Chapitre 11
C'était la nuit. Il faisait noir et dans le ciel immaculé d'étoiles, on pouvait distinctement apercevoir la lune qui était pleine.
Je m'éloignai d'un des boxes pour m'approcher de la cour intérieure. Les talons de mes chaussures tambourinaient sur les pavés et résonnaient dans toute l'écurie.
Je touchai de mes deux mains une des colonnes avant de reposer ma tête sur celle-ci. J'observai les alentours ; les fenêtres n'étaient pas visibles dans cette nuit noire, les reliefs du bâtiment à peine perceptibles.
- Enfin ! j'en ai terminé, dit Delphine de derrière mon dos.
J'accourais alors vers cette dernière. Elle me tendait les rênes du cheval qu'elle avait préparé pour moi. D'un sourire, je la remerciai.
Delphine sortit du box pour se rendre dans celui d'à côté. Elle ouvrit la porte de son box, prit les rênes de sa jument, tira doucement sur celles-ci pour que l'animal puisse en sortir.
J'effleurais du bout de mes doigts la planche en bois, qui se trouvait sur le devant de la porte du box, dont le nom Artiste était gravé dessus, avant de, à mon tour, suivre Delphine afin de me rendre dans la cour.
Les bruits des sabots des chevaux, ainsi que les talons des chaussures de Delphine et des miennes, résonnaient dans l'air et notre synchronisation imparfaite faisait référence à un semblable d'écho. À chaque pas que j'effectuais, je me demandais si l'on allait à un moment nous repérer tant que le vacarme que nous produisions était fort.
Finalement, nous atteignîmes très bientôt la grille. Nous allions pouvoir donc nous mettre rapidement en selle.
Delphine extirpa une clé de la poche avant de sa robe bleue pâle et l'inséra dans la serrure de la porte de la grille. Elle manœuvra de telle sorte que je sois la première à sortir avec Artiste.
Passé la grille, j'arrêtai Artiste un peu plus loin pour observer Delphine la refermer.
Ensuite, tout se passa tellement vite que je n'eus même pas le temps d'apercevoir les silhouettes qui sortaient de l'ombre.
Une voix d'homme me glaça le sang et, terrifiée et pétrifiée par la peur, je n'osais me retourner. En réalité, sa voix m'avait tant chamboulée que je n'avais même pas essayer de comprendre ce qu'il avait prononcé.
Je savais que ce n'était pas une bonne idée.
Je savais que l'on n'aurait pas dû venir.
Je savais que c'était inutile, qu'on se ferait prendre et qu'on aurait dû rester au château.
Mais... Rester au château signifiait aussi ne pas agir pour Adélaïde, ne rien faire pour elle, la perdre.
Puis, je vis Delphine avancer vers moi, Rivière sur ses talons.
Lorsqu'elle fut arrivée à ma hauteur, elle me tendit les rênes de Rivière sans un mot. Je passai sous l'encolure d'Artiste rapidement pour le tenir de la main gauche, et la jument de la main droite.
Delphine passa précipitamment devant moi, faisant voler sa chevelure blonde dans les airs. Elle s'en alla à la rencontre des trois gardes qui nous avez appelé et qui s'étaient mis en retrait. Ils portaient, tous les trois, des hauts-des-chausse rouges en-dessous d'un habit blanc brodé de fil d'or, ainsi que des souliers en cuir.
Je reportai à présent mon attention sur les chevaux.
Artiste était d'une parfaite couleur blanche, dont la robe ne contenait même pas une once de saleté. Sa crinière était mi-longue. Il avait un port de tête vif et adroit, des yeux tout ronds et noirs, une petite tête allongée ainsi que des oreilles très habilles et expressives. Artiste marchait, en plus de cela, de façon très élégante.
Rivière, de son côté, était bai brun foncé et avait une pelote blanche sur le front. Elle avait une allure légère et, selon Delphine, elle semblait voler au-dessus de la terre lorsqu'elle galopait.
Je soupirai d'agacement. Il était sûr que nous ne pourrions pas nous rendre chez Adélaïde. En plus, notre escapade était censée rester secrète, cependant il est vrai que je n'avais pas pensé aux gardes royaux une seule seconde. J'avais préféré me fier aveuglément à Delphine qui avait souhaité diriger l'opération.
Malgré tout, elle revînt très bientôt à mes côtés, le sourire aux lèvres, laissant apparaître ses dents bien alignées d'une blancheur stupéfiante.
Toujours sans m'adresser un seul mot, je la regardai monter aisément sur Rivière, puis se positionner correctement sur la selle amazone. Ensuite, elle ajusta les pans de sa robe de chaque côté de la selle.
Intriguée, je jetai un œil aux gardes royaux plus loin. Ils avaient tous disparu.
J'en conclus donc qu'il fallait que je me mette, à mon tour, en selle.
Rapidement, je passai les rênes au-dessus de l'encolure d'Artiste, les pris dans ma main gauche, re-sanglai un petit peu puis glissai mon pied gauche dans l'étrier. Je pris ensuite appui sur celui-là pour passer allègrement ma jambe au-dessus du dos d'Artiste.
J'avais pris, quand j'étais petite, quelques cours d'équitation. À la fin de chaque leçon, on s'entraînait à monter en amazone. Malgré tout, j'étais bien plus à l'aise sur une selle anglaise, ce qui avait donc intrigué Delphine. Pour la convaincre, je lui avais simplement assuré qu'il serait plus pratique qu'Adélaïde monte avec moi sur une selle anglaise plutôt que sur une selle amazone.
Je sortis de mes rêveries et rejoignis Delphine un peu plus loin. Il fallait que je me concentre - une journée entière de chevauche nous attendait alors que cela faisait des années que je n'étais plus remontée sur un cheval.
À six heures du matin, quatre heures après avoir démarré notre escapade, nous fîmes notre première pause. Nous nous étions arrêtées près d'un ruisseau potable pour que les chevaux puissent y boire. Pour ma part, je m'étais installée sur un rocher et j'écrivais dans le journal de Pierre. Il fallait l'avouer - je n'avais pas prêté attention à Delphine.
Ce fut ainsi toutes les quatre heures : nous nous arrêtions près d'un ruisseau, les chevaux y buvaient, nous nous reposions et j'écrivais dans mon journal en même temps.
Ce fut aux environs de dix-huit heures que nous nous arrêtions pour de bon. En effet, nous nous trouvions finalement chez elle. Enfin, devant sa maison.
C'était une maison toute simple, faite de pierre et de bois avec un toit de chaume. Une maison typique des paysans.
Delphine me tira des mes rêveries en frappant énergiquement sur la porte de la maison. Elle avait attaché Rivière à une petite barre en bois située à gauche de la porte. Je fis de même et rejoignis Delphine.
Quelques temps après, un homme au visage fatigué nous ouvrit la porte. Il avait les cheveux noirs et des petits yeux de la même couleur, ainsi qu'un nez fin.
Deux ou trois rides marquaient son front et quelques gouttes de sueur perlaient sur celui-ci. Il était habillé très modestement mais, malgré l'expression accueillante qu'il essayait de garder, il semblait que nous le dérangions. Ses fines lèvres rosées se fendaient en un sourire un peu forcé, puis, lorsqu'il me vit, il perdit de suite ce sourire. Ses sourcils se soulevèrent quasi-instantanément, lui donnant une mine étonnée.
- Votre Majesté, commençait-il.
Il jeta un œil à ses mains salies, les cacha derrière son dos puis nous salua maladroitement. Avant qu'il ne puisse ajouter quoique ce soit d'autre, une petite tête rousse se matérialisa devant moi. La coupe au carré, en habit de ferme, un sceau de graines à la main - plus aucun doute. C'était Adélaïde.
De l'étonnement se lisait sur son visage, mais elle sourit aussitôt. Elle posa prestement son sceau de graines à terre, avant de faire une révérence.
Adélaïde nous invita à entrer et l'homme qui nous avait ouvert - son père, visiblement - se précipita dans le salon, voulant absolument me montrer un objet auquel la Reine porterait un réel intérêt et, sans doute, entrer dans les bonnes grâces de Marie-Antoinette. Je le suivis donc. Du coin de l'œil, je vis une Adélaïde paniquée tandis que Delphine avait l'air de cacher une réelle curiosité.
Une fois dans la pièce, l'homme me montra, avec autant de grâce et de fierté qu'il pût, l'instrument qui trônait au milieu de la petite pièce. Il insistait pour que je joue. J'échangeais un regard affolé avec Adélaïde, ce qui ne rassura pas le moins du monde. Delphine, quant à elle, paraissait très enjouée. Je regardai une nouvelle fois en direction de l'instrument. Une harpe. Une harpe.
Parmi tous les instruments fantaisistes qui existent sur cette planète, il fallait que Marie-Antoinette joue de la harpe, instrument que je n'avais jamais touché de ma vie.
J'avais difficilement ma salive et fermai les yeux en inspirant une grande bouffée d'air - je me préparais psychologiquement. En effet, je m'apprêtais à me diriger vers cet instrument.
Je soupirai et ouvrai les yeux.
À cet instant, tout semblait devenir mirage. Je me sentais comme dans les vapes, ne prêtant attention qu'à une chose dans cette pièce. Je ne voyais que la harpe.
J'avançais sans gêne ni peurs vers l'instrument, tandis que mon visage affichait un air hautain. Je m'assis sur l'extrémité de la chaise en bois à côté de la harpe et jouai parfaitement bien et sans erreurs le canon de Pachelbel.
Ça - et le fait que je ne contrôlais plus rien -, me prouvait que quelqu'un d'autre avait bel et bien pris possession du corps de Marie-Antoinette. Peut-être même que c'était elle. Mais alors, je ne pouvais pas agir : je n'étais plus qu'une spectatrice et prisonnière d'un corps qui ne m'appartenait pas.
Après le dernier accord, je me levai d'emblée de ma chaise, un petit peu gênée. Dès lors, j'avais repris le contrôle du corps de Marie-Antoinette et la sensation des vapes autour de moi avait disparu. Je me dirigeai vers Adélaïde qui fronçait les sourcils, marquant le contraste entre elle et les deux autres personnes dans la pièce, qui souriaient.
- Il faudra que tu me donnes une explication, me sermonna Adélaïde assez bas pour que moi seule puisse entendre.
Je hochai discrètement la tête pour acquiescer. Du coin de l'œil, je vis que l'homme s'éclipsait de la pièce, nous laissant toutes les trois.
Après quelques minutes de silence, Adélaïde se mit enfin à parler.
- Allez-vous m'expliquer la raison de votre présence ici ?
- Je suis terriblement désolée, lui avouai-je franchement. Jamais je n'aurais pensé que ce stupide roi égoïste (à ce moment-là, Adélaïde, connaissant mon aversion envers Louis XVI, éclata de rire) découvrirait que vous aviez utilisé le sceau royal. Ou même qu'il vous le reprocherait.
- Ce n'est rien, je vous l'assure, nous annonça Adélaïde.
- Tout de même ! poursuivit Delphine. Les choses ne sont plus ce qu'elles sont à Versailles sans vous.
- Et je ne peux qu'approuver ces dires, insistai-je. Revenez au château, je vous en prie, suppliai-je auprès d'Adélaïde.
- C'est d'accord.
Honnêtement, je ne savait pas que ce serait aussi facile de la convaincre. Mais bon, il est vrai qu'elle n'a pas quitté le château par choix.
Je me souviens que Rebecca me disait que les domestiques entraient au château seulement si le roi l'acceptait, cependant ce ne sera pas le cas d'Adélaïde, étant donné qu'elle y travaillait avant.
Enfin, je crois.
Adélaïde nous demanda quand nous souhaiterions repartir. Delphine lui répondit qu'il faudrait partir à quatre heures pour arriver aux alentours de vingt heures.
Après avoir acquiescé, Adélaïde nous montra nos lits à l'étage supérieur et nous monta le repas.
***
Le lendemain, nous faisions des pauses plus rapprochées. En effet, Artiste portait à présent le poids d'Adélaïde en plus du mien. Elle était assise derrière moi - pas très bien installée, il me semble - et jouait de son équilibre pour tenir sur la selle. Parfois, une de nous deux - voire toutes les deux - mettait pied à terre pour libérer Artiste d'un poids.
Nous étions à la fin d'une pause, aux environs des trois quarts du chemin, lorsque l'incident se déroula.
Toutes les trois, nous avions mis pied-à-terre mais nous nous apprêtions à remonter en selle - ce qui était déjà le cas de Delphine. J'avais, fidèle à mon habitude, reporté tous nos faites et gestes dans le journal. Avant même de pouvoir prendre appui sur l'étrier, nous entendîmes un bruit assourdissant qui se rapprochait de plus en plus.
C'était en fait les gardes royaux qui venaient nous chercher. À ce moment-là, ils ne nous avaient pas encore vu : un muret nous séparait d'eux.
Rivière, très réactive à tout ce qui bougeait depuis le début de notre escapade, prit peur et se mit à ruer dans tous les sens, Delphine sur son dos. Celle-ci fut d'ailleurs projetée sur un rocher après quelques minutes de ruade.
Lorsque nous nous approchâmes, Adélaïde et moi, toutes les deux en alerte, du corps de Delphine, nous nous figèrent.
La tête de Delphine avait heurté, non sans violence, le rocher et énormément de sang s'échappait de sa tête.
Elle était là, devant nous, son corps paisiblement reposé sur le sol et parfaitement inconsciente.
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Note de l'auteur :
Pardon du retard...
J'ai mis beaucoup de temps pour écrire ce chapitre parce que ça va vraiment créer une rupture entre la première partie de mon histoire et la seconde. Enfin bref, le voici, alors voter et commenter, ça fait toujours aussi plaisir !
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