« Est-ce qu'on est amis ? »

A partir de ce jour, ils se regardèrent.

Ils s'asseyaient l'un en face de l'autre et chacun jaugeait l'autre, essayant de le décrypter selon sa posture, ses yeux, ses mains... Tout passait dans cette observation presque dérangeante.

Mais c'était une nouvelle habitude. Une autre qui rentrait dans leur rituel.

Ils parlèrent aussi.

Ils s'aventuraient dans des sujets moins banals, restant à la limite de l'intimité sans jamais la dépasser.

Non.

Ils n'étaient pas encore prêts à passer le cap.

Trop risquer ? Oui, il le pensait.

Aussi lui parlait-il de ses lectures. Avait-elle lu ceci ? Avait-elle aimé ça ?

Et elle semblait aimée ces discussions intéressantes mais non primordiales.

Lui aussi.

En fait, tant qu'ils se parlèrent, c'était bien. C'était ce qu'il voulait.

Puis un jour, avant qu'il ne se lance dans un énième débat, elle lui demanda :

« Est-ce qu'on est amis ? »

Question qu'on pose tout le temps quand on est enfant.

Une question qui n'est pas si bizarre dans les premières années.

Pourtant, à ce moment, c'était la question qu'il craignait le plus.

Quoi répondre ?

Pour lui, c'était à la fois évident et contestable.

Et si elle ne pensait pas la même chose ?

Et si tout se fissurait s'il disait le mot ?

Et si...

« Est-ce qu'on est amis, Lug ? »

Il releva la tête et croisa son regard.

Damnée ne prononçait jamais son prénom, comme lui. C'était une règle qu'ils avaient instaurée dans un silence de plomb.

Pas de prénom, c'était comme ça.

Alors l'entendre prononcer son nom lui fit un choc, tout comme lire une étincelle d'espoir dans ses magnifiques yeux bruns.

Il prononça donc le fameux mot en hochant la tête.

« Oui. »

Elle ne réagit pas. Comme à son habitude, elle le fixa la tête penchée sur le côté.

« Oui. On est amis, Damnée. »

Elle cligna des paupières et esquissa un sourire.

« Alors nous sommes amis. »