chapitre 3
- Comment tu t'appelles ?
- Qu'est-ce que ça peut te faire ? grogne-t-il en soupirant.
Je m'assois sur le lit vide de Yoko, face au blond. Ce garçon n'est pas très facile à comprendre.
- Jaya, lâché-je, pour me présenter.
- Je sais, le nombre de fois où Yoko me parle toi, grimace-t-il doucement, et je me demande soudain combien de fois mon frère lui a parlé de moi.
- Et toi ? retenté-je, d'un ton calme.
- Mais pourquoi tu veux absolument connaître mon putain de nom ? C'est quoi ton problème, à la fin ? T'as pitié de moi ? Tu vas me harceler ?
Je ne connais même pas l'origine de cette envie qui me pousse à vouloir le voir sourire, par quoi aurais-je pu lui répondre ?
- Tu... commencé-je. Je sais pas, répondis-je finalement.
Son regard froncé me fusille, et je remarque que je l'ai blessé.
- Ce n'est pas ça, c'est juste que... j'ai envie de voir que tu ailles bien. Je sais pas pourquoi c'est tombé sur toi, déclaré-je.
- Je te l'ai déjà dit. Personne ne peut m'aider. J'ai envie de crever, murmure-t-il si bas que je peine à l'entendre.
Mes yeux s'écarquillent lorsque ses derniers mots me montent au cerveau.
- Quoi ? chuchoté-je, ébahi, en me rapprochant de lui.
Il regarde dans la direction opposée où je suis. Quand je me pose sur son lit, à côté de lui, il quitte ses draps.
- Rien. Laisse-moi.
Je secoue la tête.
- Pourquoi ? le questionné-je, en me mordant la lèvre supérieure.
- Toi, pourquoi tu veux savoir ça ?
Pourquoi ne se laisse-t-il pas aider ? Pourquoi refuse-t-il toute aide extérieure ? Lui a-t-on fait du mal dans le passé, et peut-être encore aujourd'hui ?
- Laisse-moi t'aider. S'il te plaît, insisté-je, sans toutefois répondre à sa question.
Un rire étouffé lui échappe, et il se retourne vers moi. Ses paupières gonflées, ses cernes noires et ses yeux rougis me rappellent à quel point il est fatigué.
- Je ne veux pas être aidé. Laisse-moi mourir en paix. J'ai rendez-vous. Adieu, Jaya, ajoute-t-il, avant de sortir de la pièce, à l'aide de ses béquilles.
Quoi qu'il m'en coûte, j'aiderai ce blondinet. C'est difficile de voir quelqu'un aussi mal, et encore plus lorsque l'on voit cette personne quasiment tous les jours. Malgré moi, le sentiment d'attachement est plus présent, et je sais très bien que si cela continue à ce rythme, il va falloir que le blond me dise vraiment ce qu'il veut.
- Jaya ? Tu fais quoi sur le lit d'Elyo ?
Mon cœur bondit à l'entente de cette voix, qui n'est autre que celle de mon petit frère.
- Elyo ? répété-je, ahuri, presque stupéfait de découvrir enfin son prénom.
Yoko fronce les sourcils, et me regarde avec un brin d'incompréhension.
- Tu le connais ou pas, ce mec ? me demande-t-il.
Je l'aide à sortir de son fauteuil roulant, tout en réfléchissant à ce que je pourrais lui dire.
- Et toi ? Tu le connais bien ? lui retourné-je la question.
- Non, on parle juste parfois. Mais je sais pas pourquoi il est là. Il veut pas me dire, je crois. Il en a peut-être honte. Enfin, j'en sais rien. Je l'ai croisé dans le couloir tout de suite. Il avait l'air remonté. Tu lui as parlé ?
- Vite-fait. Il est difficile à cerner, lui lancé-je en faisant la moue.
- Ouais, à mon avis, te prends pas trop la tête, il a l'air un peu trop têtu pour toi, rigole Yoko, et je lui balance une légère claque sur le front.
- Ça va toi ?
- La forme ! s'exclame-t-il. Et toi, marmotte ?
Un sourire se place sur mes lèvres quand j'entends ce surnom.
- La marmotte va toujours bien ! m'écrié-je. Et elle doit aller Moran. Je te laisse, frérot, j'ai du boulot. Repose-toi bien !
Une fois la porte fermée, je sens mes yeux me piquer. Pourquoi ai-je l'impression que ma vie est en train de me lâcher ? Soudain mal à l'aise, mes pas me guident lentement vers la salle où j'avais suivi Elyo la dernière fois. Une gifle mentale me réveille brusquement. Le blond m'a menti, comment n'ai-je pas pu le voir avant ?
Mes jambes s'activent plus rapidement, l'adrénaline qui se glisse dans mes veines manque de me faire chuter plusieurs fois. Je suis dans la pièce et je me retourne.
Les pleurs silencieux d'Elyo me font mal, ils me transperçent, m'attaquent de tous les côtés, et un fil me retient en me hurlant de l'aider. Je l'encercle de mes bras, et à ma grande surprise, il ne me repousse pas, et se fond contre mon torse.
- Ne me laisse pas, je t'en supplie, souffle-t-il entre deux sanglots.
Mes yeux s'agrandissent. À quel point se sent-il mal ? Une de ses béquilles s'affale au sol dans un bruit fracassant.
- Elyo ? l'appelé-je doucement.
- Quoi ?
- Je sais que ça doit pas être facile, mais je suis là, okay ? Je sais pas ce que t'as vécu, mais je te laisserai pas tomber, murmuré-je contre son oreille.
Un frisson d'horreur me parcourt lorsque je l'imagine mort. Est-ce possible de s'attacher si facilement à quelqu'un qu'on connaît à peine ?
Son corps se secoue de moins en moins, et j'en déduis qu'il s'est calmé un peu.
- J'ai fait une tentative de suicide.
Je me fige contre lui, ses mains s'accrochent à mon tee-shirt.
- Y'avait plus rien qui me retenait. La mort, elle m'a frôlée, et c'était flippant, ouais. J'en avais vraiment envie, Jaya.
Mes lèvres s'ouvrent, comme pour lui répondre, mais aucun mot ne franchit la barrière.
- Enfin bref, ce n'est pas grave. C'est pas la première, et sûrement pas la dernière. J'arrive plus à vivre ici, j'étouffe. La vie m'a arrachée trop de personnes à qui je tenais. Je veux plus m'attacher.
- Je te lâcherai pas, Elyo. Je t'en fais la promesse. Tu seras de nouveau heureux, tu le mérites, comme n'importe qui. Si t'es encore vivant, c'est que la mort a pas voulu de toi. Alors, laisse-toi porter par la vie, et tu retrouveras vite des personnes en qui avoir confiance. Et tu les perdras pas, murmuré-je à nouveau.
Un sentiment d'attachement fait soudain surface, et je me rends compte que je me suis accroché à lui bien plus que je ne le pensais. Je le sers un peu plus fort contre moi, pour me rassurer, me dire qu'il est encore vivant, que je peux toujours l'aider, et que je le lâcherais jamais.
- Pleure pas. Tu sais, mon meilleur ami me disait souvent qu'on a pas le temps dans une vie pour être malheureux, elle est trop courte pour ça, et je me dis qu'il avait raison. Sois pas triste, pense à l'avenir, au chemin que tu as encore à faire devant toi, parce que le passé est passé, quoi que tu fasses tu peux pas retourner en arrière, alors que ton futur, tu peux le façonner à ta guise. Et-
Deux doigts se posent sur mes lèvres, que je referme aussitôt.
- Ne parle plus.
Je retiens ma respiration quand ses doigts descendent le long de mon menton, et finissent contre ma pomme d'Adam. Je comprends bien assez rapidement que quelqu'un se tient devant la porte de la salle dans laquelle nous n'y sommes pas autorisés.
Elyo se recule, et dans la faible lumière qui traverse les rideaux de métal de la pièce, je peux apercevoir quelques traits de son visage. Inconsciemment, je souris. Il est magnifique. Les pulsations de mon cœur dans ma poitrine font rage et menacent d'exploser devant lui.
- Il est parti, je crois, souffle soudain le blond dans mes bras.
Je lâche un soupir qui ne passe pas inaperçu, et détends discrètement mes épaules.
- Pourquoi tu as voulu te suicider ? le questionné-je d'une traite, et je m'en veux sur le coup d'être aussi direct.
Il secoue la tête, se retire de mes bras, et me regarde de ses yeux tristes. Mon sentiment d'avoir fait une erreur grandit au fond de mon esprit.
- C'est pas ton problème, Jaya. Merci d'être là pour moi, mais je te demande pas non plus qu'on se dise tout, comme des personnes proches le font, parce que je te connais à peine. Et j'accorde pas ma confiance à n'importe qui, me lance-t-il, en quittant la pièce, presque en trébuchant.
Je passe une main sur mon front. Ce garçon menace de faire exploser mon cœur. Je me lève doucement, et quitte la pièce, en retenant mon début de colère de venir s'installer en moi. Pourquoi suis-je si nul avec lui ? Frustré, je marche d'un pas décidé à travers les couloirs de l'hôpital, que j'abandonne derrière moi quelques instants plus tard.
Le regard triste, la capuche enfoncée sur la tête, et les écouteurs plantés dans mes oreilles, je prends le bus qui me mène chez mon meilleur ami. Les nuages passent au fil des routes que l'engin prend, et je regrette de ne pas pouvoir être assez présent pour Elyo. Je me demande à quelle échelle peut-il souffrir, mais jamais je ne lâcherai l'affaire.
Moran m'attend, quand je pénètre dans son appartement.
- Yo, mec ! J'ai tout préparé, on a plus qu'à décorer, me lance-t-il, en souriant exagérément.
- Okay, cool. Et le gâteau, on le fait ou on le prend en boulangerie ? demandé-je.
Lorsque je vois sa main se plaquer sur sa bouche, je comprends bien assez vite qu'il n'y a pas pensé une seule seconde.
- Merde ! s'exclame-t-il en agrandissant les yeux. J'ai complètement oublié !
Je lâche un petit rire, non-surpris par ce petit oubli.
- C'est rien. Je peux y aller en fin d'après-midi si ça t'arrange et je passe te l'apporter juste après, proposé-je.
- Ouais, OK, merci mec, tu me sauves la vie.
Ma main claque sur son épaule musclée par des heures de musculation en salle en guise d'accord. Nous passons une bonne partie de l'après-midi à accrocher ballons, photos de notre amie, pancartes d'anniversaire, tout en mangeant des biscuits par-ci, par-là. Et je me décide à parler.
- Moran ? appelé-je mon ami.
- Ouais ?
- J'ai rencontré un mec.
Je l'entends se retourner brusquement vers moi, faisant tomber les objets autour de lui.
- Et donc tu me balances ça comme ça ? T'en as parlé à Staly ?
- Non, pas encore. C'est un peu nouveau pour moi, rié-je nerveusement, en me tournant dos à lui.
- Et ? Il est comment ?
Je baisse la tête, ferme les yeux quelques secondes.
- Jaya ?
Quand je sens que ça ne va pas le faire, je quitte la pièce, et me réfugie dans les étoiles. Ma main a une envie folle de frapper dans quelque chose. Je ramène mes cheveux en arrière, et appuie mon front contre la porte. Quelque chose me dit que Moran n'est pas loin.
- Jaya, ouvre-moi. Je suis là.
Mes doigts glissent sur la poignée, déclenchent la porte, et mes yeux croisent les siens.
- Ça va pas ? me demande-t-il.
Je hoche la tête, lui faisant signe que oui, et nous allons nous asseoir dans son sofa.
- Il est suicidaire, réussis-je à articuler.
Moran baisse la tête, et entrecroise ses phalanges les unes dans les autres.
- Sans vouloir te vexer, je ne pense pas que ce soit une très bonne idée de t'engager là-dedans. Tu sais, t'es quelqu'un de plutôt heureux dans la vie, alors le problème c'est pas que tu veuilles aider un autre, mais surtout que tu devines comme moi que ça va bien de trop t'affecter.
Il a raison, mais ce blond, je suis beaucoup trop attaché à lui, et aujourd'hui, ça me ferait plus de mal de me détacher de lui, que de continuer à être là pour lui.
- Je sais. Mais j'ai envie de l'aider, je sais pas pourquoi mais y'a un truc qui me pousse à vouloir le voir aller mieux. C'est pas très explicable, je l'avoue, mais je veux me perdre avec lui, je veux partir loin avec lui et réaliser tous ses rêves parce que je sais qu'il le mérite, comme n'importe qui, et il a pas envie de crever sans raison, tu vois même s'il me le dit pas, murmuré-je.
- Wow, toi t'es bien amoché, me dit-il en me regardant avec des yeux énormes.
Je fronce les sourcils.
- De quoi ?
Son regard se détourne de moi, et il soupire brusquement.
- C'est la première fois que je te vois tomber complètement amoureux de quelqu'un.
Je frappe du plat de ma paume la surface de ma cuisse, et m'exclame :
- Bon, on continue de décorer ?
- Ouais ! Et la conversation n'est pas terminée, mec, m'avertit-il.
Après quelques heures plus tard passées à discuter de tout et de rien, et l'appartement bien chargé, je me dépêche de fuir de cet endroit pour aller trouver un gâteau. Deux rues plus loin, je tombe sur une boulangerie, et y pénètre. Ce que je vois me fige sur place.
J'entends une voix que je reconnaîtrais parmi des milliards, je reconnais une silhouette qui ne passe pas inaperçue, et surtout je me noie dans ces yeux absolument magnifiques. Il me faut alors quelques minutes pour que je décide de bouger à nouveau.
- Bonjour, lâché-je sans vraiment y faire attention.
Les personnes devant moi ne me remarquent pas, enfin je ne crois pas, et je me retiens de les dégager de mon chemin pour pouvoir avoir accès à la personne devant moi qui me tape dans l'œil. Mes yeux louchent sur les gâteaux à côté de moi, mais aucun ne m'attire plus que ça, alors je choisis au hasard dans ma tête.
Quand je l'observe quitter la boulangerie, mes jambes ne tiennent plus en place, et je n'ai qu'une envie : sortir de cette pièce aux jolies odeurs et le poursuivre.
- Monsieur ?
- Excusez-moi ! m'écrié-je violemment, en m'expulsant de mes pensées. J'aimerai ce gâteau, s'il vous plaît.
La boulangère l'emballe dans une boîte, qu'elle me tend ensuite, puis elle me fait payer quelques euros. Je m'empresse de quitter la boulangerie, et cherche des yeux le corps qui ne quitte plus mes pensées. À ma grande surprise, ses fesses sont assises sur la pelouse en face du parking. Ses dents croquent un pain au chocolat, et je souris devant cette image.
Seulement, comment a-t-il pu sortir de l'hôpital ? Beaucoup de questions fusent dans ma tête, et au lieu de rester sans réponse, je m'avance vers lui, et m'assieds à côté de lui.
- Salut, Elyo. Tu vas bien ?
Ses pupilles plongent dans les miennes, et une fois de plus, j'y entre sans savoir nager. La panique s'y fait voir, et une de ses mains se pose sur ses béquilles.
- Qu'est-ce que tu fais là ? me chuchote-t-il, alarmé.
- Je te retourne la question, dis-je en regardant son pain au chocolat à moitié entamé.
J'aperçois une larme couler le long de sa joue, et je me dis que quelque chose ne va pas.
- J'ai quitté l'hôpital, lance-t-il, avant de pleurer sans retenu, et je l'attire dans mes bras.
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