C H A P I T R E Vingt-et-Un
Explications
Elsa continuait de trembler. Cela faisait une demi-heure, mais elle n'arrivait pas à se contrôler. Elle n'avait plus peur pourtant. Elle avait même plutôt honte. Elle aurait pu se défendre, si seulement elle en avait eu le courage.
Elle soupira de découragement pour la énième fois et se pencha vers la paille pour aspirer sa boisson. Elle sentait les regards des autres qui planait ostentiblement sur elle, comme pour être certain qu'elle n'allait pas tomber une fois de plus.
Ils avaient laissé la libraire aux bons soins d'une de ses amies qui étaient arrivées juste à temps, pour aller dans un café tout près. La librairie serait certainement fermée quelques temps, et Elsa n'avait pas eu le temps de récupérer la demande de Belle. Elle espéra que ce n'était pas trop important.
« Alors comme ça, vous avez laissé Elsa - une nouvelle arrivante, d'un monde totalement différent du nôtre qui ne doit sans doute pas connaître l'existence des Cauchemars autre que dans ses propres rêves, rappelons-le - y aller seule ?
- C'est lui qui m'a obligé. » Maugréa Jack en désignant Floriant du doigt.
Floriant se crispa et le foudroya du regard. La jeune femme qui venait de parler n'était autre que Blanche ; Elsa avait rapidement appris que c'était la sœur de Cindy et que Floriant avait vraisemblablement une dent contre elle. Elle se trouvait juste à côté quand l'accident était survenu, et n'avait pas hésité à venir épauler les garçons.
« Ça ne m'étonne pas » déclara joyeusement la jeune femme en balançant ses jambes sous la table, dans un geste qui aurait pu paraitre puéril mais qui avait en fait une toute autre utilité que de la faire passer pour une gamine.
Floriant se leva brusquement, se tenant le mollet à l'endroit où elle l'avait frappé en poussant des petits cris aigus qui firent éclater Jack de rire, rapidement suivit par Blanche. Elsa s'autorisa même à sourire.
Blanche avait une manière de rire tout à fait innocente mais aussi plutôt fourbe. Sur ce point, elle ressemblait beaucoup à sa grande sœur. Cependant, c'était bien le seul. Car si Cindy montrait en intégralité sa sournoiserie, elle avait une personnalité mature, supportant les grandes responsabilités, et sachant comment se faire obéir. Blanche, elle, possédait une liberté presque indécente. Flânant de droite à gauche, ne prenant pas la peine de choisir un chemin, elle menait sa vie avec passion et sentiments.
Elle semblait certes plus fragile mais ne l'était pas moins. Son charme venait assurément de ses lèvres charnues et rouge sang, de ses cheveux noirs, encadrant un visage ovale à la perfection, toujours souriant et réhaussé par les deux perles d'aigue-marine qui lui servaient de prunelles. Sa beauté donnait l'impression qu'elle était une poupée de porcelaine capable d'être brisée au moindre souffle de vent mais ceux qui la connaissait savait que ce n'était pas le cas.
Même une tornade n'aurait pu le faire.
« Tu es complètement folle, ma parole ! » S'écria Floriant en lui lançant un regard noir, tirant sa chaise pour s'asseoir plus loin.
Blanche ne lui répondit que par un magnifique sourire, qui lui fit détourner les yeux, mal à l'aise. Puis elle focalisa son attention sur Elsa.
« Ce que tu as vu a dû être dur à supporter. Nous sommes tous passés par là, Elsa. La première fois est violente, elle bouscule nos certitudes, ce que nous savons de nous et des autres, elle bouscule notre vie entière. Elle nous apprend beaucoup, et pour cela, on ne l'oublie jamais. »
Après ces mots, elle lança un œil d'avertissement à Floriant, comme s'ils lui étaient aussi destinés mais il fit mine de l'ignorer, croisant ses bras sur sa poitrine.
« Blanche a raison, continua Jack qui avait reprit son calme. Ce n'est pas quelque chose que tu pourras oublier. »
Elsa hocha de la tête, se tassant un peu plus dans son manteau. Jack leva une main qu'il voulut poser sur son épaule dans le but de la réconforter mais une pensée lui traversa l'esprit et il se ravisa. Blanche parut le remarquer car elle se leva soudainement, suivit du regard par un Jack et une Elsa surpris.
« Floriant ? Appela-t-elle d'une voix doucereuse qui promettait beaucoup s'il ne répondait pas.
- Quoi ? Grommela-t-il en inspectant ses ongles.
- J'ai envie de faire du shopping et je veux que tu m'accompagnes. Déclara-t-elle.
- Mais tu n'aimes pas le shopping ! Rétorqua-t-il, éberlué. Tu t'habilles toujours avec des sacs poubelles recyclables, ou je ne sais pas quoi...
- Ce sont des vêtements en tissus recyclable, très bon pour la nature. Précisa-t-elle. D'ailleurs, ce n'est pas pour moi que je veux faire du shopping, mais pour toi. Tu en aurais vraiment besoin ! »
Le jeune homme s'étouffa presque, devant le regard amusé de Jack et Elsa qui passaient leurs yeux de l'un à l'autre, suivant leur joute verbale.
« J'ai une boutique prônant l'environnement qui devrait vraiment te plaire ! Allez, bouge tes fesses de là ! L'encouragea Blanche en s'approchant dangereusement de lui.
- Flo, vas-y, on voit bien que tu en meurs d'env... »
Jack n'eut même pas le temps de finir sa phrase que Floriant, s'étant subitement levé, écrasa sa main sur sa tête dans le but de le faire taire, faisant mine de lui ébourriffer les cheveux en riant nerveusement.
« D'accord d'accord, j'arrive ! Capitula-t-il devant la moue suppliante de Blanche.
- Génial !! » s'exclama ladite jeune femme en lui attrapant le bras et le tirant loin des deux compères.
Il adressa une dernière mimique de supplice à Elsa et Jack, puis disparut au détour d'une rue. « Sacré phénomène, ces deux-là » en conclut Elsa, souriante.
Rien qu'un instant, ils avaient réussi à lui faire oublier ce qu'il s'était passé. Son sourire disparut et elle se renferma, portant sa paille à sa bouche.
Jack avait parfaitement compris ce que Blanche avait souhaité faire en emmenant un garçon qui la détestait dans un endroit qu'il détestait : l'éloigner et le laisser lui-même seul avec Elsa...
Il se tourna vers le jeune femme ; elle était livide, semblait vidée de ses forces, et fixait la table sans oser croiser ses yeux.
« Qu'est-ce qu'un "Chasseur de Cauchemar" ? » demanda-t-elle soudainement.
Si soudainement qu'il faillit sursauter tant cela l'avait surpris qu'elle ouvre la bouche. Il avait pensé qu'il allait devoir user de tous les moyens pour la faire parler, mais ça ne serait apparemment pas nécessaire.
« Il faudrait d'abord t'expliquer ce que sont les Cauchemars, même si j'imagine que tu en as déjà une petite idée. Blagua-t-il maladroitement.
- Oui, bien sûr. Répondit-elle.
- Tout le monde en a. Commença-t-il sérieusement. Tout le monde a ses propres cauchemars, c'est ainsi. Souvent, ils sont trop peu important pour apparaître autre part que lorsqu'on dort. Mais parfois, il arrive que certains d'entre eux deviennent tellement fort, puisant dans les peurs et douleurs de leur créateur qu'ils peuvent se matérialiser ici, en plein jour, comme celui que tu as vu. Celui qui y parvient continue de se nourrir de son propriétaire. Le processus s'enclenche alors, et quand son propriétaire est finalement assez affaibli, le Cauchemar le possède. À ce moment-là, on ne peut plus rien pour la personne. Elle finit par en disparaître à l'intérieur, à ne devenir qu'une coquille vide dirigée par la volonté de ses propres terreurs... Ce n'est encore jamais arrivé ici, heureusement !
- Donc, ton "travail"...
- Consiste à détruire la version matérielle du Cauchemar avant qu'elle ne tue son propriétaire, oui. Avec ça. »
Il lui désigna un vieux bâton qu'elle l'avait vu porté mais qui n'avait jamais vraiment attiré son attention. Il formait de belles arabesques, il était presque impossible que ce soit la nature qui l'ai fait ainsi. Jack le devait, lui.
« Il me permet de canaliser mon pouvoir, d'éviter qu'il ne se répercute sur les personnes aux alentours » lui expliqua-t-il.
« Intéressant » Pensa Elsa, tout en continuant de fixer le bâton. Jack l'attrapa, l'arrachant à sa vue, et s'en aida pour se relever d'un bond.
« Et si on rentrait maintenant ? » Lui proposa-t-il après avoir lancé un coup d'œil à sa montre, sans doute aussi pour changer de sujet.
Elle acquiesça, s'extirpant de son siège à son tour, et regarda Jack laisser quelques pièces pour leur consommation.
Ils marchèrent silencieusement dans la rue, à bonne distance, en direction du Manoir.
« Elsa... » Commença Jack en se raclant la gorge, gêné.
Elle se tourna vers lui. Ils arrivaient bientôt au Refuge, elle en distinguait la façade au loin, mais Jack s'arrêta, interrompant leur progression.
« Oui ? Demanda-t-elle doucement.
- Je... » Il s'éclaircit une nouvelle fois la jugulaire, mal à l'aise.
Elle lui fit signe de continuer, l'encourageant du regard et se demandant intérieurement ce qu'il voulait bien lui dire.
« Je suis désolé, tu sais. De ne pas être intervenu plus tôt. » Soupira-t-il en passant une main dans sa chevelure.
Ses excuses eurent le mérite de la faire sourire.
« Ce n'est rien. Et puis, sans vous, je ne m'en serais jamais sortit. Alors c'est plutôt à moi de dire... Merci. »
Et pour lui montrer toute sa gratitude, elle se hissa sur le bout de ses pieds et l'embrassa tendrement sur la joue.
▶ JELSA !! 8D ◀
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