chapitre 2
La journée suivante, après une bonne nuit de repos sans rêves, j'appelle ma meilleure amie depuis son nouveau numéro.
- Allô ? décroche-t-elle.
- C'est moi ! m'exclamé-je en riant.
- Jaya ! T'as eu mon numéro, cool ! T'as vu Moran ? me questionne-t-elle.
Je devine à travers le fil invisible qui relie nos voix qu'elle est inquiète.
- Non, pourquoi ? Il s'est passé quelque chose ? Vous vous êtes engueulés ?
C'est vrai, les embrouilles sans intérêt sont plutôt nombreuses. Quelque part, je me dis que ça nous permet de raccrocher nos liens d'amitié, mais parfois, j'ai peur que cela ne prenne trop d'envergure.
- Non, il ne répond pas à mes messages, coupe-t-elle mes pensées. Je suis passée chez lui, ses parents m'ont dit qu'il s'était absenté.
- C'est bizarre, répondis-je. Je vais regarder ça. Je te tiens au courant.
- Ok, merci.
Elle raccroche après m'avoir salué. Moran s'isole souvent lorsqu'il veut être seul ou quand il va mal. Il est parfois solitaire, mais la plupart du temps, il est avec nous. Ça ne m'étonne même pas qu'il ne réponde pas à Staly.
- Mon chéri ?
La voix de ma mère interrompt le fil de mon esprit.
- Oui, maman ? crié-je depuis mon lit.
- Tu ne devais pas aller voir Yoko ? On l'a vu tout à l'heure, il t'attend ! s'écrie-t-elle.
- J'y vais ! lancé-je en souriant.
Après avoir réussi à sortir de mon lit, j'attrape de quoi m'habiller, plante un baiser sur les joues de mes parents, et franchis la porte de ma maison. L'air frais me frappe le visage si fort que mon souffle se coupe brusquement. Je soupire et réajuste mon écharpe.
L'hôpital se présente bientôt devant mes yeux, et je grimpe rapidement jusqu'à la chambre vingt-huit du troisième étage. Mes doigts toquent à la porte, alors que je me faufile à l'intérieur de la pièce. Le lit de Yoko est vide. Un mauvais pressentiment m'envahit, et je commence à paniquer.
- Des médecins l'ont emmené, alors t'inquiète pas, lâche soudain une voix, me provoquant un sursaut.
Je me retourne brusquement. Il me semble que c'est le garçon qui partage la chambre d'hôpital de Yoko, puisqu'il est allongé dans l'autre lit. Ses cheveux blonds courts me choquent : je n'ai jamais vu un blond aussi marqué. Peut-être est-ce une couleur ?
Je crois que ce qui me marque le plus, ce sont les immenses cernes qui ornent ses yeux verts, bordés de mille cils. Une question s'invite dans mon esprit : se maquille-t-il ? Je fronce les sourcils. Impossible, cela paraît trop réel.
Mes yeux flottent sur son corps, placé au-dessus d'un drap. Un plâtre trône sur une de ses jambes. Sa paleur est effrayante, et je peux facilement en déduire qu'il est énormément fatigué. Sa joue droite est barrée d'une cicatrice rouge récente. Je me demande soudain ce qui a pu lui arriver.
- Merci, marmonné-je, gêné de me découvrir le regarder. Il... il va bien ? finis-je par le questionner.
Le colocataire de Yoko hoche la tête, avant de détacher son regard de mon corps, et plonge ses yeux dans son bouquin, dont je ne parviens pas à en déchiffrer le titre.
- Tu lui quoi ? ne puis-je m'empêcher de lui poser la question.
- Rien, laisse-tomber, grogne-t-il, sans me jeter un seul coup d'œil.
Je serre les dents. Qu'ai-je fait pour mériter cette méchanceté ? Piqué par la curiosité, je lui demande pourquoi il est là.
- Mais pour rien ! Laisse-moi, purée ! Tu vois pas que je suis occupé, là, non ?! s'écrie-t-il d'un coup.
- Excuse-moi, murmuré-je, ne comprenant pas vraiment la façon dont il me parle.
Je m'apprête à quitter la pièce, lorsque j'entends tout à coup sa voix m'appeler.
- Attends ! Je suis désolé, je... j'ai un peu de mal à communiquer.
Quand mon corps se tourne vers lui, je n'arrive pas à lire sur son visage s'il regrette réellement ou pas. Alors, j'aquiesce d'un mouvement de la tête, et fais demi-tour.
Dans le couloir, des infirmiers, des médecins, des chariots débarquent de partout, c'est la folie. Je réussis à trouver un chemin, et passe les portes de l'hôpital, en soufflant un bon coup.
À peine suis-je arrivé chez moi, que la voix de ma mère retentie dans toute la maison. J'étouffe un rire dans ma manche.
- Mon chéri, c'est toi ? crie-t-elle.
- Oui, maman, c'est moi ! Pas besoin d'hurler, ajouté-je pour moi, à voix basse.
Ma génitrice atterrit devant moi, je-ne-sais-comment, et me fait un grand sourire.
- Tu as pu voir ton frère ? m'interroge-t-elle.
Je lui explique alors que non, que j'ai croisé son colocataire de chambre, et qu'il n'a pas été très aimable avec moi.
- Mince... tu repasses voir Yoko cet après-midi, alors ? me propose ma mère.
- Je ne pense pas, je l'appelerai plutôt. Il me semble que mon prof d'anglais voulait me voir pour régler quelque chose, lui répondis-je.
- Oh d'accord. Je vais te laisser dans ce cas, travaille bien !
- Merci maman, lui souris-je avant de monter dans ma chambre.
Mes écouteurs glissent bien vite dans mes oreilles, et bientôt, la musique classique de Beethoven se répand dans toutes mes veines. J'oublie tout, l'espace d'un instant, et me plonge dans cette mélodie que je veux ressentir du plus profond de mon être. À la fin des quelques chansons, c'est comme si mon esprit avait été lavé des petites pensées noires restantes.
Je compose rapidement le numéro de mon ami, Moran, qui me répond au bout de la troisième sonnerie.
- Ouais ?
- Moran ! m'exclamé-je. Tu vas bien ?
- Bah ouais, nickel. Pourquoi ? me répond sa voix grave habituelle, et je rigole.
- Tu ne réponds pas à Staly ? Vous vous faîtes la gueule ? questionné-je prudemment.
- Non ! Tu sais que je garde pas super bien les secrets ou les surprises. En fait, je suis en train de préparer la cave pour fêter son anniversaire. J'ai tellement peur de me trahir qu'il faut que je l'évite à tout prix ! s'écrie-t-il, et je ressens presque la panique dans sa voix.
- Okay ! Envoie-lui un message, en lui disant que t'as besoin d'être seul, alors, parce qu'elle s'inquiète ! lui dis-je en souriant, rassuré que ce ne soit qu'une fausse alerte.
- Ouais, je le ferais alors. Ça te dérangerait pas de venir m'aider un peu, samedi ?
- Non, je serais là. Il faut aussi qu'on fasse quelques courses pour dimanche de toute façon, lui répondis-je.
- Ça marche, on va voir ça. Je vais te laisser parce que j'ai un devoir de math à faire, lance-t-il, puis : À plus.
- Bon après-midi, lâché-je avant qu'il ne raccroche.
Je m'affale sur mon lit. Une grosse fatigue me traverse, et je crois même que je finis par m'endormir.
Éveillé quelques heures plus tard, mon corps a repris des forces. J'essuis rapidement mes yeux gonflés. Ce n'est pas souvent que je fais des siestes en plein milieu d'après-midi, mais elles me sont toujours bénéfiques.
Mon ordinateur se retrouve entre mes mains, et je vais chercher dans mes contacts sur mon adresse-mail, pour appeler mon professeur d'anglais. Il répond très vite, et son visage apparaît sur mon écran.
- Bonjour Jaya. Comment tu vas ?
- Bien, et vous ? répondis-je par politesse.
- Je vais bien également, merci. Je voulais te parler de ton bulletin. Il me semble que tu as eu quelques difficultés en début d'année, mais j'ai la nette impression que tu te débrouilles de mieux en mieux. J'ai vu ce que tu veux faire comme études, et j'ai peur qu'avec le niveau que tu as actuellement, cela ne puisse pas passer.
Je sais que tu es un élève sérieux, mais tu as besoin de renforcer ton niveau. C'est pourquoi je voudrais te proposer des cours en plus, afin que tu puisses avoir toutes les chances de réussir à faire les études de tourisme. Je te laisse jusqu'à la semaine prochaine pour y réfléchir, d'accord ? me propose-t-il en souriant.
- Ok, merci beaucoup ! C'est vraiment gentil ! dis-je. Je pense que c'est une bonne idée.
- J'attendrais que tu me confirmes, dans ce cas ! Je te souhaite une bonne fin d'après-midi, Jaya. Au revoir, lance-t-il.
Il raccroche un instant plus tard. Je soupire longuement. L'école par internet n'est pas si simple qu'il n'y paraît. Ça fait déjà une petite année que je ne me rends plus au lycée. Je ne m'y sentais plus à ma place, mes notes baissaient, mes amis me quittaient peu à peu. L'hypothèse du lycée par mails et vidéo-conférence avec certains professeurs avait alors été proposée, et j'avais accepté. La plupart de mes enseignants sont plutôt compréhensibles, et c'est le cas notamment de mon prof d'anglais, qui lui, ne demande qu'à m'aider.
- Jaya !
La voix paniquée de ma mère me fait soudainement sursauter. Un frisson d'horreur me parcourt l'échine. Ma génitrice n'est jamais aussi affolée.
- Dépêche-toi ! hurle-t-elle de nouveau.
J'attrape mon téléphone, mon écharpe, et me précipite en bas, où ma mère attend de fermer la porte d'entrée. Ses yeux inquiets ne parviennent pas à apaiser le sentiment de peur qui commence à se répandre dans mes veines.
Deux secondes plus tard, mes chaussures sont enfilées, ma veste mise, et nous sommes tous les trois dans la voiture de mon père.
- Yoko a fait un arrêt, murmure la voix tremblante de ma mère.
Je ferme les paupières. Je ne le laisserai pas mourir. Je refuse de le perdre lui aussi.
Lorsque l'on arrive à l'hôpital, je saute de la voiture, et cours jusqu'à la chambre de Yoko, le découvrant endormi dans son lit. J'expire de soulagement. Il va bien. Du mouvement au fond de la pièce me rappelle brusquement que mon frère n'est pas seul dans cette chambre. J'observe le garçon, qui est toujours plongé dans le même livre, et je devine à son innatention, que c'est grâce à lui que Yoko va bien.
- Merci, lui lancé-je.
Il ne lève pas la tête, comme si j'avais parlé à un fantôme.
- Eh oh !? l'appelé-je.
À ce moment-là, nos yeux se croisent, et je reste figé par le regard fatigué qu'il me balance en plein dans le visage. Pire que ce matin. Ses cernes lui mangent désormais les joues, et ses cheveux ont graissé.
- Quoi ? Tu veux une photo de moi ? me réplique-t-il.
Je plisse les yeux. Qu'est-ce qui cloche chez lui ? C'est naturel d'être agressif ?
- Non, je te remerciais juste d'avoir aidé mon petit-frère, répété-je doucement.
- Ah. C'est rien, me répond-il, avant de replonger dans sa lecture.
Brusquement, la porte de la chambre dans mon dos s'ouvre à la volée, et je découvre mes parents apeurés, pénétrer dans la pièce.
- Il va bien !? crie presque ma mère, en me fixant, comme si je détenais la réponse.
Je hoche la tête, et la rassure d'un mouvement de lèvres. Tandis que d'un œil, j'observe mes géniteurs s'approcher de mon frère, de l'autre, j'aperçois le colocataire quitter la chambre à pas de béquilles.
Après m'être assuré que mon petit-frère n'est pas en danger, je sors de la chambre, en suivant le blondinet. Je n'ai aucune idée de l'endroit où il se dirige, alors, je garde mes distances avec lui.
Il traverse des couloirs, s'excuse auprès des personnes qu'il bouscule, et s'engouffre tout à coup dans une pièce fermée. J'hésite à ouvrir la porte de cette dernière. A-t-il deviné que je le suis, depuis qu'il est sorti de sa chambre attitrée ? Ne prenant pas vraiment la peine de peser le pour et le contre, j'abaisse la poignée de la porte, que je referme, une fois rentré.
- Pourquoi tu m'as suivi ?
Figé de stupeur, j'ose lever les yeux vers lui. Il me dévisage, et c'est la première fois que je suis aussi proche de lui. Des paillettes brillent au creux de ses iris.
- Je ne sais pas, soufflé-je.
Le colocataire de mon frère fait quelques pas en arrière, jusqu'à ce que son dos se retrouve collé au mur d'en face.
- Yoko est gentil. Toi, t'es carrément flippant, affirme-t-il en baissant le regard.
C'est à cet instant précis que je me rends compte que quelque chose cloche. Du sang s'échappe de la manche blanche de son chemisier d'hôpital.
- Et toi, t'es pire qu'intriguant, répliqué-je en me précipitant vers lui.
J'enlève rapidement mon écharpe, et sans réfléchir, je l'enroule autour de son bras couvert de sang. Il se dégage soudain.
- Ne me touche pas, me menace-t-il.
- Je ne veux que t'aider, t'en as besoin, chuchoté-je, comme si j'avais peur que quelqu'un puisse nous entendre.
- Personne ne peut m'aider. Personne ne veut m'aider, se corrige-t-il aussitôt.
Mes yeux sondent les siens, à la recherche d'un sentiment, mais je n'y trouve que de la tristesse, du chagrin, et de la peur. Cette dernière m'interpelle.
- Tu ne devrais pas être effrayé...
- Casse-toi, me coupe-t-il, à peine dans un murmure.
J'hésite quelques secondes, avant de me dire qu'il a réellement besoin d'être seul, et je le quitte en silence.
Devant la chambre de mon frère, je toque trois fois avant d'ouvrir, et j'y vois mes parents, Yoko, ainsi qu'un médecin.
- Bonjour, dis-je, gêné de m'inviter dans leur conversation.
- Jaya, le grand-frère de Yoko, me présente ma mère en souriant.
- Bonjour, me salue le médecin. Je m'occupe de Yoko. Nous étions en train de dire que votre frère a fait un arrêt cardiaque la nuit dernière. Ceci est normal, et plutôt fréquent après une opération, lorsque le cœur du patient est trop faible. Il ne faut surtout pas vous en inquiéter, désormais, il va bien, et la chance pour qu'il en refasse est quasiment infime.
Mon père hoche vigoureusement la tête, signe qu'il comprend. Ma génitrice pose quelques questions au médecin, dont je n'en vois pas l'intérêt. La seule chose qui attire mon attention un instant plus tard, c'est l'entrée du colocataire dans la chambre, et le regard que ce dernier et le médecin échangent.
Une fusillade de la part du médecin, lorsqu'il remarque le bandage autour de son bras. Un défi dans les yeux du blond. Et quand je regarde mes parents, je saisis alors la surprise et l'horreur devant mon écharpe entourant le bras ensanglanté du colocataire de Yoko. Je me dis que j'ai peut-être fait une bêtise.
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