Promets-moi que l'on restera ensemble pour l'éternité.

Je te le promets.

La goutte de sang au bout de l'épée s'écrasa sur les dalles.

Kaas leva les yeux. Devant lui, les portes du palais grandes ouvertes. Derrière lui, le silence. Les soldats étaient à terre. Ses hommes contemplaient le massacre avec un mélange de fierté et de dégoût. Kaas le savait. Il imaginait leurs émotions et leur visage qu'ils essayaient de garder neutre et froid. Ce n'était pas leur premier combat. Kaas connaissait ses hommes.

Il connaissait aussi parfaitement le long couloir qui s'étirait sous ses pieds. Les murs dorés, les colonnes immaculées, le marbre et les chandeliers. Les diamants incrustés dans la paroi qui dessinaient des formes abstraites. Et les autres portes, au loin, qui menaient à la salle du trône.

Il n'eut pas besoin de prendre une longue inspiration. De raffermir sa prise sur le manche de son arme. Il s'était préparé à ça toute sa vie.

Il avança d'un pas rapide et pénétra discrètement dans la pièce, tel un fauve prêt à bondir sur sa proie. Sa proie... Il sentait sa présence. Il devinait le corps dissimulé dans l'obscurité.

- Te voilà enfin.

La silhouette apparut dans les rayons clairs de la lune. Kaas se crispa légèrement au son de sa voix. Cette voix douce qui avait murmuré au creux de son oreille. Son épée trembla, comme mue par l'envie de son propriétaire de la planter dans la chair de la femme qui le dévisageait. Un regard distant. Noir. Profond. Un regard dans lequel il s'était perdu, un regard dont il avait rêvé.

La femme se faufila entre les colonnes et laissa ses doigts caresser la pierre. Si lui était un fauve, elle était un serpent. Discret, rusé, venimeux.

- Je pensais que tu allais mettre moins de temps à tuer mes gardes.

Un sourire s'étira sur les lèvres de Kaas.

- Je voulais savourer l'instant.

Ils échangèrent une œillade complice.

- Alors... nous y sommes, n'est-ce pas ? poursuivit-elle.

Le jeune homme haussa les épaules.

- C'est ce que je crois comprendre.

- Très bien.

Glissement d'une épée hors de son fourreau.

Kaas brandit la sienne. Il fit quelques pas.

Et Mely se jeta sur lui.

Les lames s'entrechoquèrent avec violence, détermination et ambition. Le jeune homme et la jeune femme ne se battaient pas pour se divertir. Ils se battaient pour le pouvoir. Pour l'Empire Ardent. Ils s'affrontaient comme ils n'avaient jamais affronté personne.

Kaas se jeta sur le sol pour esquiver un coup. Mely tenta d'enfoncer son épée dans son bras. Il para, un genou à terre, les muscles tendus. Mely appuyait fort, Kaas aussi. Les deux lames se figèrent presque, jusqu'à ce que le pied de la jeune femme finisse dans le visage de son adversaire.

Kaas sentit sa tête partir en arrière. Son épée tomba à ses côtés mais ses doigts serraient toujours le manche. Sa vision s'obscurcit un instant. Le sang coula le long de ses lèvres. Son nez le faisait souffrir.

Un rire explosa dans la pièce. Mely se délectait de la blessure de Kaas. Celui-ci grimaça. Ce n'était que l'échauffement. Il était légèrement las en raison de ses affrontements précédents, mais déjà, il sentait ses muscles se contracter, se préparer à la suite. Son corps connaissait les gestes par cœur, il fallait simplement qu'il accepte ce combat. Qu'il considère Mely comme une ennemie, et non plus comme la femme qu'il avait connue.

Il se releva et se propulsa vers elle, la pointe de son arme dirigée vers sa poitrine. Mely s'accroupit et sa lame glissa contre la jambe de Kaas. Un cri de douleur lui échappa. Mely l'imita. La lame de celui-ci avait dessiné une fine estafilade sur sa joue.

Les sourires s'effacèrent. Les prunelles se rencontrèrent à nouveau. Brûlantes. Les adversaires se firent face un moment avant de laisser leurs jambes les guider ; ils tournèrent l'un autour de l'autre, tremblant de fureur, le cœur battant à l'unisson.

Mely toucha du bout des doigts la blessure sur sa joue.

- C'est tout ce dont tu es capable ?

Kaas saisit une dague dissimulée dans sa botte.

- Je garde le meilleur pour la fin.

Visage carnassier. Envie de massacrer. Besoin de voir le sang couler.

Les yeux noirs de Mely semblaient refléter les flammes qui dansaient dans les siens. Ils étaient en harmonie. En harmonie dans la violence et la rage qui coulaient dans leurs veines.

Nous allons former le plus fort des Empires.

Comment tu le sais ?

Nous sommes ensemble. Rien ne peut nous arrêter.

Les souvenirs ne le troublèrent pas. Ils l'invitèrent à se plonger à nouveau dans le combat. Tous ces moments qu'ils avaient passés... Cet avenir qu'ils avaient imaginé... Cette destinée qu'ils avaient voulu rejeter... Les deux Empires étaient voués à se détruire. L'Empire Brumeux contre l'Empire Ardent. Kaas contre Mely. L'Empire Ardent, le plus puissant, le plus riche, celui qui faisait naître la jalousie et les intentions belliqueuses. Celui qu'ils s'étaient promis de faire grandir ensemble. Celui que Kaas s'était décidé à accepter, tandis qu'il rejetait le sien, sa famille, son peuple.

Ils avaient mis à feu et à sang les six autres Empires. Ils avaient détruit les villages, massacré les hommes et femmes au pouvoir. Ils avaient voulu se placer à la première place. Avoir le monopole. Créer un seul et unique Empire. Garder l'Empire Ardent et régner sur le monde. Ce monde si vaste et si riche.

Mais ils ne pouvaient pas être deux. Il n'y avait qu'un seul Empereur.

Alors Kaas et Mely avaient renoncé à leur histoire. Leur relation s'était effritée et envolée dans le vent, avec leurs promesses, leurs baisers, leurs rêves.

Ce n'était plus Kaas et Mely.

C'était Kaas contre Mely.

Leurs souffles se mélangeaient, leur peau se frôlait, l'entrechoquement de leurs armes résonnait encore et encore au sein de la salle. Ils haletaient, ils criaient, ils se livraient corps et âme dans cette bataille acharnée.

Puis, soudain, Kaas s'écroula. Il hoqueta et porta machinalement sa main à son estomac. Le sang recouvrit chacun de ses doigts.

Les yeux mi-clos, il avisa Mely qui le surplombait, un sourire fier sur les lèvres, une lueur folle dans le regard. Elle s'accroupit et laissa son index courir sur la joue de celui qu'elle avait vaincu.

- C'est donc de cette manière que tout se termine. Le feu ravage tout, Kaas. L'Empire Ardent détruit tout. Et toi, Kaas, tu brûles. Tu meurs.

Kaas voulut rétorquer quelque chose mais les mots moururent dans sa gorge. Il sentit son corps s'affaisser, il sentit la douleur exploser dans chacune de ses cellules. L'épée s'était enfoncée dans sa chair. Le coup était mortel. Mely avait gagné... Non, elle pensait avoir gagné. Elle pensait avoir asséné le coup de grâce.

Il refusait de perdre.

Son autre main n'avait pas lâché son arme. Puisant dans ses dernières forces, il se redressa et la pointe de son épée rencontra la poitrine de Mely. Son visage se tordit, un gémissement traversa la barrière de ses lèvres. Elle tomba à ses côtés, poussa un léger cri, et se figea.

Kaas ne distinguait que le flanc de son adversaire. Il ne voyait pas quelle émotion dansait encore dans ses yeux. Il ne savait pas quelles étaient ses dernières pensées.

Il ne pouvait qu'écouter les siennes, qui s'éloignaient lentement, dans un long tunnel obscur, vers une lumière aveuglante. Ses paupières devinrent lourdes et sa souffrance, incommensurable. Ce fut comme si tout cessait autour de lui. Plus de bruit. Plus de sensation. Plus rien.

Promets-moi que l'on restera ensemble pour l'éternité.

Je te le promets.

Jusqu'à la fin. Jusqu'à la mort.

Kaas poussa son dernier souffle.

Sa main se lova dans celle de Mely, en un geste désespéré et passionné.

Mely. Cette femme pour laquelle il avait voulu mourir.

Mely. Cette femme qui avait causé sa mort.