▬ 10 ▬ Abandon ▬
Le souffle piquant des flammes s'infiltrait dans mes pores avec malice, il serpentait dans mes veines avec empressement, cherchant à éveiller mon corps. Il mordait ma chair avec acharnement, faisait trembler mes muscles avec autorité. Il voulait prendre le contrôle, d'une manière que je ne comprenais pas encore.
Mon souffle était court, l'oxygène semblait quitter mes poumons petit à petit malgré mes tentatives de le faire entrer à nouveau dans ma poitrine par des inspirations paniquées par la bouche. Je ne savais pas ce que je voyais, je n'en avais même pas conscience.
Ma résistance était vaine, cet appel résonnait si bien dans mon corps qu'il ne pouvait m'être que destiné.
Je sentais quelque chose grandir en moi, quelque chose de bien trop grand pour le contenir dans ma poitrine. J'allais exploser.
Pourtant, je sentais une caresse brûlante sur ma joue, et j'entendais une mélodie étrange qui rythmait mes sens, me susurrant dans un langage inconnu de me calmer, que tout irait bien.
Je lui obéis, et hurlais en silence en me laissant consumer.
C'était si doux.
Je me réveillais.
Il était temps.
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« Te revoilà, gardien. »
Le dragon noir souriait, sa mâchoire entrouverte laissait échapper de la fumée qui s'échouait sur le visage horrifié de Jungkook. La bête géante le regardait avec moquerie, sûrement fier de l'effet qu'il avait sur le jeune homme.
« Aegnor », grinça-t-il avec dégoût.
Le lézard devait être ici depuis un bout de temps, sinon ils l'auraient entendu et surtout ils auraient emprunté un chemin différent.
« Je ne pensais pas te revoir un jour, misérable usurpateur. Tu as de l'affront pour tenir le regard qui t'a observé brûler la dernière fois que tu l'as croisé. »
Jungkook était tétanisé, il se souvenait que trop bien de son dernier affront à Tafendël, la ville souterraine qu'Aegnor avait détruite. Il avait bien cru qu'il allait mourir, et il portait encore les traces de ce moment.
« Ton seigneur est en mauvaise posture, n'as-tu point honte de nous barrer le chemin ?
- Crois-tu que je courberais l'échine face à un humain ?, ricana le dragon. Je n'ai aucun seigneur.
- Les tiens te renieront s'ils apprennent que tu ne nous viennes pas en aide.
- Je ne traiterais pas avec toi, misérable insecte. Pars avant que je ne te refasse goûter à mes flammes. »
Bien que terrifié par l'immense créature noire aux yeux jaunes perçants, Jungkook protesta :
« Et te laisser seul avec lui ? Il en est hors de question !
- Et qu'as-tu qui puisse justifier un tel dévouement ?, se moqua Aegnor. Je t'ai appelé à tort gardien. Comment peux-tu revendiquer cette loyauté alors que ton seigneur est dans cet état ? »
Jungkook, plus attentif aux mots du lézard, jeta un coup d'œil anxieux en direction du corps immobile derrière lui. Taehyung avait toujours les yeux ouverts d'une manière dérangeante, mais il ne semblait pas véritablement conscient. Il tenta de masquer ses peurs face à la Mort devant lui et lui demanda :
« Que veux-tu dire ? Qu'est-ce qui lui arrive ?
- Cela ne te regarde plus, tu ne sers à rien. Ne l'as-tu pas déjà compris ? Je n'aime pas ce Kim, mais je ne peux pas le détruire. Il en est différent pour toi, alors pars. Je suis déjà bien aimable d'utiliser le langage humain pour toi. »
Profondément étonné du comportement d'Aegnor, le jeune homme hésita. Il avait sa fierté, mais il voulait à tout prix éviter qu'on ne fasse du mal à son protégé. Alors, fusillant du regard les yeux jaunes moqueurs de la bête, il se mit à genoux et baissa la tête en guise de soumission. Il se sentait pathétique, les paroles du dragon avaient réveillé une crainte qu'il avait développée depuis qu'il connaissait Taehyung.
Être inutile.
« Laisse-moi rester auprès de lui », implora-t-il.
Il entendit un son étrange ressemblant à un ricanement.
« J'aurais dû te nommer parasite. Tu n'es d'aucune utilité, pourquoi t'acharnes-tu ?
- Laisse le. »
Ce fut une voix grave qui le coupa dans son élan, familière mais pourtant avec une intonation qui glaça le sang de Jungkook.
Taehyung était debout derrière lui, ses pupilles formant toujours une fente ténébreuse tandis que ses iris argentés paraissaient si clairs qu'il jurerait qu'ils étaient lumineux.
« Taehyung... », l'appela-t-il avec hésitation.
Il le regarda avec une indifférence qui lui brisa le cœur, ce regard glacial n'avait rien à avoir avec les pupilles aimantes qu'il connaissait.
« Pars. »
Choqué, Jungkook entendit à peine les ricanements d'Aegnor et le regardait avec insistance, cherchant des réponses.
« Non, protesta-t-il en se rendant compte qu'il n'aurait aucune réponse. Bon sang Taehyung qu'est-ce qui te prend ? Tu vas bien ? Allez, viens, nous devons rentrer ensemble tu te rappelles ?
- Pars, répéta Taehyung d'un ton plus agacé.
- Mais...
- Maintenant. »
Sa voix tranchante calma l'élan du jeune homme. Il jeta un regard incertain à la longue route plongée dans le noir, peu rassurante avec les arbres crochus qui la bordaient et surtout désertée de toute vie, avant de regarder de nouveau Taehyung avec douleur.
« Laisse-moi t'aider... Ta cheville... »
C'est alors qu'il sentit une bourrasque le faire valser violement à une bonne quinzaine de mètres plus loin, lui coupant le souffle et l'étourdissant. Estomaqué, il regardait Taehyung se diriger avec tranquillité vers Aegnor qui souriait horriblement. Mais ce qui étonna le plus Jungkook était le halo lumineux qui se dégageait du corps de son compagnon, tout aussi argenté que ses yeux, un halo qui s'éteignit aussi vite qu'il était apparu, comme s'il venait d'utiliser de la magie.
« Bon sang mais qu'est-ce qui te prends ?! Réveille-toi ! », s'indigna le brun en dissimulant mal la douleur de sa chute sur son visage.
Il tenta de se relever mais, comme s'il était sous l'emprise d'un filet invisible, n'arriva pas à se redresser. Voyant toujours une indifférence particulièrement agaçante sur le visage du seigneur dragon, il s'impatienta.
« Alors quoi ?, cracha Jungkook d'un ton mauvais. Maintenant que tu n'as plus besoin de moi tu me fais dégager de nouveau ? Comment ai-je pu te croire vouloir te pardonner ? Tu me dégoûtes ! »
Taehyung ne lui adressa aucun regard et, comme muni d'une confiance terrifiante, laissa Aegnor le faire grimper sur son dos. La bête demeurait étrangement muette mais elle se mit en marche, brisant dans son sillage de nombreux arbres. Jungkook se rappela avec un certain dégoût que la bête avait été mutilée et ne pouvait donc pas voler.
« Taehyung... », l'appela-t-il une dernière fois toujours à terre et l'œil humide.
Il regarda, impuissant, la fine silhouette de son compagnon contempler l'horizon, son regard déterminé perçant son visage glacial et sa longue chevelure argentée ondulant majestueusement.
En l'espace de quelques minutes, Jungkook avait de nouveau tout perdu.
Ce fut si rapide que c'en était ridicule.
Le jeune homme éclata de rire, un rire bruyant à glacer le sang. Un rire de rage et de désespoir.
Sa colère voila ses yeux, sa détresse brouillait ses sens et sa raison.
Seconde après seconde, il construisit sa propre cage noire d'amertume et s'y enferma de bonne grâce. Encore.
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Yoongi avait l'habitude de voyager seul, il avait toujours été serein à l'idée de passer la nuit à la belle étoile, à chasser pour manger sans se faire repérer. Pourtant cette fois-ci il fut content d'avoir la compagnie du loup. Ils avaient marché ensemble quelques jours, trouvant un accord silencieux pour prendre soin d'eux mutuellement. Le jeune homme n'avait eu aucun mal à reconnaître le loup géant du seigneur de Stäfa, il était rare d'en croiser en une vie et il était quasiment impossible d'en croiser sur ces terres. Il l'avait conduit vers des champs reculés, bien loin des terres recouvertes par la neige, et avait eu presque honte de dérober quelques denrées pour retrouver de l'énergie. Quelque chose avait poussé le jeune loup à agir et à retrouver des personnes qu'il connaissait au lieu de profiter de sa liberté guidée par son instinct sauvage. Yoongi se demandait cependant ce qu'il voulait, il n'avait pas le lien qu'avaient Jungkook et Taehyung avec lui.
Cette nuit, Mïro s'était couché contre lui. Il semblait soucieux et pour une raison qu'il ignorait, Yoongi l'était aussi. Cependant, avant que le soleil ne se lève, l'animal fut véritablement perturbé quand une odeur lui parvint, une odeur qu'il ne connaissait que trop bien et qui le poussa à se lever et abandonner le voyageur.
Il détala sur plusieurs kilomètres sans s'arrêter alors que les premiers rayons du jours percèrent l'horizon. Reprenant son souffle quelques instants, il fit attention aux bruits de la forêt, longea le périmètre du territoire d'un ours qui semblait plus gros que lui pendant une bonne journée avant de retrouver l'odeur qu'il cherchait tant. Il suivit la piste de son odorat avec patience et détermination pendant deux journées, chassant que très peu pour ne pas perdre sa piste.
Ce fut au bord de l'épuisement qu'il retrouva enfin le jeune homme brun qu'il aimait tant allongé par terre, inconscient.
Sa bouche était sèche, sa respiration faible. Il avait bien maigri depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vus à Terebell, et le loup devinait qu'il n'avait pas mangé depuis un petit bout de temps.
Mort d'inquiétude, Mïro donna des coups de museau dans les côtes, lui lécha le visage pour le réveiller, sans succès. A contrecœur, il dût lui mordre la jambe ce qui lui déclencha enfin une réaction.
Le brun grogna et les traits de son visage se crispèrent de douleur. Il papillonna des yeux un moment avant de tourner la tête vers lui.
« Mïro, le reconnut-il dans sa tête en le regardant de ses yeux noisette voilés.
- Je suis là.
- Je te pensais mort...
- Je suis bien plus résistant que toi. Regarde-toi, tu me fais honte père ! »
Jungkook grogna, cracha de la poussière avant de ricaner faiblement.
« Je fais honte à tout le monde en ce moment, et si tu me laissais juste partir pour de bon ? »
Le loup mordit violement son bras en grognant :
« J'ai déjà un papa mélodramatique, pas besoin d'un deuxième. Debout !
- Ton autre père nous a abandonné. »
Le loup sembla lui jeter un regard sévère qui perturbait le jeune homme, peu habitué à ce genre de regard venant d'un animal.
« Non. Il s'est sacrifié à cause de la destinée qui lui a été dictée par sa famille.
- Il a choisi la voie de l'égoïsme.
- Ce n'est pas vrai, papa n'est pas comme ça ! »
Le jeune homme était déboussolé d'avoir cette conversation avec l'animal. Il ne comprenait pas pourquoi après tant d'années il venait le retrouver et défendre Taehyung.
« Je l'ai vu tu sais, papa... »
Le jeune, mais très grand, loup blanc se coucha à ses côtés avant de poursuivre :
« Je l'ai rejoint lors d'une de ses épreuves.
- Comment ?, hoqueta le brun.
- Je ne sais pas, c'était comme un rêve, mais il avait quand même son odeur. Le pauvre, il n'allait pas bien quand je l'ai secouru. Un peu comme toi en ce moment. Tu empestes le désespoir et l'amertume.
- Et toi le chien. »
La bête gloussa étrangement dans leur conversation mentale.
« J'ai cru entendre le même commentaire dans la tête de Yoongi. Te rappelles-tu lui ? »
Jungkook fouilla sa mémoire avant de se rappeler ce jeune homme à la chevelure blanche, très proche de son meilleur ami la dernière fois qu'il l'avait vu, mais aussi de Taehyung. Cela avait d'ailleurs eu le don de l'énerver à maintes reprises et son compagnon avait mis du temps avant d'enfin comprendre qu'il était jaloux, bien que Jungkook n'assumait pas encore véritablement ce trait de caractère.
« Je vois que son nom t'évoque des émotions hautes en couleur, commenta le jeune loup.
- C'est bon je me souviens de lui.
- Je vois ça.
- Quand l'as-tu vu ?
- Il y a quelques jours, je l'ai abandonné quand je t'ai senti.
- Je suis flatté, ricana le brun.
- Il n'allait pas bien ! », protesta Mïro en sortant ses dents.
Jungkook, toujours allongé, haussa les épaules. Qui pouvait prétendre aller bien en ces temps troubles ? Il avait du mal à éprouver de la compassion envers l'autre jeune homme.
« Ce n'est pas à cause de lui, c'est Jimin, ajouta sévèrement le loup.
- Jimin ?! »
Il se redressa soudainement, faisant grogner l'animal.
« Une question à la fois, tu me fais mal à la tête. Non il ne va pas bien. Parce qu'il a perdu Lenka. Non elle n'est pas morte. Non je ne sais pas pourquoi elle est partie. D'après ce que j'ai vu c'était en même temps que l'épreuve de papa. Non je ne l'ai pas vu. Oui je l'ai aidé comme j'ai pu. Oui maintenant il va mieux et il va retourner le voir. Oui tu es un crétin. »
Jungkook fronça les sourcils.
« Effectivement cette remarque n'était pas une réponse à une de tes questions. »
Le jeune homme soupira, une vague de remords lui donnant le tournis. La nuit où il était parti avec Taehyung il avait pensé que tout irait bien avec Yoongi, qu'ils continueraient leur vie ensemble. Mais jamais il n'aurait pensé qu'il ait subi le départ de sa protégée. De sa fille. Il allait continuer dans ses pensées obscures emplies de regrets quand un coup de museau le fit réagir.
« Allez, monte sur mon dos au lieu de geindre. Il faut que tu boives.
- Où comptes-tu m'emmener ?
- Où tu veux, mais j'aimerais voir papa.
- Il est parti avec le lézard qui a détruit Stäfa, je ne suis pas sûr qu'il serait content de nous retrouver. Il a changé, d'une manière que je ne comprends pas.
- C'est toi que je ne comprends pas là, bien sûr qu'il sera content de nous revoir !
- Vas-y si tu veux, grogna Jungkook. J'en ai marre d'être un parasite pour lui. »
La voix du jeune homme avait tremblé, ce qui alerta le loup qui lui lécha la joue.
« Voyons papa tu n'es pas un parasite ! Il t'aime tu sais, et moi aussi je t'aime ! Il a dû avoir un problème, on doit l'aider ! »
Les yeux secs de Jungkook ne pouvaient pas pleurer, alors à la place il serra doucement la patte blanche de Mïro, s'étonnant toujours de l'incroyable douceur de son pelage épais.
« Tu m'as manqué mon loulou.
- Ne m'appelle pas comme ça. »
Le brun esquissa un faible sourire, avant que ses yeux noisette ne se voilent de nouveau :
« Mais je ne veux pas le voir. Il a trop souvent fait ce qu'il voulait. J'ai laissé ma maison, mon père qui est la seule famille qui me reste vraiment, je lui ai donné ma vie... Et lui que m'a-t-il donné ? Pourquoi est-ce que ça devrait être encore à moi de le chercher encore ?
- Parce que tu es son gardien.
- Je ne le suis plus.
- Bien sûr que si, tu portes sa marque. »
Jungkook tiqua.
« Quelle marque ?
- La sienne, elle est toute fraîche mais je la sens. On la distingue à peine à cause de l'odeur immonde de l'aigreur que tu dégages mais elle est bien là. Il t'a marqué. »
Le brun, déjà dans les vapes à cause de la faim et de la soif de ces derniers jours, avait encore plus de mal à comprendre de quoi Mïro voulait parler. Qu'est-ce qui pourrait ressembler à une marque de Taehyung ? Mais il fit brutalement le rapprochement avec le fait qu'Aegnor n'ait pas tenté de le tuer. Était-ce vraiment possible qu'il y ait un lien ?
Une vague d'espoir et de colère envers lui-même l'envahit. Cela faisait plusieurs jours qu'ils s'étaient séparés, et il n'avait aucune idée d'où était parti.
« Vous compliquez toujours tout » soupira le loup.
Jungkook n'eut pas le cœur à le contredire.
« Commençons par retrouver le fruit de son sacrifice... Quel mauvais père fait-il !
- Il a la qualité de bien s'entourer, je pense qu'il est en sécurité.
- Espérons... »
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Les cloches qui sonnaient l'alarme mettaient en alerte toute la cité. Des enfants pleuraient dans les bras de leurs parents qui quant à eux peinaient à garder un visage rassurant. Une jeune fille à la chevelure dorée appelait son chat avec détresse, voulant lui faire éviter le pire. Certains hommes portaient sur le dos les anciens trop fragiles pour courir. Des centaines de personnes accouraient vers la Tour Blanche, y cherchant la protection de leur seigneur qui était pourtant absent de la forteresse.
Jamais les cloches n'avaient sonné à Terebell depuis près de 250 années, la cité était imprenable.
Pourtant, une forte odeur de brûlé envahissait les rues, et d'épaisses fumées grises et noires masquaient les corps touchés par le feu, parfois mutilés qui cherchaient tant bien que mal à escalader les marches conduisant à la tour. Les maisons flambaient par dizaines, et s'écroulaient parfois sur leur chemin.
L'ombre était partie une demi-heure plus tôt mais son impact ne faisait que commencer.
L'homme que les citadins cherchaient avec détresse se trouvait quant à lui parmi eux, plus précisément dans une des écoles de la cité, dédiée aux plus petits. Portant une fillette d'à peine cinq ans sur ses épaules, il tenait la main des enfants pour les guider vers une trappe de secours. L'enseignante l'aidait à les faire évacuer au plus vite, essayant de chasser la fumée. Peu rassurés à l'idée de s'enfermer dans un souterrain, le seigneur Oh descendit avec eux, faisant briller une multitude de petites lumières multicolores qui émerveillaient les enfants malgré l'horreur de la situation.
« Vous êtes courageux, n'ayez pas peur », les encouragea-t-il en tenant toujours leurs petites mains.
Le seigneur Oh n'avait pas hésité à quitter au plus vite la Tour quand il avait vu l'ombre revenir. Il avait déjà donné ses ordres à la Tour, ils savaient quoi faire. Ce qui lui importait le plus était d'aller s'assurer que les enfants allaient bien. Bien sûr, tous les enfants de la ville n'étaient pas là mais c'était déjà ça.
L'avenir, toujours assurer l'avenir.
Il avait créé une muraille impénétrable pour prospérer et pourtant cela faisait trois fois que Terebell se faisait attaquer depuis le retour des dragons. Dès la première attaque il avait dû développer son réseau de souterrains pour assurer l'évacuation de tous les habitants en choisissant une multitude de sorties sûres. Celle des écoles menaient à l'issue la plus sûre de toutes, mais aussi la plus secrète.
Il avait construit un navire d'une taille modeste, mais permettant d'accueillir des dizaines de réfugiés, avec notamment un garde-manger d'aliments non-périssables, ainsi qu'une salle de classe. Terebell était une ville portuaire, mais ce bateau n'était pas attenant à la mer. Il se trouvait dans une galerie très haute sous-terraine qui longeait le pourtour des côtes, suffisamment dans les terres pour résister à l'érosion ou à d'éventuels boulets de canon mais guidé par un système de courant généré par les cascades de la cité. Cela avait pris une bonne trentaine d'années de travaux au père de Sehun, ainsi qu'une fortune incommensurable, mais c'était également un des meilleurs secrets gardés de Terebell auprès des étrangers. La sortie de ce chemin à sens unique se trouvait à une bonne vingtaine de kilomètres de la cité, une sortie qui permettait de rejoindre cette fois-ci la mer sans que le bateau ne soit forcément assimilé à Terebell. Le navire avait l'aspect extérieur d'un bateau de marchandises, neutre à souhait. Pourtant, il était chargé également d'une bonne quantité de canons. Le père du seigneur Oh n'avait jamais été dans la mesure quand il s'agissait de défendre les jeunes générations, ou même dans tout ce qui concernait de près ou de loin la défense de la cité, un trait de caractère dont avait hérité Sehun.
Celui-ci les accompagna jusqu'au quai sombre, et déploya encore une multitude de lumières multicolores avant de leur annoncer avec douceur :
« Vous continuerez votre cours ici. Je reviendrais vous chercher tout à l'heure, je dois maintenant retourner aider vos parents. Taemin viendra à ma place si je ne pourrais pas le faire. En attendant soyez sages et écoutez bien Mademoiselle Su, d'accord ? N'oubliez jamais que vos parents sont fiers de vous tout comme je le suis, vous êtes forts mes enfants. Travaillez bien et à tout à l'heure ! »
La fillette qu'il avait portée plus tôt lui serra la taille en pleurant, peu rassurée. Le seigneur Oh la reconnut sans mal, il s'agissait d'une orpheline à qui il avait autorisé l'accès à ses jardins pour qu'elle vienne jouer avec un des chiens du château. Elle lui avait confié un jour qu'elle voulait apprendre à soigner les animaux alors quelques jours plus tard il était venu rendre visite à sa famille adoptive et lui avait offert un livre de médecine. Depuis ce jour, la jeune fille avait une confiance presqu'aveugle envers son seigneur, ainsi qu'une affection qui se rapprochait de celle qu'elle avait envers son père adoptif.
« Vous reviendrez, pas vrai ? », renifla-t-elle.
Les autres enfants semblaient surpris de son audace mais en même temps impressionnés. Aucun n'osait pleurer face au seigneur de la Tour Blanche, réputé par les adultes comme étant sévère, mais ils furent bien plus étonnés de voir ce grand monsieur élégant sourire à la fillette.
« Tu n'es jamais seule, ne l'oublie pas. »
Il sortit son mouchoir blanc et essuya son visage sali par la fumée et trempé par ses larmes, tandis que la petite hochait la tête mécaniquement.
« Je ne serais pas là mais tu es forte, tu n'as pas besoin de moi. Aide tes camarades et apprends bien tes leçons. Quand je reviendrais, tu devras me montrer ce que tu as appris, d'accord ?
- Oui !
- Bien, garde-le. Tu me le rendras tout à l'heure.
- D'accord.
- Parfait. »
Il se redressa, regarda attentivement les petits qui retenaient visiblement leurs larmes de détresse. Il sentait sans mal la peur, une peur qu'il comprenait parfaitement. Les souterrains n'offraient pas un espace qu'on pouvait qualifier de chaleureux, et surtout ils étaient privés d'adultes pour les rassurer. Le seigneur Oh devait se dépêcher de retourner à la surface pour reprendre les commandements même si l'attaque semblait s'être arrêtée depuis un petit moment. Il craignait les représailles du dragon gigantesque qui était venu un peu plus tôt. Un dragon n'attaque jamais au hasard, et il ne savait pas s'il s'agissait d'un avertissement ou bel et bien d'un début d'assaut. Si c'était le cas, alors il aurait malheureusement peu de chance de s'en sortir vivant, il était bien trop faible.
Toutefois, le seigneur Oh n'était sûrement pas quelqu'un de résigné, il se battrait jusqu'à son dernier souffle. Il contempla alors chaque visage se présentant à lui, voulant se mémoriser chacun d'entre eux avant de partir. Il ne voulait pas communiquer sa peur, juste l'espoir, l'espoir que tout irait bien et qu'ils étaient en sécurité. Presqu'égoïstement, il se mit accroupi à leur hauteur.
« Venez », leur dit-il alors en ouvrant largement les bras.
Les enfants se regardèrent, peu sûrs de la bonne conduite à adopter, avant qu'un petit garçon ne vienne franchir cette limite et aille se réfugier dans les bras fins du seigneur Oh. En quelques secondes, tous l'avaient rejoint sous le regard nerveux de l'enseignante qui regardait parfois au-dessus d'eux en se triturant les mains. Le seigneur comprit sa détresse et, après une bonne minute d'étreinte rassurante, se releva et s'engagea vers le souterrain qu'il avait quitté un peu plus tôt. Il posa la main sur l'épaule de Mademoiselle Su et lui souffla :
« Vous avez l'avenir de Terebell avec vous, vous détenez la tâche la plus noble à faire en ces temps troubles. Je n'ai aucun doute en vos capacités, Mademoiselle Su, mais je vous demanderais d'être forte vous aussi. »
La jeune femme hocha la tête en essayant de masquer son anxiété. Il se rapprocha alors encore d'elle pour lui murmurer :
« Si Taemin vient seul, alors c'est que vous devrez partir. Vous ne devrez suivre que lui et ne jamais regarder en arrière. Vous continuerez vos leçons. Vous devrez écouter le capitaine peu importe où il vous emmènera. Je ne suis pas capitaine de ce navire, je suis le capitaine de Terebell. Si la cité coule, alors je serais le dernier à me battre pour elle.
Si vous partez, cela voudra dire que la cité est perdue.
Si vous partez, Mademoiselle Su, je serais mort. »
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