Allongé sur sa serviette, un bras sous la tête en guise d'oreiller, Félix contemple la voûte étoilée qui s'étale devant ses yeux. D'aussi loin qu'il se souvienne, il a toujours été fasciné par les étoiles, l'espace et ce grand rien qui compose le ciel. L'idée même de l'immensité de l'univers, qui en effraie plus d'un, est quelque chose qu'il a toujours trouvé rassurant ; quelque chose qui lui rappelle qu'il n'est rien de plus qu'un grain de sable dans le engrenage bien trop complexe pour lui et le reste de la race humaine. Il est rien et tout à la fois, il est simplement lui, ses actions passées et ses rencontres qui ont façonné la personne qu'il est aujourd'hui.

Dans cet univers si grand, rien n'a d'importance que la quête de non malheur.

À ses côtés se trouve quelqu'un. Un garçon à peine plus âgé que lui, un météore dans sa vie de grain de sable, le premier avec qui il a eu envie de regarder ses congénères étoilées.

Changbin a débarqué dans sa vie par mégarde, alors qu'il s'y attendait le moins, à un moment où tout était plat, où le grain de sable se perdait dans le désert. Changbin lui a fait l'effet d'une pluie salvatrice dans la sécheresse qui le composait.

D'une voix étouffée par le poid de ses sentiments, Félix lui indique les constellations qu'il reconnaît : la grande ours évidemment, et puis là, à gauche c'est Vega, l'étoile qui brille fort avec à sa droite la constellation du dragon. Tu ne la vois pas ? C'est vrai que c'est pas très visible les constellations... Les romains ? Non, les grecs. Mais pas celle-ci, le dragon ça fait pas très mythologie grecque n'est-ce pas ? Une autre ? Voyons... Ah si ! Derrière nous, tu vois le "w" ? C'est Cassiopée. C'est une reine, la mère d'Andromède, mais elle était tellement vaniteuse que les dieux l'ont condamné à tourner autour du pôle nord la tête en bas. Comment ça ce n'est pas une punition ? Mais ce n'est pas digne d'une reine ! Ni de personne d'ailleurs, imagine qu'on te suspende la tête en bas aux yeux de tous ? Tu n'as aucune imagination, Changbin, c'est ça ton problème.

Un rire s'élève dans la nuit, rapidement suivit d'un deuxième. C'est drôle comment l'espace qui se trouve entre eux est si faible que leurs peaux pourraient presque se toucher, mais que Félix pourrait pourtant jurer qu'une galaxie se glisserait facilement entre eux tellement il se sent loin de lui, à des années lumière.

Leurs rires se sont éteints et il n'y a plus aucun bruit si ce n'est celui de l'océan qui s'échoue en contrebas. Ils ne disent rien, la main de Félix qui repose contre son ventre s'abaisse et remonte au rythme de sa respiration, ses yeux se perdent dans la mer pleine d'étoiles. Les astres se reflètent dans ses yeux sombres et s'il se détournait d'eux ne serait-ce qu'un instant il verrait que le regard du garçon à ses côtés ne se perd pas dans le même océan que lui. Il verrait que les yeux de Changbin couvent son visage, ses yeux, son nez, ses taches de rousseurs, ses lèvres. Il verrait et il comprendrait, s'il tournait la tête. Mais Félix ne tourne pas la tête car Félix a la tête dans les étoiles, et même lorsque les doigts de Changbin se glissent dans les siens, envoyant dans une autre atmosphère la galaxie qui les séparait, il ne voit rien.

Quelque part, c'est mieux comme ça. Les étoiles et Félix ont un lien différent de celui de Changbin et Félix, et ça aurait été dérangé ce lien, cette relation, que de vouloir s'inclure dedans.

Alors ils restent comme ça, main dans la main, l'esprit à des lieux l'un de l'autre, l'un bien ancré sur Terre et l'autre perdu dans les astres. Comme les pôles opposés d'un aimant, comme le jour et la nuit, comme le ciel et la terre, complémentaires. À l'image des rouages de l'univers, Changbin est le grain de sable qui est venu déranger l'organisme de Félix, mais il est aussi l'huile qui lui permettra de repartir de plus belle.

Finalement, ils ne sont que des grains de sable dans un gigantesque rien, la seule différence c'est que, eux, ils regardent dans la même direction : celle du ciel étoilé.