chapitre 1
Des alarmes sonnent dans ma tête. Mon frère ne répond à aucun de mes messages. Je commence à m'inquiéter. Je n'entends pas sa voix quand je l'appelle. Où est-il, donc !? Ça doit faire une heure qu'il devrait être rentré !
Mes pas s'activent dans la maison, pourtant, je sais que faire les cents pas n'est pas la meilleure solution. Ma mère est dans le salon, je m'approche d'elle, et remarque ses sourcils froncés.
- Maman ? Tu sais où est Yoko ? lui demandé-je précipitamment.
Elle secoue la tête, et continue de faire semblant de lire son magazine.
- Je ne sais pas quoi faire, mon chéri. Va chercher ton père. Aloy ? Tu es par là ? ajoute ma mère.
Ce dernier arrive rapidement dans le salon.
- Tu n'aurai pas vu Yoko ? répété-je ma question.
- Il n'est pas rentré ? Il est déjà dix-neuf heures...
Son regard se perd au loin, et je devine bien vite qu'il est en train de réfléchir. Mes neurones ne font qu'un tour, mes muscles se décident enfin à bouger. J'attrape ma veste, et ouvre brusquement la porte.
- Fais attention à toi, Jaya ! me lance mon père, mais je n'écoute pas vraiment.
Rien ne compte plus que de mettre la main sur mon petit frère. Et s'il lui était arrivé quelque chose ? Jamais je ne me le pardonnerais de l'avoir laissé rentrer seul du collège.
Après avoir claqué la porte d'entrée, mis mon téléphone portable en vibreur, je traverse les rues, en zieutant le moindre recoin des endroits les plus sombres, en espérant de tout cœur de pouvoir le retrouver. Mes jambes ne fatiguent pas, et je puise dans toutes les forces qu'il me reste pour le chercher encore et encore. Mais bientôt, l'évidence pointe le bout de son nez : mon frère est introuvable.
Je prends mon cellulaire, m'apprête à appeler mes parents, mais ceux-ci me devancent. Je décroche aussitôt.
- Alors ? interrogé-je, sur les nerfs.
- Il est à l'hôpital. Tu es où ? On passe te prendre, et on y va, m'annonce mon père.
- Ok, je suis devant le lycée, je vous attends, répondis-je.
- On arrive.
Le bip m'indique qu'il a raccroché. Je passe une main dans mes cheveux, attachés par un bandana. Les ongles de mon autre main se retrouvent bien rapidement rongés à cause de mon inquiétude.
- Purée, soufflé-je doucement.
De la buée se forme dans l'air frais. Une forte pression s'accumule dans ma poitrine, et je me force à respirer calmement, mais rien n'y fait. Je n'arrive pas à faire redescendre toutes les émotions négatives qui me transpercent.
Au même moment, une voiture s'arrête devant moi. Je lève les yeux. La vitre côté passager s'abaisse.
- Monte, mon chéri, me dit ma mère en tentant de garder son calme.
Je claque la portière, et intime à mon père de faire vite. Le trajet me paraît durer des heures. À travers la fenêtre, la ville défile lentement. Trop lentement. Je regrette de ne pas pouvoir me téléporter. Mon père se gare à peine sur le parking que je saute de la voiture, et me précipite à l'entrée de l'hôpital. Mes pieds s'ancrent devant l'accueil, et une dame maquillée me sourit.
- Yoko Rowin, claque ma voix, accompagnée de ma respiration haletante.
Elle me fait des gros yeux, tape quelque chose sur le clavier de son ordinateur, alors que dans ma tête, mes pensées s'entrechoquent. Je me balance d'un pied à l'autre, attends son verdict.
- Il est au bloc, lâche-t-elle, toujours en gardant son sourire hypocrite. Revenez demain.
Je soupire de rage. Que lui est-il arrivé, bon sang ?!
- Il va bien ? la questionné-je.
Quand je relève son haussement d' épaules, mon cœur accélère ses battements. Une main se pose sur mon bras, et je devine sans mal que c'est ma mère.
- Il était en mauvais point lorsqu'il est arrivé ici. Mais il a toutes les chances de s'en sortir, ne vous inquiétez pas. Vous avez affaires aux meilleurs chirurgiens de la ville, dit-elle, avec une voix monotone.
- Yoko est en train de se faire opérer ?! s'exclame brusquement ma mère, et je sens sa poigne se resserrer autour de mon bras.
La femme assise en face de nous hoche la tête, en nous regardant avec une nonchalance déconcertante.
- Un infirmier vous prendre en charge pour remplir les papiers qu'il faut. Je suppose que vous êtes ses parents. Allez vous asseoir dans la deuxième salle d'attente.
Plusieurs personnes s'y trouvent déjà. Des regards se posent sur nous. Mes parents attrapent leur main respective, et nous trouvons place. À chaque fois que du personnel de l'hôpital vient dans la salle d'attente, je me lève, attends avec grande impatience que l'on prononce le nom de mon frère. Plusieurs heures passent, sans qu'aucune nouvelle de Yoko ne fasse surface. Mes yeux se ferment progressivement. Je suis épuisé de stresser, et d'attendre de savoir comment il va, et ce qui a bien pu lui arriver. Mon esprit plonge dans le noir abyssal bien connu du sommeil.
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Quelqu'un murmure mon prénom.
- Jaya, réveille-toi ! m'intime la voix de ma mère.
Mes paupières s'ouvrent doucement, et je distingue soudain une salle d'attente vide. Le visage de ma génitrice se place devant mon regard perdu. Puis, je me rappelle. Yoko ! Mes muscles reprennent étonnement leur fonction, et je ne suis plus du tout fatigué.
- On peut le voir ? demandé-je rapidement.
- Il n'est pas en très bon état, mon chéri. Je pense qu'il serait préférable que tu le vois dans les prochains jours, chuchote ma mère, et mes yeux se ferment.
- Maman... murmuré-je, j'ai besoin de le voir...
- Alors viens, me sourit-elle.
Je réussis malgré tout à apercevoir ses cernes, et la fatigue sur son visage. Ses cheveux blonds lisses flottent le long de ses traits marqués par le vécu, mais encadrent son visage toujours aussi beau. Mes lèvres s'étirent à l'idée que mon père soit tombé dans ses filets. Je relève la tête légèrement.
- Va te reposer, maman. Rentrez, vous êtes fatigués, avec papa. Je rentrerai à pieds.
Ma mère me fait les gros yeux, et se relâche lentement.
- Fais attention à rentrer. Il est dans la chambre vingt-huit, troisième étage.
Elle dépose un bref baiser sur mon front, et mon père me fait un clin d'œil, puis ils quittent l'hôpital.
Mes pensées se perdent quelques instants, et mon corps, soudain réveillé, se met à chercher la chambre que l'hôpital a prêté à mon frère.
Arrivé devant cette dernière, mes doigts se posent sur la poignée. Il y a bien longtemps que je m'étais senti aussi mal. Je secoue la tête, faisant évacuer ce mauvais souvenir.
La porte s'ouvre, et j'y découvre aussitôt deux lits. Enfin, je le devine. Un rideau sépare les deux parties de la chambre. Le premier patient que je vois me pétrifie sur place. C'est Yoko ! J'accours vers lui, mais me ressaisis quand je relève qu'il est endormi. Ma main prend la sienne, qui est glacée. La panique remonte en flèche dans mes veines.
- Yoko, soufflé-je son prénom.
Aucune réponse de sa part. Je ferme les paupières, et m'assois sur son lit.
- Je suis désolé de ne pas avoir été là, dis-je dans un chuchotement.
J'observe en silence le gros bandage autour de son abdomen, le bleu sur sa pommette. Mes sourcils se froncent. A-t-il été agressé ? Pas moyen de le savoir... Je l'embrasse dans les cheveux, et me dirige vers la porte, que je referme calmement, dans la peur de le réveiller. Je suis rassuré, il paraît bien soigné.
La fatigue que j'ai accumulée ces derniers jours pèse soudainement lourd, et je m'affale dans un siège d'une des salles d'attente. Le sommeil qui m'attrape ne me permet pas de récupérer, loin de là, et je peux même jurer sans me regarder dans une glace que mes cernes ont grandi. Une chaise en bois n'est pas confortable, alors imaginez une chaise en plastique. Je lève les yeux au ciel, me rendant compte que mes pensées divaguent.
Une musique éclaire la salle d'attente, et sans vraiment faire attention, ma tête bascule de droite à gauche. Quelques secondes plus tard, je prends conscience que c'est la sonnerie de mon téléphone. Une photo de mes parents apparaît sur mon écran. Je décroche.
- Allô ?
- Jaya ? Tu es là ? Tu n'es pas rentré, hier soir ?
La voix paniquée de ma mère me rappelle les paroles dites la veille. Je soupire.
- Excuse-moi, maman. J'étais fatigué. J'ai dormi à l'hôpital. J'aurai dû vous prévenir.
- Ne t'inquiète pas, mon chéri. C'est normal, ton frère ne va pas bien. Mais ne te négliges pas non plus, d'accord ? Il ira mieux, nous y veillerons, m'informe-t-elle.
- Merci, maman. Je sais que vous travaillez. Je vous tiens au courant si Yoko reprend ses esprits, lui répondis-je.
- C'est gentil, fiston. On passera ce soir, entendis-je la voix de mon père.
- Ça marche. Bisous, lâché-je avant de raccrocher, et de m'effondrer de nouveau sur la chaise.
Mon esprit tourne au ralenti. Yoko est-il réveillé ? Me racontera-t-il ce qui lui est arrivé ? J'essuie rapidement la larme qui roule sur ma joue, et rejoins la chambre attitrée de mon frère.
- Yoko ? appelé-je doucement, et du bruit se fait entendre dans la pièce.
- Jaya ? T'es venu ?
Mon corps sursaute à l'écoute de cette voix que je connais très bien, et je passe la tête à travers l'encadrement de la porte, les yeux émerveillés devant le grand sourire de mon petit frère.
- Yoko ! m'exclamé-je en m'avançant vers lui.
Il m'attrape soudain par les épaules, et me sert contre son torse.
- Pardonne-moi, Jaya, me chuchote-t-il au creux de l'oreille.
- Je ne t'en veux pas, lui répondis-je.
- Je sais que tu as eu peur. Mais fallait pas t'inquiéter, okay ? Tout va bien, lâche-t-il.
Sa main trouve la mienne, et je refoule les prochaines larmes. Parce qu'il a raison.
Nous reprenons un peu de distances. Les bleus sur son visage me rappellent vivement qu'il est encore à l'hôpital.
- Que s'est-il passé ? le questionné-je, en essayant de lui sourire.
Le sien s'efface brusquement, et je le sens se fermer à toute tentative de discussion. Il ramène la couverture sur sa silhouette, cachant le gros bandage qui lui barre l'abdomen, puis plonge son regard dans le mien.
- Je ne pense pas que je devrais me confier à toi, Jaya, me lance-t-il.
Mes barrières s'affaissent.
- J'ai besoin de savoir, murmuré-je dans un souffle. Je te promets de rester calme, ajouté-je en lui jetant un coup d'œil pas si discret que ça.
Lorsqu'il me regarde à nouveau, je devine qu'il va me raconter, alors qu'il sait très bien que je ne tiens pas mes promesses quand cela le concerne. Mon frère me fait signe de m'assoir sur le lit.
- Je... commence-t-il, avant de baisser la tête vers sa poitrine. En sortant du collège, j'avais pas vu que des garçons me suivaient. Ils sont dans mon collège, je crois, dit-il, et je remarque soudain que sa voix tremble.
- Les gamins qui te harcèlent encore ? l'aidé-je, en plissant les yeux pour contenir la colère qui se plante à la surface des émotions qui me traversent.
Mon petit frère hoche la tête.
- Oui, ce sont eux. Je les ai ignorés, et j'ai continué mon chemin pour rentrer à la maison. Mais à un moment, je me suis retourné, et... ils étaient beaucoup trop proches de moi, avec leur sourire flippant. Je... j'ai pas vu les coups arriver, je suis désolé, Jaya, s'excuse-t-il.
Il secoue la tête, et je lui transmets un regard d'encouragements. Il doit parler, je sais que c'est libérateur. La colère enfouie en moi ne demande qu'à exploser, mais je me retiens.
- Ils... ils m'ont poussé sur la route. Un vélo m'a percuté.
- Je vais leur péter la gueule, grincé-je des dents, en laissant mes yeux dériver vers la fenêtre de la chambre.
- Non, Jaya, tu ne vas rien faire, me coupe mon frère, le regard noir. Je continue. Je ne sais même pas qui a appelé l'hôpital. Tout ce que je sais, c'est que j'avais tellement mal au ventre que j'arrivais même pas à me relever. Ils sont partis, je crois, quand ils ont vu que je suis tombé à cause de leurs conneries.
J'ai vu papa et maman, hier, enfin ils m'ont laissé un mot. Est-ce que... tu pourrais leur raconter à ma place ? Je ne suis pas sûr de pouvoir y arriver...
- Bien sûr, je leur dirais, lui souris-je légèrement, sourire qu'il ne me rend pas.
- Je vais bien, enfin, ça ira, articule-t-il difficilement, parce que je sais qu'il tente de retenir son chagrin.
J'aquiesce d'un mouvement de la tête.
- On les retrouvera, on les coincera un jour, ne t'en fais pas. Ils payeront, lâché-je plus pour moi-même que pour lui.
Une de mes mains ébouriffe mes cheveux à travers mon bandana, et je passe une main sur mon visage.
- Ils... les médecins m'ont dit qu'un os de mon bassin s'est cassé sous le choc de la chute. Ils ont dû m'opérer en urgence. Dans la lettre des parents, ils parlent d'hémorragie interne. Tu te rends compte ? J'aurai pu mourir...
À la fin de la phrase prononcée, mon frère craque, et je ne l'en empêche pas. Il en a bien besoin.
- Je t'aime, Yoko. Personne n'est en droit de faire du mal à mon petit frère. C'est de ma faute, j'aurai dû te raccompagner, lui dis-je. Je serai toujours là pour toi, okay ? N'en doute pas.
Je l'attire contre moi, le sers brièvement, et quitte la pièce silencieusement. Une fois la porte passée, j'expire tout l'air de mes poumons. Ces gamins vont le regretter. Très fort.
Quand est-ce que notre société évoluera-t-elle ? En quoi est-ce que l'air féminin de mon frère le rend si différent des autres ?
Je réajuste ma chemise, et sors de l'hôpital, pour rentrer chez moi. Mes parents sont en train de faire la cuisine, lorsque j'arrive. Un gros câlin m'y accueille, ainsi que des yeux remplis d'inquiétude.
- Il va bien ? me demande mon paternel, et je lui adresse un sourire pour toute réponse.
- Yoko m'a... expliqué ce qu'il s'est passé. Il préfère que ce soit moi qui vous raconte. Il m'a dit qu'il n'en aurait pas la force, commencé-je en évitant leur regard.
Ma mère hoche la tête, et pose une main sur mon bras gauche, comme pour me dire que c'est bon.
Alors, je leur conte l'agression, et par la même occasion, le harcèlement qui ne s'est jamais arrêté. Leur visage se décompose.
- Il... je vais m'en occuper, ne vous inquiétez pas, les rassuré-je avec un clin d'œil.
Mon père fronce les sourcils, tandis que ma mère secoue la tête.
- Tu ne bougeras pas d'un poil, jeune homme. C'est à nous de nous en occuper. On va en parler à l'établissement de Yoko, et aller porter plainte, claque soudain la voix de ma mère, puis elle se lève du canapé sur lequel nous sommes installés.
Je ne tente pas de la contredire, puisque je sais que lorsqu'elle a décidé quelque chose, il n'y a aucun moyen de la faire changer d'avis. Ma colère ne remonte pas, à ma grande surprise. Un papier se plante dans ma paume de main, et je croise les iris de mon père.
- Staly est passée. Elle voulait te donner ça. Elle m'a dit qu'elle avait changé de numéro, déclare-t-il, et je le remercie.
Ma meilleure amie est probablement la seule personne de mon entourage depuis le collège, que mes parents ont rencontré. Malgré son fort caractère, je sais qu'elle est capable de se montrer parfois raisonnable envers ses sentiments.
Mes géniteurs se dirigent dans le bureau principal de la maison, alors que je reste piqué au milieu du salon. Le visage de Yoko se glisse dans mes pensées. J'espère qu'il va bien. On verra demain.
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