Il est encore tôt quand la porte en bois à l'arrière de la maison aux volets bleus s'ouvre, mais les mouettes courent déjà dans le ciel, les chats nagent dans la poussière et les poissons volent dans l'océan profond et fascinant. Deux petites têtes brunes referment la porte en bois et s'enfuient vers la plage, main dans la main. Le plus petit des deux à des yeux fins, si fins qu'on dirait ceux d'un renard, et son regard un peu apeuré scrute les alentours, le cœur battant la chamade à l'idée qu'ils se fassent repérer dans leur fugue inopinée. Le plus grand tient fermement sa main dans la sienne et un petit seau jaune dans l'autre qui se balance au rythme de ses pas enjoués. La peur ne coule pas dans ses veines, seul l'excitation de faire quelque chose qu'il sait être interdit fait battre son cœur d'enfant à toute vitesse.

Habillés chacun d'un ciré bleu et leurs bottes de pluie aux pieds, ils traversent le jardinet de la maison des parents du plus âgé jusqu'au petit portail en bois blanc à la peinture écaillée. Le plus petit s'accroche à la main de son ami qui lui sourit en refermant le portail derrière eux avant de l'entraîner le long du chemin en pente douce qui mène à l'océan. Il est tôt, le bleu du ciel est grisé et les nuages s'amoncellent à l'horizon tandis que les vagues viennent s'écraser sur la plage. L'excitation a remplacé la peur dans le cœur de Jeongin au moment où ses yeux se posent sur l'étendue d'eau salée et il lâche la main de Seungmin pour courir dans le chemin cahoteux.

— Attends-moi ! lui crie Seungmin.

— Le dernier arrivé à la plage est une poule mouillée !

Leurs rires résonnent dans la crique et les quelques mouettes et autres moineaux qui habitent la plage s'envolent en voyant les deux petits diablotins courir sur le sable en criant leur joie face à cette toute nouvelle liberté qu'ils n'avaient jusqu'alors jamais pu expérimenter.

Seungmin fini par rattraper Jeongin qui lui tire la langue, hilare et ravis de l'avoir battus à leur petite course.

— C'est pas juste ! se plaint le plus grand, la lèvre inférieure avancée en une moue chagrine. T'es parti quand j'étais pas prêt.

Alors Jeongin lui tapote la tête et s'excuse et Seungmin retrouve son sourire. L'orage a disparu aussi vite qu'il était venu, les deux garçons se penchent vers le sable et des étoiles naissent dans leurs yeux tandis qu'ils contemplent le trésor ramené par l'océan rien qui pour eux et qui s'est échoué à leurs pieds. Ils se regardent et leurs sourires illuminent la scène. L'excitation prend le pas et les voilà accroupis à la recherche des plus beaux coquillages à pouvoir ramener chez eux. Le seau se remplit peu à peu. Les coquillages s'entassent, des petits, des grands, des torsadés, des lisses, des polis par l'océan, des rugueux, des cassés mais avec des jolies couleurs, des entiers mais pas très beau, il y a même quelques plumes d'oiseau et deux ou trois algues qui se perdent entre les coquilles.

— Dit, Seungmin ?

Les deux enfants sont assis sur le sable, le seau posé entre eux, et le regard porté vers l'horizon. Ils ont arrêté leurs fouilles, fatigués de rester accroupis si longtemps et de peur que le seau ne soit trop lourd pour être porté s'il est trop rempli.

— Oui ?

— Tu penses qu'on sera toujours amis quand on sera grand ?

— Grand commun ? Quand on sera au collège ?

— Non, non ! Plus ! Même après qu'on ait eu dix-huit ans, même quand on sera adulte.

— Oui, je pense, répond Seungmin. On restera amis toute notre vie, dit-il d'une voix ferme. Même que quand on sera très grand, on habitera à côté et on se verra tous les jours.

— Et on continuera d'aller chercher des coquillages.

— Bah oui, bien sûr.

Les deux petits garçons se sourient. Au loin, une silhouette court vers eux, catastrophée, mais ils ne la voient pas, ils se regardent en souriant et se promettent de rester ensemble pour toujours. C'est une promesse d'enfant, c'est une promesse qui subira de nombreux coups durs, c'est une promesse qui ne rime pas à grand chose en réalité.

C'est une promesse d'enfant.

Pourtant ça n'enlève rien à sa beauté.

Plus tard, ils se souviendront à peine de cette matinée d'été où ils avaient fugué main dans la main, provoquant un élan de panique chez leurs parents avant qu'on ne les retrouve assis côte à côte sur la plage. Ils se souviendront à peine des cris de la maman de Jeongin qui les avait trouvés et de l'étreinte tremblante qu'elle leur avait offert. À cinq ans, on ne se souvient pas de grand-chose, on se rappelle simplement des bribes d'émotions qu'on ressentait.

Ils se souviendront de l'odeur d'iode, de leurs petites mains accrochées l'une à l'autre et de la douce sensation d'être en compagnie de la seule personne qui compte. Ils se souviendront des coquillages comme seuls témoins de l'amour innocent qu'ils se portaient et qu'ils n'ont jamais cessé de ressentir envers l'autre.