Prologue (2) : Your Turn to Go
Si se réveiller en sursaut c'était une discipline olympique, j'aurais la putain de médaille d'or. J'ai dû crier aussi, vu la tête de la gamine penchée au dessus de moi.
- Hé, ça va pas de crier comme ça ?! s'exclame-t-elle en japonais.
Elle se fout de moi j'espère. C'est elle qui s'est penchée au dessus de mon lit et m'a collé ses cheveux dans la figure ! J'en ai encore dans la bouche, c'est dégueulasse.
Je me redresse péniblement, et jette un coup d'œil rapide aux alentours. Je suis toujours à l'infirmerie. C'était pas un rêve. Je soupire et détaille celle qui m'a valu ce réveil désagréable de haut en bas. Elle est minuscule, je lui donnerai onze ans à tout casser. Ses longs cheveux noirs lui arrivent en bas du dos et sont attachés en deux chignons sur le haut de son crâne. Elle est vêtue d'une sorte de kimono court, et porte des ballerines certes jolies mais bien usées. Un tatouage représentant une branche de cerisier couvre une partie de sa joue gauche. Elle est pas un peu jeune pour avoir ça ? Mais plus remarquables encore, ses yeux sont d'un noir d'obsidienne, et brillent d'une lueur qui ne m'inspire pas du tout confiance. Cette gamine me hérisse déjà les poils.
- C'est chez toi que ça va pas ! Qui réveille les gens comme ça ? je m'écrie.
Elle m'a mis.e de mauvais poil dès le réveil, c'est sa faute.
- Tu faisais une sale tête en dormant, je me suis dit que je pourrai t'aider un peu en te réveillant. Face de rat.
Pardon ?! Et elle ricane, la sale petite peste ! Je ne sais pas ce qui me retient de lui ravaler la façade à coups de gifles. Je vous jure, y a des claques qui se perdent.
- Va jouer avec des gens de ton âge, je réplique. J'ai pas le temps pour tes conneries, moi.
- Vu ta taille, on a le même âge pourtant !
... Putain, elle est gonflée ! Elle est plus petite que moi en plus, c'est assez rare pour le mentionner. Il faut que je sorte d'ici en tout cas, hors de question que je reste ne serait-ce qu'une seconde de plus avec elle. Je baisse les yeux, et découvre avec soulagement les chaussures que je portais la veille à l'aéroport. Malheureusement, elle a suivi mon regard et attrape la paire, avant de l'agiter devant mes yeux.
- C'est ça que tu veux ? C'est presque trop brillant pour être des godasses, tiens. Je me demande combien ça coûte...
- Rends-moi ça tout de suite, je grogne en me levant du lit.
- Ouuuh, sinon quoi ? Tu vas frapper une plus faible que toi ? La honte.
Ah ah, elle ricane, elle ricane, mais je vais vraiment lui coller une beigne si ça continue. J'ai déjà dû gérer des gamins chiants, mais elle c'est le summum de la pénibilité, et je viens à peine de la rencontrer.
- ... Ema, qu'est-ce que tu fiches ?
Ah, le deuxième gamin vient de s'immiscer dans la conversation. Et à bien y regarder... c'est presque la copie conforme de celle qu'il a appelée "Ema". Les mêmes cheveux, juste coupés au carré, le même style de vêtements, une sorte de kimono et des sandales en bois usées aux pieds, les mêmes yeux noir d'encre, et je distingue même sur son épaule un tatouage qui semble répondre à celui de l'autre peste. Des jumeaux, probablement.
Ema perd son sourire, et pousse un soupir en levant les yeux au ciel.
- C'est booon, je la taquinais juste. J'en veux même pas de ces chaussures.
Sur ces mots, elle me jette ma paire à la figure, et je la rattrape de justesse de ma main valide. Vivement que je sorte d'ici parce que je ne peux déjà pas la supporter. Et mon pronom, c'est iel, nom d'un chien, ça la tuerait de demander ?
- Hmhm. T'aurais continué pendant un moment si je m'étais pas réveillé, soupire le garçon avant de se tourner vers moi. Elle est tout le temps comme ça, fais pas attention.
- Ouais, ouais, je grogne, peu convaincu.e. Et sinon, vous êtes ?
- Mao Aozora. Et elle c'est ma jumelle, Ema.
- Mika Callaghan. Ultime Interprète.
J'ai comme le sentiment que je vais répéter cette suite de mots plusieurs fois aujourd'hui.
- Vous êtes aussi des ultimes ?
- Yep, je pensais que ça se voyait sur nos têtes, contrairement à toi, ricane Ema alors que Mao soupire. Chuis l'ultime Mime, et Mao c'est l'ultime Imitateur.
- Franchement, vous avez pas des gueules d'Ultime, je réplique. Vous avez une tête à aller encore à l'école primaire.
- Va bien te faire foutre, on aura quatorze ans ce mois-ci ! s'écrie Ema.
Eh bah. Elle a la maturité d'une gamine de dix. Ces deux-là ressemblent à ces poupées en porcelaine au visage éternellement enfantin. Celles des films d'horreur. Mieux vaut changer de sujet, en tout cas, Mao commence à me regarder de travers lui aussi.
- Qu'est-ce que vous faites à l'infirmerie ? Vous avez pas l'air blessés.
- On s'est cognés lors de l'atterrissage, alors l'autre bouffeuse de kebabs voulait qu'on reste ici sous surveillance, grince Ema. Après, c'est mieux d'avoir dormi là qu'avec les autres dans l'odeur de pieds et de transpi. Pis le gars à moitié à poil, là, il m'inspirait pas confiance.
Bouffeuse de kebabs... elle veut dire Theodosia ? Seigneur. Ce vieux cliché sur les grecs.... Je ne me prive pas de lever les yeux au ciel. Par contre, le gars à poil, j'ai du mal à voir qui c'est. Lan Yue ? C'est vrai qu'il laisse son ventre à découvert - il a des abdos à se damner et je suis sûr qu'il en est conscient - mais pas assez pour se récolter le qualificatif de "à moitié à poil", si ? Ça serait pas impossible vu la langue de vipère de cette morveuse.
- Et je suis à peu près sûr.e qu'ils ont très bien dormi, sans tes commentaires acides et la diarrhée qui sort de ta bouche, je lâche.
Ouais, c'est méchant. Mais c'est mérité, franchement. Je supporte pas les gosses dans son genre, qui se croient mieux que tout le monde. D'ailleurs, ma remarque fait mouche puisqu'elle devient rouge de colère et sort en trombe de l'infirmerie après avoir craché des insultes que je ne répéterai pas ici. Ça n'aide pas vraiment son cas, hein. Son frère soupire et me lance un regard avant de la suivre en trottinant. Ce qui attire mon attention sur sa jambe gauche. On dirait qu'il la traîne plus qu'autre chose, et sa démarche est boiteuse. Mais ce qui me dérange vraiment, c'est ce regard qu'il m'a lancé. Rempli de méfiance, mais ça passe encore, je dois faire la même tête. Par contre, c'est accompagné d'une bonne dose de mépris. Ça se la joue calme et réservé, mais dans le fond, il est bien comme sa frangine, tiens.
Un gargouillis sonore monte de mon ventre, m'arrachant à mes réflexions pleines de sel. Bon sang, je crève la dalle. Je remets mes chaussures en vitesse, enfin aussi vite que possible avec un seul bras disponible, et m'empresse de sortir de l'infirmerie. Il fait toujours aussi froid, et le ciel est gris, mais même si mes lunettes demeurent introuvables, je peux quand même mieux voir autour de moi. Dormir a dû aider, aussi.
Je passe entre les chalets, qui semblent vides, et m'approche pour tenter d'ouvrir une des portes. Clic clac. C'est verrouillé, alors je lâche l'affaire et continue mon chemin, en direction de cette tour à l'architecture tout aussi farfelue que pendant mon exploration paniquée de la veille. Bingo. Les grandes portes en bois qui marquent l'entrée sont ouvertes, cette fois.
Après un court instant d'hésitation, je passe l'entrée. Un large couloir aux murs de pierre s'étend sur quelques mètres, éclairé par des plafonniers, jusqu'à un embranchement, au détour duquel je trouve une nouvelle porte. Et si mes sens ne me trompent pas, ça sent clairement la friture. Bon. C'est peut-être un piège, mais l'appel de la faim est plus fort que tout, alors j'entrouvre légèrement la porte.
Une pièce immense aux airs de cantine s'étend devant moi. Plusieurs tables sont disposées en parallèle, avec un banc de chaque côté. Les murs sont peints d'un jaune orangé, ce qui donne une ambiance bien plus chaleureuse que celle du couloir. C'est plutôt silencieux, et pour cause, c'est quasi vide. À l'exception d'une seule personne, attablée dans un coin. Vu sa posture, iel n'a pas l'air en très grande forme, alors je ne risque pas grand chose à entrer.
La porte grince sous ma poussée, faisant sursauter lae seul.e occupant.e du réfectoire, qui se retourne et me regarde. À vue de nez, je dirai que c'est un garçon. Sa peau mate est constellée de taches de vitiligo, et seul son œil droit - rouge - est visible, l'autre étant caché par une mèche de cheveux lavande. Il n'a pas l'air d'avoir beaucoup dormi, et franchement, je le comprends.
- ... Salut, je souffle, un peu gêné.e devant son silence.
Ça m'arrangerait s'il pouvait parler, parce que je suis pas super doué.e pour les conversations superficielles.
Heureusement, ma voix semble le faire sortir de sa torpeur.
- Ah, toutes mes excuses, j'ai... été distrait un instant. Je ne crois pas qu'on se soit déjà rencontrés ?
S'il m'a vu m'éclater la gueule hier, il a la délicatesse de ne pas me le rappeler, ce que j'apprécie.
- N-Non. Hum... Mika. Ultime Interprète.
Et voilà, je me retrouve à bafouiller comme un con. Je suis sûr.e que je rougis... J'ai envie de m'enterrer sous terre. En plus, ce type est beau. Genre, vraiment beau. Et lui aussi dégage une aura rassurante, comme Theodosia. À côté, je me sens aussi confiant qu'une carpe hors de l'eau.
- Tu es aussi un.e Ultime, donc... ça ne me surprend pas.
Il pousse un léger soupir, et lorsque j
Je rencontre de nouveau son regard, je suis frappé.e par une certitude : lui aussi, il sait, et il a les mêmes craintes que moi. Ça ne me soulage pas vraiment.
- Je suis l'ultime croupier, Hibari Hagane. Enchanté malgré tout, Mika, dit-il en esquissant un faible sourire. Comment va ton bras, d'ailleurs ?
- Mon bras ? Ah, mon, mon bras, je bredouille à nouveau. Ça fait un peu mal, mais, euh... C'est supportable.
J'ai encore plus envie de lui voler la cuillère qu'il tient en main et de creuser un trou directement sous mes pieds. Super première impression, Mika, bravo.
- Tant mieux, alors...
Son regard se perd de nouveau dans le vide, alors qu'il chipote avec la nourriture dans son assiette. Du... poisson cru, à ce qu'il semble. Berk. Pas mon truc. Et pourtant, ça me fait quand même saliver. Ça doit faire un moment que j'ai rien avalé. Hibari a dû capter que je lorgnais son petit-déjeuner, parce qu'il me sourit de nouveau.
- Si tu as faim, je te conseille d'aller en cuisine. Il y a assez pour nourrir tout un régiment, là-dedans. Oh, et il y a quelqu'un qui pourra te faire un petit-déjeuner.
Et le voilà qui regarde de nouveau dans le vague. Il a vraiment l'air préoccupé, mais j'ai pas vraiment le temps de m'en soucier. Mon estomac d'abord, la prise de tête ensuite. Je me dirige vers une porte entrouverte sur ma gauche, qui mène supposément sur la cuisine. Je passe la tête par l'encadrement, et une odeur de bacon grillé emplit mes narines. Dos à moi, quelqu'un s'affaire aux fourneaux, autour de plusieurs poêles. De là où je suis, je distingue de luel un ample pull bleu ciel, une jupe rose pastel, et de courts cheveux blonds aux extrémités rose également, coupés en undercut. J'imagine que c'est la personne dont Hibari m'a parlé, ce qui signifie que je vais devoir lui adresser la parole. Allez, c'est comme le dentiste, juste un mauvais moment à passer.
- Hum... Hey, je fais, en me grattant nerveusement le bras.
Pas de réponse. C'est vrai que la friture fait beaucoup de bruit, je devrais peut-être parler plus fort.
- Hey, hum, désolé de te déranger...?
Toujours pas de réponse. Je fronce les sourcils, et fait quelques pas vers luel.
- Hé ho ?
Je sens l'agacement monter. Est-ce qu'iel m'ignore ? Sympa. Je m'approche encore un peu, et c'est là que je remarque, au dessus de ses oreilles, un dispositif que je reconnais comme étant un appareil auditif. Oh. Et c'est un nouveau point de connerie pour moi. Je lui tapote avec hésitation l'épaule, tout en ruminant ma honte.
Iel tressaille légèrement, et se retourne, me montrant deux yeux bleus entourés de maquillage aussi coloré que le reste de son être, et une peau parsemée de paillettes. Ça ferait presque mal aux yeux.
Son visage me paraît familier, d'ailleurs. Iel est peut-être connu.e ?
- Oh, hey ! Désolé, j'étais concentré sur mon bacon, s'excuse-t-iel dans un anglais très clair, même si quelques syllabes sont légèrement mâchées. Iel accompagne ses paroles de gestes que je reconnais comme étant la langue des signes américaine.
- Pas de soucis, je réponds à voix haute et avec le signe correspondant.
Iel cligne des yeux, l'air agréablement surpris.
- Tu parles la langue des signes ? Couramment ?
Je hoche la tête, en rougissant un peu. Iel dit ça comme si c'était une prouesse, alors que bon, tout le monde devrait savoir la parler. Dommage que mon bras cassé me limite, ça fait longtemps que je n'ai pas pratiqué.
- Encore heureux... Je suis l'ultime Interprète, c'est le minimum syndical, j'explique en détournant un peu le regard.
- Ah ouiiii ! Je t'ai déjà vu une ou deux fois dans le journal, il y a, quoi... trois-quatre ans ? T'avais pas encore ton titre, mais ton visage a pas changé ! Tu m'as peut-être déjà vu.e aussi, non ? Sora Seon ? Même si j'ai eu mon titre d'Ultime chef cuisinier que cette année, moi aussi.
Bien sûr... Les émissions de cuisine. Voilà où je l'ai déjà vu.e. Darius me forçait à les regarder avec lui, à un moment. J'ai jamais compris l'intérêt.
Mon cœur se serre un peu. J'ai pas encore eu le temps de vraiment penser à ma famille, avec toute cette histoire. J'espère qu'ils vont bien, eux au moins... Est-ce qu'ils ont remarqué ma disparition ?
- Dis, c'est quoi tes pronoms ? me lance Sora, m'arrachant à mes pensées.. Moi, c'est tous, sans distinction.
- Euh, iel, accords masculins parfois, je bredouille. Et euh, je m'appelle Mika.
- Okidoki ! Du coup, Mika, qu'est-ce que tu veux manger ? Le bacon arrive, et j'allais mettre des œufs brouillés en route, mais il y a aussi du pain de mie, de la confiture, du fromage, du-
- Bacon et œufs brouillés ça ira très bien, merci ! je la coupe abruptement.
Il est bien sympa mais les gens qui parlent trop vite, ça me donne le tournis.
- D'accord ! Je te fais ça, alors. Tu peux aller t'installer à une table, je t'apporte tout ça dès que c'est prêt ! Oh et tu veux peut-être un café avec tout ça ? Si oui, sucre, crème ?
- U-Un café crème avec un sucre... s'il te plaît, je souffle en battant en retraite vers la sortie.
Sora lance un "ça marche" avant de se retourner vers ses poêles. Je me demande comment elle fait pour être aussi énergique, et... Insouciante, dans une situation pareille. Moi, je n'arrive pas à effacer le sentiment que quelque chose d'horrible est sur le point de nous tomber dessus.
Moi, Theodosia, Lan Yue, Ema, Mao, Hibari, Sora. Ça fait sept, pour l'instant. Sept ultimes réunis au même endroit. Et probablement plus, vu que j'entends des éclats de voix provenir du réfectoire.
Je prie de toutes mes forces pour que ça ne soit qu'une simple coïncidence.
Mais je sais très bien que dans les heures à venir, je tomberai probablement sur neuf autres ultimes. Et après... va savoir ce qui se passera.
Mais je sens que ça plaira à personne.
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