Le bruit des gouttes de pluie contre la carrosserie en métal résonne dans l'habitacle. Dehors, les nuages noirs s'amassent à l'horizon. Peu importe l'endroit où Chan porte son regard, il ne voit que le gris du ciel qui se confond avec le gris de l'asphalte. Avec un soupir, il détache son regard de la route. Il tient le volant d'une main et se force à desserrer les doigts en voyant ses jointures blanchir. Son autre main repose sur sa cuisse et les nombreuses bagues qui habillent ses doigts semblent ternes dans la lumière cendrée de l'averse. Celle qui habille son annulaire, en or blanc, semble le narguer, comme pour lui rappeler que la personne qui le lui a offert n'a jamais été aussi loin. Pourtant, Jisung se trouve à moins d'un mètre de lui, assis sur le siège passager, le regard porté vers l'extérieur, les genoux remontés sous son menton et sa joue reposant dans sa main droite.

Avec un soupir, il tend la main vers l'autoradio pour l'allumer et tourne les boutons, tentant de trouver une station avec quelque chose d'écoutable. La radio crachote et des bribes de musiques entrecoupées de bruit blanc finissent par les entourer. Et Chan continue de tourner les boutons, cherchant vainement de quoi combler le lourd silence qui règne à l'avant de leur van.

- Arrête, souffle alors Jisung en posant sa main froide sur la sienne, chassant ses doigts de l'appareil.

La main de Chan reste en l'air un instant et Jisung éteint la radio avant de retourner à sa contemplation du paysage.

- Tu veux pas écouter de musique ? demande Chan.

- J'ai besoin de silence.

Chan se mord la lèvre et détourne le regard. Son cerveau fonctionne à toute vitesse pour tenter de trouver quelque chose qui pourrait remonter le moral du noiraud à ses côtés. Jisung a tendance à souvent se laisser aller à la mélancolie, surtout lorsqu'il pleut, et Chan se retrouve souvent pris au dépourvu, incapable de savoir ce qu'il doit faire. La mélancolie, de même que la tristesse, n'est pas une mauvaise émotion en soit. Aucune émotion n'est mauvaise, c'est seulement le trop-plein de l'une d'entre elles qui pose problème. Lui-même a toujours eu du mal à se réguler lorsqu'il se mettait en colère. En réalité, jusqu'à ce qu'il rencontre Jisung, il n'avait pas vraiment conscience que cela pouvait être un problème.

Cela fait deux heures qu'ils roulent, il faudrait qu'il fasse une pause bientôt. La pluie ne semble pas vouloir cesser. Ils vont devoir s'arrêter sur une aire d'autoroute et rester à l'intérieur s'ils ne veulent pas se tremper. À moins que...

Un léger sourire habille les lèvres du blond lorsqu'il enclenche son clignotant et ralentit à l'approche de la première aire qu'ils croisent, une dizaine de minutes plus tard. Il jette un coup d'œil à Jisung qui n'a toujours pas bougé de sa position, recroquevillé contre la vitre sur laquelle s'est formé de la condensation qui mouille ses mèches noir corbeau. Le van s'arrête et Chan ouvre la porte avant de sauter à l'extérieur. Il contourne le véhicule et tapote contre la vitre de Jisung qui se recule, un air interrogateur sur le visage. Alors Chan ouvre la porte et lui tend la main. Jisung secoue la tête en silence. Mais Chan est têtu et décidé à le sortir de sa déprime temporaire. Il s'avance donc et pose ses mains sur ses épaules. Jisung a un mouvement de recul, Chan sait très bien pourquoi, il joue avec le feu à cet instant, mais la part inconsciente de lui, celle qui refuse de laisser les gens qu'il aime aller mal, s'est réveillée et il tire Jisung vers lui qui, surpris que Chan insiste, met les pieds par terre en tanguant un peu. Heureusement, le plus vieux est là pour passer un bras autour de sa taille et le stabiliser. Mais Jisung s'éloigne de son contact rapidement, une grimace sur le visage.

- Tu fais quoi ? demande-t-il sèchement.

Chan pince ses lèvres et lève la tête vers le ciel et les nuages qui déversent leurs grosses gouttes de pluie sur eux. Ils sont déjà mouillés et dans à peine une minute, ils seront réellement trempés. Chan qui, d'habitude, déteste la sensation d'être mouillé, trouve quelque chose d'étrangement réconfortant à sentir la chaude pluie d'été dégouliner dans son cou et mouiller son tee-shirt blanc. Il passe une main dans ses cheveux blonds qui doivent déjà être en train de boucler et offre un sourire timide à Jisung. Ce dernier a les sourcils froncés, les yeux humides et les bras serrés autour de son torse. Son tee-shirt gris est parsemé de taches plus sombres dues à la pluie et ses cheveux noirs sont tout ébouriffés. Chan a l'habitude de le trouver mignon, adorable ou tout autre adjectif correspondant, là dans cet environnement gris et froid, il lui trouve une beauté qu'il n'avait jamais réellement soupçonnée.

- Je t'aide à cocher une case de ta liste de choses à faire dans ta vie, dit-il dans un souffle et il peut voir la surprise traverser les yeux sombres de son vis-à-vis.

Chan lui tend sa main et Jisung la contemple pendant quelques secondes. Ce n'est pas un orage, simplement une longue averse estivale, pourtant Chan a l'impression de sentir des éclairs crépiter autour d'eux lorsque Jisung pose sa paume sur la sienne et que leurs doigts se lient. De son autre main, Chan vient attraper celle de Jisung pour la poser sur son épaule avant de glisser la sienne dans son dos. Leurs pieds glissent sur le sol et ils se mettent à danser dans le parking vide avec, pour seuls spectateurs, quelques arbres aux feuilles sombres qui veillent sur eux de toute leur hauteur.

Aucune musique, si ce n'est celle de la pluie sur le bitume, ne les entoure, mais pourtant ni l'un ni l'autre ne semble s'en faire. Jisung a posé sa tête dans le creux du cou de Chan et le laisse le guider dans leur slow qui n'a rien de conventionnel outre le fait qu'ils dansent à deux, même dans un rythme douteux.

- On doit avoir l'air de deux idiots, souffle Jisung et Chan rigole, son souffle se perdant dans ses cheveux.

- On s'en fout, murmure-t-il. Les gens peuvent bien penser ce qu'ils veulent.

Jisung se détache de lui, un sourire encore un peu faible, mais bien présent sur les lèvres et écarte les bras en tournant sur lui-même sous le regard attendri de Chan qui attrape ses doigts pour le faire tourner de nouveau, de plus en plus vite jusqu'à ce qu'il retombe dans ses bras en riant.

- C'est fou ce que t'es magnifique quand tu rigoles, dit alors Chan en posant ses mains sur ses joues.

Jisung rougit et laisse tomber son front sur l'épaule de Chan en marmonnant quelque chose d'incompréhensible, provoquant les rires du plus vieux.

- Allez, viens, on se rentre. On va finir par choper la crève si on reste là.

Main dans la main, ils retournent dans le van. Les mains chaudes de Chan se perdent sur la peau froide de Jisung pour lui retirer son tee-shirt trempé pendant que la pluie continue de nettoyer la terre. Les frissons s'emparent d'eux tandis qu'à grand renfort de sourires, de caresses et de mots doux, Chan chasse la mélancolie de Jisung au loin. De la buée s'est formée sur les vitres du van et, même si l'intérieur est invisible de l'extérieur, une main aux doigts remplis de bagues apparaît pour tirer les rideaux jaunes. Si l'on tendait l'oreille, on pourrait entendre une déclaration d'amour entre les sifflements du vent et le bruit de la pluie sur le toit du véhicule, on pourrait entendre les "je t'aime" murmurés à l'oreille et les "merci" en guise de réponses.

Dans cet environnement gris dans lequel le ciel et l'asphalte se confondent, on peut voir un van à la carrosserie jaune garé au milieu d'un parking vide, et personne ne serait en mesure de savoir que les plus belles couleurs brillent dans les yeux de ses deux occupants.