Magie
Je n'ai pas peur aujourd'hui de dire que je suis une sorcière. Pas dans le sens où on l'entend habituellement, cela dit. La sorcière d'aujourd'hui, ce n'est plus cette vieille femme horrible, épouse de Satan, qui danse aux solstices avec les démons et autres satyres au fond des forêts. La sorcière d'aujourd'hui, c'est une femme un peu marginale, qui aime les tatouages, qui écoute du métal et qui tape sur un bol tibétain en brûlant des encens. Néanmoins, je ne suis ni l'une, ni l'autre. Je suis tout à fait normale. Mon balai ne m’attend pas sagement dans mon placard pour que je daigne venir le chevaucher, et m'envoler au-dessus des toits. Je suis une personne banale, qui pratique la magie.
Magie noire, magie blanche, ça n'a pas vraiment de sens pour moi. La magie n'a de blanc ou de noir que les intentions qu'on met derrière, et je tâche toujours de rester neutre. J'ai pourtant une certaine part de noirceur qui me hante.
Quand j'étais encore petite, mes parents se sont séparés. Ma mère n'a pas obtenu ma garde, elle n'a rien fait pour. Je suis donc allée vivre avec mon père et sa copine de l'époque, Marie, qui est devenue ma belle-mère par la force des choses. J'avais du mal avec elle, au début. J'étais une petite fille qui était persuadée que sa mère l'aimait : je n'avais pas besoin d'en avoir une deuxième que je connaissais à peine. On se disputait souvent, mon père tentant à chaque fois de nous raisonner.
Puis j'ai grandi, et nos rapports se sont apaisés.
J'avais neuf ans quand ça a vraiment commencé à coller entre elle et moi. Quand mon père était au travail, on allait souvent se promener en forêt. Marie me laissait batifoler sur le vieux pont en bois au-dessus de la rivière. Si mon père l'avait su, il nous aurait passé un sacré savon. Il ne voulait pas que j'y joue car les planches étaient fragiles et vermoulues. Pourtant, j'adorais ce lieu. Marie l'avait compris, et c'était notre endroit secret, en quelque sorte.
Marie était versée dans l'ésotérisme, et je pense que c'est à grâce à elle que je m'y suis intéressée à mon tour. Quand mon père terminait de lire mon histoire du soir, juste avant de me coucher, Marie venait déposer une pièce d'argent dans un verre d'eau qu'elle posait ensuite sur ma table de nuit, pour éloigner la malchance et attirer le bonheur. Ça me rassurait énormément de savoir que quelqu'un veillait sur moi lorsque je dormais.
Le jour de ma rentrée en CM2, j'ai trébuché et je suis tombée en bas des escaliers qui menaient à la cantine. Je n'ai eu qu'un poignet foulé, mais cette chute m'a profondément marquée. Je ne voulais plus aller à l'école et j'ai commencé à avoir le vertige dès que je me trouvais un peu en hauteur. Marie tentait tant bien que mal de me rassurer, mais elle n'y arrivait pas. Alors elle a tenté autre chose. Elle m'a dit que si elle ne pouvait pas me faire me sentir mieux, c'est la magie qui s'en chargerait.
Elle a continué de déposer un verre contenant une pièce sur ma table de nuit, mais elle l’accompagnait à présent d'un petit accessoire. Un sac de jute, pas plus gros qu'une bourse, dans lequel elle avait placé un morceau d'écorce de bois et l'une de mes poupées miniatures. Elle le glissait ensuite sous mon lit. Elle me disait de penser fort au bonheur, à la chance, au soleil, à un tas d'images plaisantes. Ce que je faisais. Et ça marchait.
Je suis retournée à l'école, gonflée à bloc. Tout se passait bien. Nous étions très heureux et je pense que c'était l'une des meilleures périodes de ma vie. Quand je suis devenue une adolescente, je me suis un peu détachée de Marie. Elle ne m'emmenait plus jouer sur le petit pont, cela va de soi. Mais nos rapports n'étaient pas non plus au point mort. On s'entendait toujours bien et on regardait souvent des films ensemble. Elle ne déposait plus le verre d'eau sur ma table de nuit mais s'arrangeait toujours pour glisser le petit sac dessous, quand elle faisait ma chambre. C'était devenu habituel pour moi et même si je n'y croyais plus vraiment, ça lui faisait plaisir que je fasse semblant.
A dix-neuf ans, j'ai quitté la maison pour aller à l'université. J'ai rencontré pas mal de gens, et même si j'ai passé un mois à l'hôpital après un accident de voiture pendant ma première année, c'était vraiment cool de se sentir autonome. C'est à cette époque-là que j'ai commencé à m'intéresser de près à la magie. J'ai lu beaucoup d'ouvrages ésotériques, appris énormément de choses et, à la fin de ma seconde année, je pratiquais des soins énergétiques sur mes colocataires. J'ai rencontré Alex, qui est devenu mon petit ami par la suite. J'étais raide dingue de lui. Il était beau, intelligent, un poil trop beau parleur mais au fond, c'était quelqu'un de plutôt timide. Je trouvais ça très attirant. Les autres filles aussi.
Mélanie, la pouffiasse – pardonnez-moi du terme – du deuxième étage a commencé à le draguer plutôt lourdement pendant une soirée étudiante fin juin 2014. Je n'étais pas là, j'avais chopé une grippe carabinée et j'étais clouée au lit avec au moins 40°C de fièvre. Mes amies m'avaient assuré qu'il avait repoussé ses avances à de multiples reprises, mais étant maladivement jalouse, un doute persistait toujours en moi. A raison, puisque deux semaines plus tard j’ai découvert – en fouillant honteusement le téléphone d'Alex – qu'ils s'étaient revus en secret.
J'ai rompu avec lui même si ça me brisait le cœur. Mais j'avais une telle colère en moi, une telle envie de vengeance envers cette Mélanie, que je ne pouvais pas faire comme si de rien n’était. J'ai alors eu l'idée de lui pourrir la vie. J'ai envisagé de nombreuses choses. Lui envoyer des colis contenant des choses atroces, demander à quelques amis éloignés de lui crever les pneus ou mieux encore, les yeux, mais ce n'était pas assez. Ma colère ne pouvait être calmée que par sa mort. Si vous trouvez ça un peu disproportionné, c'est que vous n'avez jamais connu la douleur d’avoir été trompée par l'homme que vous aimiez.
Bien sûr, je ne pouvais pas frapper à sa porte et lui tirer une balle en plein crâne. J'en aurais été bien incapable. J'étais en revanche capable de lui faire du mal à un autre niveau. Un niveau plus « spirituel ». J'ai donc ressorti mes ouvrages d'ésotérisme, et notamment un qui parlait de magie noire. Il y avait un rituel qui consistait à placer une mèche de ses cheveux dans un bocal avec de l'urine. Ça devait attirer la maladie sur elle. Mais la maladie, c'était encore trop clément. J'ai donc cherché quelque chose de plus… noir.
Je suis tombée sur un rituel censé provoquer la mort de quelqu'un. La cause de la mort était incertaine, et la létalité du sort non garantie, mais ça valait le coup d'essayer. C'est en le lisant que je me suis rendue compte de toute l'horreur de la situation dans laquelle je me trouvais, sans en avoir conscience.
Pour que Mélanie trouve la mort, je devais me procurer un objet lui appartenant ainsi qu'un morceau de bois. Mettre le tout dans un petit sac. Et le glisser sous son lit.
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