de l'immensité stellaire, tendant une main vers ces lueurs qui me rappelaient les êtres qui m'étaient chers. Je pleurais sans modération pour la deuxième fois depuis que nous nous étions échappés des griffes de Tafendël.

« Je suis désolé, tellement désolé de ce qu'il vous est arrivé. C'est de ma faute, tout est de ma faute. »

Je sanglotai ainsi au sol, mes larmes mouillant le sol pavé du village, recroquevillé comme l'âme égarée que j'étais.

Des bruits de pas s'approchèrent tout à coup et s'arrêtèrent devant moi. Quelque peu honteux de m'être fait surprendre dans cette position, je me redressai en position assise mais baissai la tête, profitant des mèches de mes cheveux qui pouvaient couvrir les traits de mon visage.

La silhouette s'installa à côté de moi dans un bruit métallique et je jetai un regard en biais à ce gêneur et fut surpris de retrouver la chevelure flamboyante d'Hoseok.

« Je suis désolé pour ce qui est arrivé à votre camarade, me dit-il doucement en ayant ôté son sourire jovial.

- Je ne veux pas croire qu'il est mort, couinai-je sans vraiment m'en rendre compte.

- C'est souvent ce genre de sentiment qui nous habite quand on perd une force de la nature. »

Je ne répondis pas, ne sachant quoi répondre, et mes larmes continuaient de couler sur mes joues. Il resta assis un long moment comme cela avec moi, attendant que je me calme, silencieusement, mais d'un silence qui me parut plus appréciable que lorsque j'étais seul. Ce n'est qu'après un long moment qu'il reprit la parole :

« Vous savez, comme l'a dit Siwon, j'étais en première ligne dans le combat entre les oliphants et le chien de GD. Je sais que vous êtes blessé, mais si cela peut vous aider d'en parler, alors je vous dirai ce que j'ai vu.

- Je veux savoir ce qu'il s'est passé », lui répondis-je d'une voix étranglée que j'espérais pourtant déterminée.

Hoseok s'élança donc dans son récit. Ils avaient réagi apparemment très vite dès qu'ils avaient vu l'arrivée du reptile indésirable, mais préparer le dos d'un oliphant nécessite beaucoup de temps, et ils n'avaient pu laisser partir qu'une dizaine au combat après une demi-journée de préparation. Un détail dans son discours m'interpella.

« Quand nous sommes descendus dans la crevasse, le dragon était occupé, je crois que c'était le soldat que vous avez perdu. Il se tenait devant la bête devant un tas de ruines d'au moins sept mètres. Nous l'avons vu disparaître dans les décombres alors que le serpent crachait son venin flamboyant.

- Comment ça disparaître ?, je l'interrompis.

- Et bien, commença Hoseok d'un air hésitant, je ne sais pas si le feu a pris sa vie, mais dans tous les cas je n'ai pas vu son cadavre. »

Mon cœur s'élança dans ma poitrine, et un état de surexcitation m'enveloppa. Je me redressai face au roux et je m'exclamai, comme possédé :

« Alors il est peut-être encore en vie ! Jungkook n'est pas mort, je le savais !

- Je n'ai pas dit que...

- J'ai entendu ce que vous avez dit, mais par pitié Hoseok, il faut que nous vérifiions.

- Nous ?, il hoqueta.

- Mais oui, vous connaissez mieux que quiconque ces terres, et Siwon ne voudra jamais me laisser y aller !

- Je peux comprendre ses motifs, il protesta.

- Je vous l'ordonne, je vous en supplie s'il le faut, mais je dois voir ça. »

Hoseok parut déstabilisé, et, pris d'une impulsion, je serrais les mains de cet inconnu dans l'espoir qu'il soit mon guide. Il soupira lourdement et finit par capituler.

« D'accord, mais je préviens, on part maintenant. Vos compagnons sont ivres et la nuit est encore jeune, nous devons être de retour avant le petit matin. »

Comment pouvais-je protester à cette condition ? Je le pris sans réfléchir dans mes bras en répétant sans m'arrêter des remerciements, mais il se dégagea bien vite, les joues rougies par la gêne.

Il me laissa quelques minutes pour partir chez lui, et revint avec un sac de ce que je devinais être son sac de survie. Il marcha au pas de course et les gardes nous laissâmes passer sans protester quand ils virent qu'ils avaient affaire à Hoseok.

Nous traversâmes la forêt encore une fois d'un pas très rapide, si rapide que mon souffle était devenu court alors que j'aperçus après une bonne heure de marche la crevasse. Nous ne nous étions arrêtés qu'une seule fois pour boire de l'eau fraîche, et pour ma part reprendre au passage mon souffle. Hoseok était très énergique et j'avais du mal à suivre son rythme soutenu.

Je n'avais même pas eu le temps de réaliser que j'allais enfin connaître le sort de Jungkook que nous étions déjà arrivés, en un temps record. Mon euphorie s'évapora alors qu'une profonde appréhension me fit déglutir.

C'est lorsqu'une boule de poils blanche fonça joyeusement vers moi que je crus que mon calvaire allait enfin s'alléger.

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