IX. La nuit porte conseil
Un bruit résonne dans le silence.
Un bruit d'eau qui coule.
Non...
On dirait plutôt un robinet mal refermé...
De l'eau qui, goutte à goutte, s'écrase dans une flaque...
Et maintenant, ce sont des pas, qu'on entend. Des chaussures qui, en atterrissant dans cette eau, éclaboussent tous sur leur passage.
Ces chaussures, ces pas...
Ce sont les miens...
Je cours.
Je fuis, même.
Mais fuir quoi ?
Fuir où ?
Je n'ai nulle part où aller.
Et ces pas derrière moi, ils sont tellement plus calmes... Tellement plus lents...
Alors, pourquoi en ai-je si peur ? Pourquoi ai-je l'impression qu'ils me rattrapent, lentement mais sûrement ?
– Que fuis-tu, Ayuki-chan ?
Je connais cette voix. Je l'ai déjà entendue quelque part. Je crains cette voix, même sans savoir à qui elle appartient.
– C'est moi que tu crains à ce point ? À moins que tu aies peur de la vérité ?
Elle se rapproche.
Un faux pas, et je m'étale de tout mon long dans ce liquide visqueux, qui à bien y regarder, n'est absolument pas de l'eau...
Mais du sang.
Et il est proche, maintenant. Je peux voir sa silhouette se découper dans les ténèbres.
– Vois la vérité en face... Même si tu refuses de l'admettre...
Je le distingue nettement, maintenant. Il traîne quelque chose derrière lui.
Le corps d'un homme aux longs cheveux noirs et aux lèvres dégoulinantes de sang.
– Tu aurais pu te mêler de tes propres affaires... Rester passive... Plutôt que de t'entêter de la sorte...
L'odeur du sang brouille tous mes sens. Impossible de m'enfuir ou de détacher mon regard de ce corps.
Le corps mutilé, transpercé, ensanglanté d'Alexeï Karuskaïa.
Ces yeux vides, plantés au milieu de ce visage dégoulinant de sang comme les ciseaux dans le front de l'Ésthéticien, me fixent sans réellement me voir.
Et dans sa main droite, j'entraperçois l'éclat d'une longue aiguille, alors que ses lèvres s'entrouvrent.
– C'est comme si tu m'avais tué de tes propres mains.
J'ouvris brusquement les yeux.
Sous mes mains, je ne sentais que mes draps mouillés de sueur. Son contact pourtant désagréable me rassura profondément.
C'était toujours mieux que de pautager dans du sang comme un cochon dans son auge.
Je me redressai lentement en position assise, en inspirant profondément pour calmer les battements précipités de mon cœur.
Ma chambre était plongée dans l'obscurité, et dieu merci, j'étais la seule personne présente dans la pièce.
Je scrutai tout de même la pièce avec angoisse, à la recherche d'une présence invisible. Mais il n'y avait rien.
Ce n'était rien de plus qu'un cauchemar.
Je poussai un soupir, avant de jeter un œil sur mon réveil. Trois heures et vingt-quatre minutes.
Ça ne faisait même pas vingt-quatre heures qu'Alexeï était mort, et son visage, à la peau tachée de sang et aux yeux vides, ne quittait pas mon esprit.
Je savais que je ne parviendrais pas à retrouver le sommeil, aussi, je m'armai de la lampe torche trouvée dans le tiroir de ma chambre et m'approchai de la porte, que j'avais soigneusement verrouillée en allant me coucher.
Une fois dans le couloir, je répétai l'opération, et j'allais me diriger vers la cuisine quand un bruit inattendu me fit m'arrêter.
"... Quelqu'un pleure ?"
En effet, des sanglots parvenait jusqu'à mon oreille. L'inquiétude me noua la gorge. Est-ce que quelqu'un était blessé ?
"Je dois me faire des idées..."
Je tentai tout de même de repérer leur provenance, et mes pas me menèrent en bas des escaliers, où la lumière blafarde de ma lampe éclaira une scène pour le moins inattendue.
Tsubasa était assise par terre, et pleurait à gros sanglots, tandis que Kiwa, accroupie à ses côtés, tentait de la réconforter en lui caressant maladroitement le dos.
Je ne saurais dire ce qui me choqua le plus, que Tsubasa pleure ou que Kiwa soit capable de gentillesse.
Cette dernière releva la tête vers moi, alertée par la lumière, et sa première surprise passée, entreprit de m'expliquer la situation :
– Je voulais descendre en bas pour aller m'en griller une, mais en fait, bah... Je me suis viandée dans les escaliers, et ça a fait un boucan de tous les diables... Et puis Iyui est arrivée en courant, et en me voyant étalée en bas... Elle s'est mise à chialer d'un seul coup...
– C-C'est parce que j'ai cru qu'elle était mooooorte ! hoqueta Tsubasa, dont les pleurs semblaient intarissables.
Je me sentis peinée. Ce n'était pas étonnant que Tsubasa réagisse de la sorte, après tout. La mort d'Alexeï nous avait tous bouleversés.
Après quelques minutes, les sanglots de Tsubasa se firent moins violents, pour finalement s'espacer.
– Tu veux aller boire quelque chose ? Je suis sûre que ça ira mieux après, lui dis-je doucement, comme on le fait pour rassurer une enfant qui a fait un cauchemar.
Mon rêve me revint soudain à l'esprit, et je frissonnai, en songeant avec effroi qu'en vérité, nous étions tous dans un cauchemar.
Pour chasser ces sombres pensées, je traînai quasiment de force Tsubasa et Kiwa vers la salle de restaurant. Lorsque j'en passai la porte, j'eus la surprise de découvrir... que nous n'étions pas seuls, car le réfectoire était illuminé par plusieurs torches posées en équilibre, faute de mieux à cause de la coupure des lumières.
Hamami était assis à une table, les yeux rougis et cernés. Ritsu avait passé un bras autour de ses épaules dans une tentative de réconfort silencieux.
Rā ne s'affairait à rien, pour une fois. Il était simplement attablé devant un café, dans son pyjama à motif hiéroglyphique, les cheveux en bataille et les lunettes de travers, l'air sombre.
Miles n'était pas plus présentable. Il semblait bien plus mal rasé qu'à l'accoutumée, on aurait dit qu'il avait un hérisson à la place des cheveux et il marmonnait des choses incompréhensibles en feuilletant un énorme livre.
Tomoé et Morgane arboraient toujours leur air habituel, si ce n'est que la Directrice était un peu plus pâle qu'à l'accoutumée.
Apparemment, personne n'avait réussi à dormir.
Il aurait pu être comique de nous voir ainsi, en pyjama et débraillés comme nous l'étions, si nous n'affichions pas des mines aussi lugubres.
– Oh, vous non plus vous n'arrivez pas à dormir ? nous accueillit Ritsu avec un sourire navré.
Je m'attendis à une remarque acerbe de Kiwa, du type "Pourquoi on serait là, sinon ?". Mais elle resta étrangement silencieuse, se contenant d'un haussement d'épaules pour toute réponse.
Tsubasa hocha la tête en reniflant, et s'assit à côté de Tomoé.
– Je vais aller te chercher quelque chose. Un lait chaud, ça te va ?
Elle hocha la tête, toujours en silence. La voir aussi déprimée me dérangeait, mais je ne pouvais pas y faire grand-chose.
Dans la cuisine, je tombai sur Lisa, occupée à faire bouillir de l'eau. Elle aussi avait l'air préoccupé. Lorsqu'elle me vit, elle se força malgré tout à sourire.
– Bonsoir, Ayuki-san, tu veux quelque chose ?
– Je viens préparer du lait chaud pour Iyui-san...
Je m'interrompis soudain, venant de réaliser quelque chose.
– ... mais je viens de me rappeler que je ne sais même pas préparer de lait chaud, dis-je piteusement.
Ma bêtise eut au moins le mérite d'arracher un sourire un peu plus sincère à Lisa.
– Ne te tracasse pas avec ça, je m'en occupe. Tu veux une tisane, au fait ? J'en prépare pour tout le monde.
Je répondis par l'affirmative en la remerciant, avant de retourner auprès des autres. Hibiki nous avait rejoints entre-temps, et elle me semblait anormalement pâle.
– ... Hibikaze-san ? Tout va bien ?
Hibiki déglutit, et sans me regarder, répondit laconiquement :
– Hm. Cauchemar.
Économique et efficace, rien à ajouter.
Lisa revint bientôt avec les tisanes, que tout le monde accepta avec plaisir.
C'est alors que j'aperçus Blue par la fenêtre. Il était allongé dans l'herbe, sur le dos, et observait le ciel avec une paire de jumelles dénichées on ne savait où.
Rester ainsi isolé n'allait certainement pas l'aider à se sentir mieux, aussi décidai-je de lui apporter sa tasse.
Je faillis avoir une crise cardiaque en sortant du réfectoire, car je me retrouvai nez à nez avec Hayami.
– Hayami-kun ? Qu'est-ce qui se passe ?
Le Playboy ouvrit la bouche avant de la refermer avec un air gêné que je ne lui avais jamais vu jusque là.
– Je... Je ne sais pas... comment je dois me comporter... avec Hamami.
Je clignai des yeux.
– Ça te dérange qu'il ait été une fille avant ?
– Non, c'est même pas ça... C'est juste que... s'il ne m'en a pas parlé, c'est que j'en étais pas digne, pas vrai ? C'est sûrement-
– Tu es débile ou quoi ?
Il me regarda avec des yeux ronds, et mon expression s'accorda à la sienne au fur et à mesure que je réalisai mes paroles.
Ça ne me ressemblait pas !
Et pourtant, je continuai sur ma lancée...
– Fille avant ou pas, ton frère est toujours ton frère, non ? Je suis sûre que s'il ne t'a rien dit, c'est parce qu'il voulait que tu le considères comme un garçon à part entière. Maintenant, il vient de perdre quelqu'un qui lui était très cher, il a plus que besoin de ton soutien. Alors arrête de jouer les imbéciles, et va donc le voir !
Hayami m'avait écoutée en me fixant d'un air éberlué, pour finalement sourire à la fin de ma tirade.
– Ouais... Ouais, t'as raison, Ayuki. Merci.
Et il rentra dans le réfectoire alors que je me rendais dans le jardin.
– Ayers-kun ?
Blue sursauta, et déplaça ses jumelles pour mieux me regarder.
– ... Ayuki-san ? marmonna-t-il, un peu hébété, comme s'il sortait d'une transe. Il y a un problème ?
– Je t'apportais une tisane. Tu es sûr de ne pas vouloir venir avec nous ? Tu risques de broyer du noir tout seul.
Il haussa une épaule, puis après un long moment d'hésitation où s'installa un silence pesant, il finit par lâcher qu'il venait.
Je lui fourrai donc sa tasse entre les mains pendant qu'il me suivait à l'intérieur.
Lorsque j'arrivai, le silence était complet dans le réfectoire.
Et pour cause, car Ritsu parlait.
Vous allez me dire, elle parle tout le temps, les autres ne se taisent pas pour autant.
Sauf qu'elle parlait d'Alexeï et Gaika.
– Franchement, rien ne les prédestinait à devenir amis. Lorsqu'ils se sont rencontrés, Alexeï venait de rentrer en première année de lycée, il avait quinze ans, et Gaika redoublait sa troisième année. Moi, je travaillais déjà, mais à ce moment, j'étais en stage dans leur lycée.
Elle laissa échapper un petit rire, visiblement en train de visualiser la suite.
– Alexeï est venu un jour vêtu de l'uniforme féminin. Gaika l'a traité de tapette, et ils se sont violemment battus... Alexeï s'en est tiré avec un poignet cassé, mais Gaika a eu le bras plâtré pendant deux mois. Suite à ça, il a radicalement changé...
Elle posa son menton dans sa main, le regard dans le vague.
– Avec Alexeï, il s'est ouvert à ce qui l'entourait. Il a appris de nouvelles choses. Il s'est extirpé des principes éducationnels rigides de ses parents... Honnêtement, je ne comprends pas pourquoi il a dit ça à Tsuyoshi-kun. Je pensais que ça lui était passé.
Sa voix se brisa.
– Je ne le saurai sûrement jamais.
Le silence se fit à nouveau, mais il n'était pas lourd. Triste, peut-être.
Mais ce qui était arrivé, nous savions que ce n'était pas juste. Il n'y avait rien de juste là-dedans.
Ritsu avait désigné Alexeï comme un pacifiste - mis à part le coup de poing dont elle nous avait parlé. Si cette situation était arrivée à l'extérieur, Alexeï se serait probablement expliqué avec Gaika.
Mais là... Il l'avait tué.
À cause de cet endroit, et de ces conneries de mobiles donnés par Monokuma.
À cause de Monokuma lui-même.
Ou plutôt, de celui qui tirait les ficelles sous couvert de cet ours en peluche.
Au final, nous quittâmes le réfectoire un à un, toujours la tête envahie de pensées noires, mais tout de même un peu plus détendus.
Enfin... Détendus n'était pas le mot.
Nous étions complètement épuisés.
Lessivés, vannés, crevés et toutes leurs variantes.
Et surtout, nous venions de réaliser pour de bon que plus jamais nous ne reverrions Gaika et Alexeï.
Ils étaient partis pour toujours, et leur mort était si... intolérable.
Alors maintenant, nous n'avions plus qu'une envie, dormir très profondément.
Mais cette fois, nous n'avions plus l'espoir de nous réveiller chez nous, dans notre lit, et de reprendre notre quotidien d'avant.
Ce n'était plus possible.
Nous étions dans un véritable cauchemar dont nous ne pouvions pas nous réveiller.
Nous n'avions plus qu'une seule option.
Faire face aux monstres.
En espérant que nous ne nous ferions pas dévorer avant l'aube.
____
Voilà, chapitre assez descriptif, et fini à la va-vite parce que plus d'inspi :p
Voyez ça comme une sorte de chapitre post-premier meurtre où il ne se passe pas grand-chose ;-;
Pour être honnête je ne l'aime pas tellement mais je pense qu'il est nécessaire :0
Le prochain sera déjà plus intéressant, il y aura les free times et tout et tout
Donc vuala XD
En espérant que vous avez apprécié tout de même !
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