Le plat pourri
508, 517 et 601 travaillaient sur la même parcelle de culture.
Ils s'occupaient de faire pousser de drôles de légumes. Entre eux, ils les nommaient les "bouches", à cause de la fâcheuse tendance des plantes à leur mordre les doigts dès qu'ils les approchaient de trop près. Des petites dents, situées sur le haut de leurs têtes, provoquaient les morsures. Certains gamins ressentaient des vertiges après la piqûre. En revanche aucun n'en mourrait.
Les trois enfants, plus âgés que les autres, s'occupaient d'encadrer les plus jeunes. Ils avaient une tranche allant du N°301 à N°401. La plus habile pour diriger le groupe demeurait 508. Contrairement à 517 et 601, elle parvenait à garder son sang-froid face à un gamin en pleure. Ils lui reconnaissaient un certain don, mais ils se gardaient de lui avouer.
Les deux garçons n'osaient pas la complimenter à cause leur différence de sexe. Elle les impressionnait plus qu'ils ne l'imaginaient. La jeune fille les surpassait dans plusieurs domaines, comme la course, l'escalade et le combat. Combien de fois 601 se retrouva à terre suite à une boutade trop forcé ? Lui, qui adorait larguer des phrases cyniques à tout bout de champs, il se modérait en sa présence. Au plus grand soulagement de tous. Cependant, depuis un certains temps, 508 ne le confrontait plus. Elle paraissait avoir l'esprit ailleurs, ou se concentrer plus sur sa corvée.
Comme la saison des récoltes arrivées, le Directeur redoublait de vigilance. La période représentait aussi une large époque de famine. Chasser les mulots, ou insectes dans les champs, devenait presque impossible sans se faire prendre. Heureusement pour 517, les nuisibles adoraient l'humidité. Il profitait en cherchant de l'eau au grand puits pour se faire les poches de jolis cloportes ou blattes.
Les gamins se retrouvaient à la fin de leur travail, dans un recoin de la ferme, pour échanger leurs trouvailles.
« Cinq et toi ?, décompta-t-il à 601. »
— Que deux, répondit-il déçu en révélant les mille pattes. »
Ils se tournèrent en direction de 508 qui affichait déjà un sourire victorieux.
« Deux scarabées et un mulot, se venta-t-elle en balançant le rougeur par la queue.
— Trop forte !, s'exclamèrent à l'unisson les garçons. »
Depuis quand se connaissaient-ils ? Ils l'ignoraient.
Pourtant, leur amitié sonnait comme une évidence. 517 ne ressentait pas une telle affinité avec les autres résidents de la ferme. Il s'amusait souvent à penser qu'il les connaissait d'une autre vie, beaucoup plus douce et tranquille que celle-ci.
Suite à leur courte pause, une cloche tinta dans tout le domaine. Le son annonçait le dîner. Les enfants maigres se dirigèrent automatiquement vers le réfectoire. Dans le silence, ils formèrent un long rang de petits corps affamés. Tour à tour, ils prirent un plateau avec la nourriture maudite, puis s'installèrent aux tables. Une fois assis, tout le monde se scrutait. On cherchait du regard celui ou celle qui se jetterait sur son plat en désespoir de cause. On déterminait aussi qui serait susceptible de céder au prochain repas.
Aujourd'hui, ce fut 504 qui craqua.
Elle engloutit la bouilli avec rage, après quatre jours de jeûne, sous le regard peiné de ses camarades. La nourriture déborda de sa bouche jusqu'à tacher ses vêtements. 502, qui suivait le spectacle en première place, rejoignit le mouvement et avala son assiette.
508 détourna la tête.
Il n'était pas rare que les aînés se risquent à manger au réfectoire. À quoi bon... à quoi bon résister à l'appel de sa faim, quant on se prépare à bientôt disparaître ?
Le rire perçant du Directeur traversa la pièce.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro