1- La demande du colonel
Il pleuvait aujourd'hui. Un petit crachin particulièrement désagréable tombait, rendant la terre encore plus humide qu'elle ne l'était déjà.
La boue n'avait pas eu le temps de sécher, et se mouvoir dans les tranchées était un véritable calvaire. Mais on s'y faisait vite. Nous n'avions pas le choix de toute façon, car c'était désormais notre habitat naturel. Nous nous étions tous terrés dans la terre comme des rats se réfugient dans les égouts.
Un officier était venu me chercher, me disant que le Colonel m'avait demandé pour une raison inconnue. Mes camarades avaient protesté fortement : nous étions en pleine partie de cartes et c'était l'une des rares fois où le front de la Somme était aussi calme. Mais l'officier ne voulu rien savoir, m'emmena avec lui, et je me suis retrouvé assis dans le poste de commandement à attendre le Colonel Mathias.
- Que me veut-il ? demandai-je calmement.
- Je ne sais pas, répondit mon accompagnateur. J'ai simplement eu pour ordre de vous amener ici.
- Il ne vous a vraiment rien dit ?
- Absolument rien. Je n'en sais pas plus que vous.
Je restais silencieux, songeur. J'ai observé la "pièce" dans laquelle j'étais.
Creusée dans la terre des tranchées, elle était froide et humide. Des chandelles l'éclairaient d'une douce lueur, et réchauffaient un petit peu l'endroit. Un téléphone rudimentaire était accroché au "mur".
L'appréhension monta en moi lorsque le colonel surgit, me regardant droit dans les yeux avec son cigare -qui était plus une cigarette- entre deux doigts, et un petit tas de papiers dans l'autre main.
Je me suis levé et mis aussitôt au garde-à-vous. Il me fit signe de me mettre au repos et de me réinstaller, et posa en s'asseyant ce tas de paperasse qui n'était autre que mon dossier militaire. Il l'ouvrit pour le lire.
- Alors... dit le Colonel en épluchant mon dossier. Caporal Arthur Storman, c'est bien ça ?
- Oui Mon Colonel.
- Vous vous êtes engagé le... Le...le..le.... Ah, voilà ! Le 23 février 1915.
- Oui Mon Colonel.
- Bien bien bien... Vous avez été promu caporal il y a quelques mois....vous avez déjà effectué des actes de grande bravoure....
Il me regarda du coin de l'œil, toujours avec son cigare. Il secoua la fumée d'un revers de la main, le posa et redressa sa fine moustache. Elle était beaucoup plus fine et petite que celles des autres gradés, et cela me frappa sans que je ne le comprenne. Cet officier avait un côté humain que les autres n'avaient généralement pas, et il me semblait même qu'il paraissait amical.
J'étais particulièrement tendu -je débattait quand même intérieurement sur la taille de sa moustache- et cela devait se voir car il émit un petit rire.
- Êtes-vous nerveux ?? me questionna-t-il en riant.
Je réalisa alors qu'il me vouvoyait, ce qui me perturba venant d'un homme si haut gradé. Je croisa mes mains pour cacher mes tremblements, et lui répondit d'une voix assurée :
- Non Mon Colonel.
Il frisa de nouveau sa petite moustache rousse et croisa ensuite les mains, sans me quitter des yeux. Il retira sa casquette d'officier pour laisser voir une chevelure aussi rousse que le pelage d'un renard, et parfaitement coiffée. Il étudia encore quelques instants mon parcours militaire, avant de refermer le dossier et de le poser dans un coin. Il resta silencieux quelques secondes, puis me dit d'une voix très calme et posée :
- J'aurais une demande à vous faire. Voyez-vous... -il posa ses mains croisées sur la table ou était étalée une carte militaire. Voyez-vous mon cher, les Allemands sont bien trop silencieux ces derniers jours. Apparemment, d'après nos sources, ils auraient déplacs certaines de leurs divisions.
Le commandement souhaiterais que quelqu'un parte en reconnaissance vers les lignes ennemies, pour confirmer ces dires, et ils m'ont désigné pour cette tâche. Sauf qu'ils exigent que je prenne des hommes expérimentés avec moi. Voyez-vous où je veux en venir Storman ?
J'ai lentement hoché la tête en silence. Il prit une bouffée de sa cigarette, et la reposa en dissipant la fumée qu'elle avait produite d'un nouveau revers de main.
- J'aurais besoin de vous pour m'accompagner, continua-t-il.
Je l'ai regardé sans répondre. De toute façon je ne pouvais pas dire non, car on me fusillerait pour désertion. Enfin...je crois ?
Le Colonel Mathias se leva soudainement, et se plaça calmement devant moi. Il me regarda de ses yeux bruns avec quelques touches orangées.
- Acceptez-vous cette mission ? me demanda-t-il d'une voix calme.
- Je ne peux pas refuser Mon Colonel, répondis-je avec assurance.
- Vous êtes sûr ? Je ne vous force à rien. Si vous n'acceptez pas, je ne vous ferai pas exécuter. Mais si vous acceptez, sachez que ce sera très dangereux et que nous risquons la mort. Prenez bien conscience de cela avant de me dire oui.
- Je ne peux pas refuser Mon Colonel, répétais-je machinalement pour bien lui montrer ma volonté.
- Vous êtes bien déterminé...
Il posa sa main sur son menton, m'évaluant du regard. Puis, il se rassit, reprit une bouffée de cigarette, et souffla un petit nuage de fumée. Il ferma les yeux pour réfléchir.
- Demain matin, lâcha-t-il après un long silence. Rejoignez moi ici, demain matin, à l'aube. Tâchez de ne pas être en retard je vous prie. Ah et...c'est une mission confidentielle. N'en parlez à personne.
- À vos ordres Mon Colonel.
Je me suis levé, mis au garde à vous, et suis ressorti du poste de commandement.
Je me suis alors mis à réfléchir, et une question flotta dans mon esprit. Une question brulante, le genre de question qui ne peut pas vous sortir de la tête et qui vous ronge de l'intérieur.
Dans quoi venais-je d'être embarqué ?
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