C H A P I T R E Vingt-Neuf
«Tu connais Jack, n'est-ce pas ? »
Elsa acquiesça, mal à l'aise. Cindy était partit leur chercher de quoi se remplir la panse et elle se retrouvait seule avec la belle blonde. Celle qui avait toute sa place dans le cœur de Jack, visiblement. Elle n'arrivait même pas à la détester malgré tout.
« C'est mon petit-ami, enchaina Hazel sans se rendre compte que ses paroles étaient des couteaux qu'elle enfonçait dans la poitrine d'Elsa. Il est formidable. Mes parents l'a-do-rent ! »
Elsa ne répondit pas ; de toute manière cela n'importuna pas Hazel étant donné qu'elle était partie pour lui faire un monologue sur les qualités de son cher Jack.
Elsa se résolut à se composer un visage de marbre, acquiesçant distraitement aux moindres paroles de celle qui était restée avec elle.
« Hm... » Hazel se racla la gorge et Elsa sursauta, quittant ses pensées pour accorder un tant soit peu de son attention à sa "partenaire" de veille. « Désolée si je t'ennuie avec ça. » Bafouilla-t-elle en se rasseyant, arrêtant de faire les cent pas comme elle en avait la drôle d'habitude.
Elsa ne répliqua pas non plus : tout simplement parce qu'elle n'avait pas envie de lui mentir. Mais elle accepta gracieusement ses excuses d'un hochement de tête contrit.
Un étau de tristesse comprimait le cœur d'Elsa si fort depuis qu'elle avait compris ce qu'il se passait entre Jack et Hazel qu'elle se demandait s'il en restait encore quelque chose de viable. Elle avait l'impression d'avoir un morceau de caoutchouc desséché à la place de son organe vital, semblable à l'un de ces chewing-gum que les Réfugiers mâchaient à longueur de journée. Son cœur était masséré entre les dents de la désillusion, brisé par les molaires acérées de la certitude : si Jack lui avait en effet montré de l'intérêt, elle s'était méprise sur l'intensité de ce dernier. Plus aucune larme n'avait néanmoins l'intention de monter, ne restait plus que cette insupportable tristesse qui lui collait à la peau. Elle se sentait simplement ... vide.
Cindy revint en trombe et tendit à Hazel ce qu'elle lui avait apporté. Elsa n'écouta leur discussion que d'une oreille, serrant la main de Blanche dans la sienne, observant ses paupières closes derrière lesquelles s'agitaient en permanence ses yeux affolés.
Un cauchemar la tenait entre ses griffes. Un de ceux qui tiennent éveillé même quand nous nous croyons à l'abri, endormi. Ils se terrent au plus profond de nous, utilisent nos doutes, nos espoirs et nos désillusions amères. Ils se glissent insidieusement dans nos pensées, s'accrochent furieusement à toute trace d'une quelconque faiblesse qu'ils peuvent y trouver. Ils brisent les carapaces de tout être humain, volute de fumée imperceptible et impossible à attraper.
Puis, quand ils sont trop présent, ancrés dans notre repos éphémère, quand ils nous submergent trop vite et que ne nous sentons pas la force de les arrêter... Ou que nous n'en avons pas la volonté...
Ils deviennent nos Cauchemars.
« Oh, Blanche... Réveille-toi ! Te laisser combattre ce fardeau seule est un véritable calvaire. » songea Elsa, abattue.
« Voilà pour toi, Elsa. Elsa ...? » Cindy se pencha, inquiète.
La jeune femme sursauta littéralement sur sa chaise, de nouveau tirée de ses songes. « Tu ferais mieux d'aller te reposer. Tu as mauvaise mine. » Lui confia la brune, soucieuse.
Elsa étouffa un bâillement.
« Je vais bien. La détrompa-t-elle en fixant un point sur le mur en face d'elle.
- Tout de même. Insista Cindy. Tu reviendras quand tu iras mieux. Nous veillerons sur Blanche. »
Elsa se leva de son siège, délaissant la main blafarde de son amie sur les couvertures. Malgré son inconscience, elle ne put s'empêcher de lui adresser quelques encouragements.
Et puis, titubant jusqu'à la sortie, elle referma la porte derrière sous les regards muets des deux jeunes femmes. Quand elle retrouva son lit, elle s'y écrasa, la tête enfouit dans l'oreiller. La gorge nouée, elle sentit le chagrin lui caresser sinueusement la gorge, remontant le long de ses canaux lacrymaux. Elle s'allongea sur le dos et fixa le plafond de ses yeux embués.
« Anna, je veux rentrer. Le monde est trop dur et froid pour moi quand tu n'es pas là. »
Jamais elle ne s'était sentie aussi seule dans sa solitude, jamais l'absence d'Anna n'avait créé un tel écho, une telle blessure béante dans sa poitrine. Et Blanche qui se trouvait désormais dans cet état...
Elle s'endormit sans s'en rendre compte.
***
Quand elle se réveilla le lendemain, ce ne fut ni en sursaut, ni totalement apathique ou désespérée. Non. Elle était résolue. Un plan précis s'était formé dans sa tête ; trouver la véritable raison qui avait envoyé Blanche dans ce lit, éviter Jack le plus possible et enfin, axer toutes ses recherches sur un moyen de rentrer chez elle, coûte que coûte.
Peut-être qu'avec le temps elle finirait par combler la béance qu'il avait laissée derrière lui, à grands coups de sourire enjoué et de paroles sous-entendues.
Ou peut être pas. Mais elle devait au moins essayer.
Elle quitta le dortoir dans la matinée, les paupières alourdies par les poches violettes qui s'étaient créées sous ses yeux. Les couloirs étaient baignés dans le silence le plus complet, et, parmi les quelques personnes qu'elle croisa, aucune n'osa briser le mutisme régnant. Un signe de tête pour saluer suffisait amplement.
Alors qu'elle allait bientôt atteindre l'entrée de la bibliothèque - une immense porte en chêne massif, dont les poignées se résumaient à deux épais anneaux d'or usés par le temps - une interpellation l'en dissuada.
« Elsa ! »
Oh non. Pas lui. Pas lui, surtout pas lui ... elle hâta son pas, posant une main sur le battant quand on l'attrapa sans ménagement par le poignet.
« Attends. Il faut qu'on parle. »
Elle inspira profondément. Essaya d'oublier les sensations que sa peau sur la sienne lui inspirait. Essaya d'étouffer les bouffées de panique qui l'envahissait subitement, tout en sachant qu'elle allait revoir son visage, que ses prunelles iridescentes allaient se noyer dans les siennes.
Et se dégagea sèchement de sa poigne pour se tourner dans sa direction, cachant ses doigts fébriles dans son dos.
« Discuter ? De quoi ? » énonça-t-elle d'un ton platonique, fuyant son regard.
Paraître normal. Comme si rien ne s'était passé. Comme si elle n'éprouvait rien pour lui. Comme si elle n'avait pas cru, un jour que... Mais cru quoi ? Parce qu'il avait passé du temps avec elle, elle s'était permis de penser qu'une émotion réciproque s'était installée ? Qu'elle n'était pas la seule à subir le rythme effréné de son cœur quand ils étaient proches, quand ils se touchaient ? Elle se reprocha sa naïveté.
« Tu sais très bien de quoi je veux parler. » Répondit-il, dérouté par son attitude distante.
Il était sérieux. Étrangement sérieux.
« Non, je ne vois pas, désolée. » Répondit-elle, prenant soudainement peur de ce comportement inhabituel qu'il utilisait envers elle. « Je ferais mieux d'y aller, j'ai beaucoup à faire.
- Els... »
Il tenta de la rattraper mais trop tard, la porte se refermait déjà sur la silhouette longiligne de la jeune femme.
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