C H A P I T R E Vingt-Sept
ARC 4 : Blanche
-----
L'âme meurtrie
-----
Blanche n'avait jamais vraiment détesté un être humain, si ce n'était ces pourris de pollueurs, PDG d'entreprise aux doigts boudinés qui listaient leur liasse de billets, confortablement installés dans leurs bureaux aux 130ème étage d'un gratte-ciel tandis que, pendant ce temps, une population entière d'animaux étaient exterminés. Alors oui, eux, elle les exécrait.
Mais elle n'avait jamais connu cette haine qui mordait les tripes, broyant les autres émotions sur son passage. Elle n'avait jamais haï au point d'en pleurer, d'en trembler de frustration. Haï un individu qui comptait, et qui chaque jour un peu plus profitait de son affection pour la briser.
Maintenant c'était le cas. Elle ferma les yeux, chassant les quelques larmes hasardeuses qui s'y étaient logées. C'était tellement douloureux. Douloureux de tout devoir dissimuler derrière un sourire, derrière une jovialité exagerée. De n'être en vérité qu'un masque dont la peinture s'écaillait pour finir par dévoiler ses imperfections.
Personne ne voyait sa souffrance, cette atroce souffrance qui la tenaillait depuis l'enfance, excepté Cindy, et peut-être même Jack. Ils étaient tous deux, Jack et elle, les mêmes. Se cacher était devenu leur habitude, au point qu'ils avaient fini par croire que le masque serait éternel, qu'ils finiraient par devenir la personne que tout le monde croyait qu'ils étaient.
Mais c'était faux. Et Blanche en avait marre. Marre qu'ils pensent tous qu'elle n'était qu'une petite Princesse, fleur bleue et sans soucis. Marre qu'on la prenne pour cette fille toujours optimiste destinée à rester dans le décor, et dont les paroles joyeuses n'atteignent jamais car : "nous, on a nos problèmes, et pas toi. Tu te crois trop parfaite pour en avoir." Marre qu'IL n'arrête pas de lui rabâcher qu'elle était faible, toujours trop faible. Qu'elle ne valait rien à ses yeux, qu'il la détestait alors qu'elle l'aimait éperdument.
Il avait été ce quelqu'un à qui elle s'était ouverte, confié, et il en avait profité pour se glisser bien au chaud contre son organe vital, se nourrisant de ses battements prévisibles. Il s'était répandu dans ses veines, l'avait fait devenir dépendante.
Amoureuse.
Et chaque jour un peu plus il la rejetait pour la rapprocher, il jouait avec elle les "yo-yo" des enfants qui ne font que s'amuser. Elle était empli de gratitude dès qu'il lui accordait ne serait-ce qu'un demi-sourire et pleine d'amertume quand un mot médisant de trop s'extirpait de sa bouche. Elle avait appris à se taire face à ses insultes déguisées qu'il disait n'être que des plaisanteries, mais qu'elle avait fini par voir être la vérité.
Qui était-il pour la contrôler ? Pourquoi se laissait-elle naïvement faire ? Avait-elle tant besoin d'être aimé qu'elle s'en laissait si facilement détruire ?
Elle serra plus fermement dans sa paume moite le baton de bois servant aux entrainements d'arts martiaux. Son chagrin était si discret, sous la couche de vernis usée, que personne dans l'assemblée ne vit les larmes aigres s'écraser contre le tatami de la salle d'entraînement. Qui aurait pu penser que Blanche - Blanche, la fille constamment heureuse ! - était en train de pleurer les morceaux émiettés de son cœur ?
Elle essuya les quelques perles d'eau restantes d'un rapide revers de manche puis planta ses yeux dans les siens. Elle allait enfin l'affronter. Elle en avait mal au point qu'elle en sentait ses boyaux se tordre, ses jambes se liquéfier sous le poids d'un tel combat.
Ce n'était pas lui qu'elle allait défier, c'était cette partie d'elle-même qui continuait à l'aimer inconsidérément, malgré tout ce qu'il lui faisait endurer. Elle le faisait pour elle, pas pour lui. Elle ne ferait plus rien pour lui.
« Tu peux abandonner, si tu le souhaites. » lui proposa posément Floriant, ne paraissant pas se rendre compte de la colère mêlée à la douleur qui étreignait chaque cellule de la jeune fille. « personne ne t'en voudra, c'est compréhensible. »
Pourtant, son ton signifiait tout le contraire. Si elle en restait lâchement là, il lui en voudrait. Elle s'en voudrait à elle-même. Alors elle dégaina l'arme, en position d'attaque.
Un léger sourire satisfait, quasiment moqueur, courba les lèvres de Floriant. Ce geste lui en retourna l'estomac. Comment pouvait-il ? Comment osait-il ? Bouillonnante, la rage remonta le long de sa jugulaire. Elle s'élança sur lui sous les yeux attentifs de leur public, sans attendre qu'il ne lui ai gracieusement accordé le premier pas.
Pas de retenue, cette fois. Chaque séance où il l'avait narquoisement défié, méprisant, elle avait joué le rôle qu'il attendait d'elle. La perdante. Lui laissant celui du fort, du Héros. Si elle avait su qu'il s'en gargariserait au point de la faire tomber si bas... Elle réfuta cette pensée ; ce qui était fait était fait. Il était temps de redresser les torts.
De gagner, comme elle aurait dû le faire depuis le début de cette guerre insensée.
Si Floriant était surpris par les coups violents que lui portaient Blanche, il n'en laissa rien paraître. Se défendant avec force devant la déferlante d'agressivité, il gardait toute son impassibilité alors qu'elle lâchait peu à peu les digues, submergée par le flot d'émotions.
Puis il riposta. Elle para en vacillant. Elle avait tellement bien joué le rôle de la rabaissée qu'elle en gardait les réflexes inévitables. Les bâtons de bois crissèrent l'un contre l'autre avec puissance, une fissure se créant à l'endroit où ils s'étaient rencontrés. Essoufflés, les deux adversaires s'éloignèrent, sur le qui-vive, se jaugeant du regard. Qui perdrait ? C'était la question que se posait pour la première fois ceux qui les observaient. Jamais personne n'avait remis en question la supériorité de Floriant sur Blanche ; jusqu'à aujourd'hui.
Cet après-midi, ils étaient -pour la première fois- sur un même pied d'égalité.
L'attaque recommença ; Blanche semblait nettement plus agile et rapide que l'autre. Elle se glissait silencieusement entre les sifflements de baton, l'atteignant parfois d'un coup de bois bien placé, sec et puissant. Son front luisait de sueur, ses cheveux noirs plaqués en arrière et ses yeux brillants lui donnait un air de lionne enragée. Ils en avaient tous le souffle coupé. Ils avaient sous-estimé la petite Princesse ... Elle s'était révélée être en fait bien plus que cela. Elle l'avait toujours été, sauf qu'ils étaient tous aveuglés.
Derrière son masque, la Princesse avait trop bien joué.
Après une lutte intense, Blanche réussit enfin à mettre Floriant au tapis. Il chuta sur le sol, retenant un gémissement de douleur. Des courbatures lui ceinturaient les flancs, là où elle l'avait sans ménagement frapper. Ses jambes n'étaient que compotée, impossible de se relever.
Ses amis accoururent vers lui pour l'aider à se remettre debout. Il scruta le visage de la guerrière qui le toisait de haut, avant de se détourner, lui offrant la vision de son dos courbé. Elle n'était même pas heureuse de sa victoire. Elle l'avait pourtant mérité. Qu'attendait-elle de plus ?
« Ouah. Commenta un des garçons, bouche-bée. Je ne m'attendais pas à ça de la part de... enfin tu sais. Ça ne lui ressemble pas.
- Ouais, c'est clair. Approuva Floriant d'un hochement fataliste de la tête. Mais tu sais, c'était qu'un coup de chance. Elle avait pas gagné avant, j'ai juste été gentil aujourd'hui, parce que j'avais un peu piti- »
Avant qu'il n'ai l'occasion de terminer sa phrase, un poing s'écrasa contre sa joue et il se retrouva de nouveau allongé sur le sol, le visage comprimé par la douleur. Blanche. C'était elle, bien sûr. Elle serrait fermement ses poings, arrachant la chair tendre de ses paumes, marchant vers lui à grandes foulées rageuses. Ses yeux étaient parcourus d'un voile d'humidité.
« Je te hais ! » Hurla-t-elle alors que Cindy se hâtait dans leur direction pour la maintenir éloignée, évitant qu'elle ne fasse une erreur regrettable.
Les larmes de colère dévalaient désormais librement son visage, sans honte, ni crainte. Les sanglots secouaient ses épaules de manière incontrôlable mais elle n'en avait cure. Elle se débattit violemment, souhaitant le frapper encore jusqu'à ce qu'il en crache ses dents, jusqu'à ce qu'il souffre comme elle en avait souffert. Mais il la fixait, imperturbable. Une bouffée de haine l'envahit, et elle redoubla de coups acharnés pour tenter de l'atteindre, s'arc-boutant en criant.
Elle n'avait pas gagné, pas aujourd'hui. Elle avait définitivement tout perdu. Même sa raison avait succombé.
« Regarde ce que je suis devenue à cause de toi ! Regarde ce que tu m'as fait ! Regarde bien le fruit de ton travail ! Car il n'y a pas que toi que je hais, Floriant... Je me hais tellement aussi ! »
« Blanche je t'en prie arrête ! Calme-toi ! » Lui demanda désespérément Cindy, bientôt aidé par un tas d'autres gens qui se fondaient comme un seul être derrière la vision floutée de Blanche.
Une rumeur surprise et choquée parcourut la foule ; Blanche sentit ses forces soudainement l'abandonner, perdue dans les yeux désormais expressif de Floriant. Il avait peur. D'elle ? Non. Pas d'elle. Du monstre qu'elle avait créé. De l'amas de noirceur qui apparaissait juste à côté d'elle, ayant pratiquement pris forme humaine.
Un Cauchemar. Son Cauchemar.
« Je te hais. » Murmura-t-elle de nouveau du bout des lèvres, parce qu'elle savait qu'elle n'aurait pas la possibilité de le faire plus tard.
« Je sais. » Sembla lui répondre les iris de Floriant. « Je le sais depuis longtemps. »
« Blanche, il faut que tu restes éveillée. » l'interpella-t-on. Ce n'était pas la voix de sa sœur. Pourtant, elle lui était familière... « Blanche... Non ! »
Trop tard. La jeune femme se laissa glisser entre les bras de Cindy telle une poupée de chiffon inerte, bientôt soutenue à son tour par Floriant et l'inconnue. Celle-ci, particulièrement anxieuse, repoussa derrière son oreille une mèche de cheveux dorés. Sa longue chevelure aurait atteint le sol si elle n'était pas nouée par une imposante natte.
« Il faut la porter de toute urgence à l'infirmerie. Maintenant ! Ordonna-t-elle, frissonnant en voyant le teint pâle de Blanche se dégrader de seconde en seconde.
- Elle va s'en sortir, Hazel ? S'inquiéta Cindy, les yeux agités.
- Fais ce que je dis. Il faut que je puisse l'examiner, mais j'espère de tout cœur que oui. »
Ils la portèrent ensemble à l'infirmerie, les étudiants se séparant en deux pour leur former un passage tout tracé. Floriant observa le visage endormi de la jeune femme alors qu'il la tenait près de son torse, la serrant au creux de son étreinte ; avait-il bien fait de la pousser à aller aussi loin ?
Il réprima tous remords. Bien sûr que oui. Il ne regrettait rien.
▶Voilà. Je me suis déchaînée. J'ai adoré écrire ce chapitre. Certainement encore plus que les autres -et c'est ça qui est fou ! Blanche se dévoile enfin -vous allez bientôt connaître un pan de son histoire- et Floriant joue le mauvais rôle du conte de fée ... Comme quoi :) Est-ce que vous vous attendiez à une Blanche comme ça ? À sa relation avec Floriant ? ^^ Bref, j'espère que ça vous a plu ! Un nouveau personnage a été intégré, Hazel, toujours dans Disney ! Qui est-ce à votre avis ? ;) ◀
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro